Les élections européennes arrivent à grands pas et déjà les prédictions
indiquent que ce que l’établissement appelle aujourd’hui « les populismes »
risquent fort bien de faire des avancées notables un peu partout dans les pays
d’Europe. Il faut aussi dire que le mode de scrutin proportionnel à un seul
tour (celui qui a cours dans ces élections) est à l’avantage[1] de
ce genre de formation politique et que le bilan général de l’Union européenne
et des partis qui la soutiennent sont très mauvais.
Pour ce qui est du cas français, les prédictions
laissent entendre que l’ex-FN, le « Rassemblement national » (RN),
pourrait bien dépasser la liste électorale du parti présidentielle (LREM).
Serait-ce l’effet du mouvement des « gilets jaunes » qui en serait la cause ?
Malgré ce qu’en disent les macronistes, il semblerait que non, et ceci pour
plusieurs raisons. D’abord parce que le plébiscite pour le RN est depuis des
années dans une pente montante[2]
assez stable. Ensuite parce que le RN a été assez discret sur son soutien au
mouvement et ne s’est fait l’écho de ses revendications qu’à la marge.
Rappelons que la stratégie électorale du RN se concentre désormais surtout
sur l’électorat
de droite classique. Notamment l’aile droite du parti « Les
Républicains » (LR). Depuis le départ
de Florian Filippo et du congrès
de 2018, le RN a plutôt délaissé les thématiques sociales et
souverainistes, qui le caractérisaient depuis quelques années, au profit d’un positionnement
nationaliste conservateur et libéral (dédiabolisation oblige !).
En réalité, le coude à coude entre la LREM et le RN s’explique
essentiellement par la stratégie opportuniste que le parti présidentiel utilise
et par la mobilisation de son électorat. Notons que la stratégie
de Macron est à peu près la même que celle
du RN sur un point. Soit celui de forcer la division de l’offre
politique en deux blocs qui ne correspond plus tout à fait au classique «
gauche contre droite ».
Pour les macronistes, il s’agit surtout de faire mousser l’opposition
entre les « progressistes[3]
» & les « populistes »[4]
et d’organiser
médiatiquement la promotion du RN, afin de les laisser s’accaparer
une partie de l’électorat de droite. De cette façon, les stratèges de la LREM
espèrent sans doute affaiblir la droite (LR), encore relativement haut dans les
sondages (+/- 15%), et ainsi capitaliser un maximum sur la peur du RN[5].
Parce que, ne l’oublions pas, le duel LREM vs RN est le souhait le plus cher de
Macron, car le fait d’avoir un RN fort lui évite d’avoir à faire campagne sur
son bilan plus que trouble, étant donné que la peur de l’extrême droite à elle
seule suffit à mobiliser une bonne partie de l’électorat qui lui est
normalement hostile (pensons au 2e tour de l’élection présidentielle
!).
Le second point à souligner est la mobilisation de l’électorat
macroniste. Si le mouvement des « gilets jaunes » a rendu espoir à beaucoup de
gens de la gauche radicale, c’est qu’il a démonté que le peuple n’est pas aussi
apathique que certains pouvaient le croire. Ce que les « gilets jaunes » ont
démonté, par leur résistance acharnée et par le contenu positif de leurs
revendications[6],
est qu’il existe encore une grande force d’opposition sociale dans cette
portion du peuple, non partisan et politiquement inexploité.
Mais justement, l’autonomie du mouvement, celle qui explique la grande
unité qui règne parmi ses rangs, est aussi sa faiblesse sur le plan électoral,
puisqu’aucun parti d’opposition ne représente vraiment le mouvement. Ce qui
fait que les forces d’oppositions à Macron sont, d’un point de vue partisan,
plus divisé que jamais! À contrario, l’électorat macronien reste plus que
jamais uni derrière le président. Ceci, justement, en raison du mouvement de «
gilets jaunes » et malgré la violence politique et les affaires qu’il l’accable
! C’est un paradoxe probablement dur à digérer pour l’opposition, mais, eu
égard à la force du mouvement, il doit être analysé comme tel.
