Définitivement, la lutte à l’antisémitisme est « l’antiracisme des
riches » ! Pas parce que les juifs seraient tous riches (cela va de soi), ni
parce que la défense de cette communauté serait intrinsèquement liée à la
défense de leur plus mauvais représentant, mais bien parce que c’est le type
d’antiracisme qui est le plus souvent manipulé par les conservateurs de tout
poil. Les exemples de cette affirmation sont légion et il n’est pas rare que
cette forme bien particulière d’antiracisme soit ironiquement le masque d’un
racisme bien plus grave encore, notamment quand il s’agit de défendre les
crimes de l’État d’Israël et de ses dirigeants.
Un exemple archétypal serait celui qui a récemment eu lieu, le 16 février dernier, en marge d’une des
manifestations des « gilets jaunes », à Paris. À l’occasion du 14e acte
du mouvement, l’académicien Alain Finkielkraut
aurait senti le besoin de prendre un bain de foule dans l’un des cortèges. Ce
qui l’a conduit à se faire insulter
par certains des manifestants, qui ne croyaient visiblement pas que sa présence
était opportune.
Les insultes dont le « philosophe » a fait l’objet n’ont cependant que bien
peu à voir avec son appartenance religieuse, mais seraient plutôt liées à ses
opinions politiques conservatrices, puisque ce sont les sobriquets de « raciste
» et de « sioniste » qui ont été entendus. En effet, il s’avère que le
personnage est assez connu pour sa défense du nationalisme israélien (le
sionisme) et de ses positions ouvertement réactionnaire, à
la limite du racisme. Notons au passage que ce genre de situation
n’est pas une première, pour le personnage, puisque celui-ci s’est aussi fait
expulser de façon tout à fait similaire, lors de sa visite
surprise dans l’une des « nuits debout » du
printemps 2016.
Malgré le fait que c’est d’abord et avant tout les opinions politiques
de Finkielkraut qui ont été mises en avant pour justifier son éviction, la « team
Macron » ne s’est pas privée d’utiliser ce fait divers afin d’accuser
le mouvement social qu’ils combattent de racisme
anti-juif (l’antisémitisme, quoi!), sans se priver de quelques
références opportunes aux années 30, histoire de faire bon chic bon genre… De
son côté, le président Macron, oubliant pour le coup sa récente réhabilitation
du Maréchal Pétain, ses lois contre la liberté
d’expression, de manifestation
et toutes celles contre
les pauvres, s’est senti la responsabilité de revêtir les habits des
Martin Luther King et des Nelson Mandela de ce monde afin de dénoncer
« la haine » de ces gueux qui osent encore porter des gilets jaunes,
malgré cette « tragédie » qui l’arrange tant ! Il n’est d’ailleurs
pas le seul à emboiter le pas. Toute l’intelligentsia
autorisée à penser s’est immédiatement mise en ordre de bataille pour protéger
le régime et ses représentants, en récitant leur chapelet « des heures les plus
sombres de l’Histoire » de la manière la plus grotesque possible. Il a même été
question d’élargir la définition de
l’antisémitisme à l’antisionisme afin de le rendre illégal !
À l’exemple des Manuel Valls et des Bernard Henri Lévis, il s’est créé
une véritable profession de la récupération des événements de la Deuxième
Guerre mondiale pour appuyer des politiques qui devraient normalement être dénoncées
par ces mêmes événements. Mais qu'à cela ne tienne! Aucune limite
n’est trop grossière pour utiliser les souffrances d’hier pour justifier celles
qui ont lieu aujourd’hui! Et ceci ne se limite pas uniquement aux crimes de
l’État d’Israël. Non ! cela s’applique également au salissage des mouvements et
des individus qui luttent pour la paix et la justice dans le monde. C’est
devenu une règle presque implicite. Pensez à n’importe quelle personnalité
progressiste que les partisans de l’impérialisme otanien et d’Israël détestent
et vous y trouverez fatalement des accusations d’antisémitisme à la clé. Et
cela même si le concerné est lui-même juif (pensons juste à Noam Chomsky!).
C’est pour toutes ces raisons que je prétends que la lutte à
l’antisémitisme est « l’antiracisme des riches ». Je ne nie absolument pas
qu’une haine des juifs existe bel et bien et qu’elle soit en hausse. Seulement,
cette haine n’a pas du tout la même origine que celle des années 30 et n’est
aucunement comparable sur le fond. Si l’antisémitisme progresse dans les têtes,
c’est d’abord parce que le sérieux de cette lutte s’est énormément dégradé à
force de se faire manipuler pour le compte des pires causes.
À force d’utiliser la lutte à l’antisémitisme pour la défense des
privilégiés et des riches, certaines personnes peu politisées en viennent à
incuber une certaine haine envers ceux perçus comme « privilégiés ». Je mets ce
privilège entre guillemets, car il s’agit bel et bien d’un préjugé. Mais il est
compréhensible que ceux qui souffrent dans l’indifférence générale puissent cultiver
du ressentiment à leur endroit, à force de voir chaque événement les touchant (aussi
banal soit-il) se transformer ipso facto
en scandale national. Sachez que ce qui est arrivé à Alain Finkielkraut (se
faire insulter) arrive tous les jours! Même aux gens connus. Il n’est donc pas
normal que toute la sphère médiatique et politique s’enflamme de la sorte pour
un simple fait divers. À vrai dire, même Finkielkraut a fini par s’en
agacer tellement le sketch devenait grotesque.
Tout ce zèle et cette fermeté envers la protection de cette communauté
bien précise (déjà, de surcroît, fort bien représenté dans l’élite et dont le
poids politique et médiatique reste très puissant) ne peuvent que susciter la
jalousie des autres communautés, voire d’alimenter la théorie d’un complot juif.
Cette situation explique aisément la montée de l’antisémitisme dans la
communauté musulmane et à plus faible raison dans le reste de la population,
sans avoir à chercher dans le suprématisme blanc ou autre.
Cette jalousie et cette haine sont donc ironiquement causées par
l’action de ceux qui se spécialisent dans la recherche des antisémites et de
ceux qui utilisent cette cause pour des intérêts qui n'ont que bien peu à voir
avec le vivre ensemble. Autrement dit, « l’antiracisme des riches » dessert le
sort des gens qui en sont les victimes bien plus qu’il ne le combat.
Contrairement au bon sens qui devrait n'y voir qu'une simple réaction
face à une inégalité de traitement, Finkielkraut et ses amis y ont néanmoins vu
un « racisme
des antiracistes ». Thèse très peu partagée en dehors des milieux
d’extrême droite, elle est probablement la cause principale des insultes que le
personnage a reçues lors de son éviction, malgré l’utilisation d’autres
sobriquets.
Même s’il s’agit visiblement d’un non-événement et que l’antisémitisme
n’a été qu’une manipulation des « marcheurs » et de leurs alliés, je crois
qu’il reste nécessaire de rappeler qu’il ne faut pas tomber dans le piège de la
rhétorique identitaire. Si je comprends le sentiment d’injustice qui s’exprime au
travers de ce rejet des juifs, du sionisme, voir des « blancs » en général, il
me semble tout de même indispensable de rappeler que le relatif confort d’une
communauté n’est pas une excuse à sa discrimination. La haine engendre la haine
et les stéréotypes induits par ces préjugés divisent les rangs de ceux qui
doivent vivre ensemble et s’unir dans la lutte.
Nous avons le devoir de critiquer le sionisme et leur représentant. Mais
sachons éviter de propager des thèmes qui arrangent le pouvoir et qui poussent
nos camarades juifs du côté des forces réactionnaires. La lutte contre le racisme
est la pierre angulaire de la lutte sociale, ne le perdons jamais de vue.
Benedikt Arden (mars 2019)