Notons, en dernier lieu, que l’abstention
risque d’être encore une fois très élevée (certains évoquent une
abstention dépassant les 60%) et que celle-ci touchera surtout l’électorat de
gauche, ce qui n’aidera pas la campagne de la France insoumise (FI) et détruira
probablement pour de bon ce qui reste du parti socialiste.
En résumé, nous avons présentement un climat social explosif et
normalement très favorable à la gauche radicale en France, mais c’est
ironiquement l’extrême droite et le parti gouvernemental qui semblent en tirer
profit. Évidemment, le résultat estimé du 26 mai prochain ne doit pas être
exagérément dramatisé, puisque le parlement européen est loin d’avoir de grands
pouvoirs. Cependant, le coût le plus dur risque de se faire ressentir au niveau
du moral des forces sociales, puisque toutes les conditions sont normalement réunies
pour la porter au pouvoir.
De plus, la nouvelle division politique, voulue par le pouvoir macroniste,
entre ces soi-disant « progressistes » et « populistes » enterre les
positions socialistes et déplace le positionnement de la gauche radicale dans
une catégorie commune avec l’extrême droite. Voir, pire encore, en les reléguant
en soutien de marge à sa politique européiste et néolibérale.
Ce saccage idéologique doit donc impérativement être stoppé. Mais, pour
ce faire, il n’y a pas de formule magique, si ce n’est de continuer le travail
de constitution d’un mouvement politique de grande ampleur en symbiose avec
celui qui a présentement cours. Mais comme le mouvement est fort du fait d’être
justement apartisan et que la création d’un parti de « gilets
jaunes » est actuellement une bien mauvaise idée, c’est encore dans la
persistance des mobilisations de rue que réside leur meilleure option à court
terme. Et ceci, malgré les violences du pouvoir.
Pour ce qui est de la gauche radicale, la FI en l’occurrence, un travail
de terrain redoublé et une mobilisation maximale de son électorat semblent être
la seule option gagnante à court terme, même si certains travers me semblent
encore à corriger. Notamment en ce qui concerne la question de l’adhésion ou
non à cette Union européenne, qui n’est en définitive qu’un traité de
libre-échange XXL qui se prend pour un État. Je sais que l’idée est surtout
d’aller chercher l’électorat socialiste de « gauche », qui s’illusionne encore
sur l’UE. Mais cela rebute également d’autres gens, plus lucides sur la
question, qui s’égareront dans les petits partis, voir dans l’abstention.
La seule voie qui me parait viable à moyen long terme, est de constituer
un mouvement de masse large et uni par un programme à la fois minimal (afin
d’éviter une trop grande division) et socialement radical. Le programme présidentiel
de la FI était à peu près dans cette veine, mais ce sont les vieux réflexes « antifascistes
» de certains de ses membres qui posent problème. Notamment le rejet de
personnalité populaire parmi les « gilets jaunes », comme Étienne Chouard, ou
sur de potentiels appels à faire « barrage » au RN (donc, appeler à voter
Macron). Rappelons que la meilleure façon de décrédibiliser le RN reste encore
de le laisser gouverner[7] !
De toute façon et au vu de la politique quasi fasciste de Macron/Philippe/Castaner,
il serait tout à l’honneur de la gauche radicale de refuser de choisir entre la
peste et le choléra !
Benedikt Arden, mai 2019
[1] Notamment, parce qu’il favorise
le vote de conviction et rend difficile le vote utile contre le parti qui est
le plus redouté.
[2] J’en ai expliqué les rouages dans mon
article publié avant l’élection de Macron.
[3] Les néolibéraux de LREM se considèrent ici comme «
progressistes », puisqu’ils voient les services publics, les syndicats, la
redistribution des richesses, etc. comme des « conservatismes ».
[4] Pour ce qui est du RN, la
division de la politique entre « mondialistes » contre « patriotes/nationaux »
est connue depuis longtemps.
[5] Peur de moins en moins
efficace, il faut le dire, et qui pourrait bien finir par le mettre au pouvoir!
[6] Ce qui n’est pas le
cas de la caricature de gilets jaunes que nous avons au Québec…
[7] Évidemment, je ne propose
pas à ce que la FI soutienne le RN, mais bien de ne pas soutenir directement ou
indirectement le parti présidentiel.