lundi 26 novembre 2018

Urbanisme & écologie, des concepts indissociables


La préoccupation écologique et les problèmes qu’engendre notre mode de vie sur celle-ci ne sont plus une nouveauté pour grand monde et ceci depuis bien longtemps. Avec le temps, le pourcentage de gens qui croient que ces considérations doivent prendre le pas sur celles d’ordre purement économique, lorsqu’il est question de projets d’infrastructures majeures, ne cessent d’augmenter. Et c’est bien normal puisque ces futurs développements ont la fâcheuse tendance d’être en opposition directe avec les engagements écologiques, en termes de réduction des gaz à effet de serre (GES) et de biodiversité, que les gouvernements tentent, plus ou moins sérieusement, de mettre en place depuis des décennies.

Cette constante contradiction n’est pas non plus une nouveauté, puisqu’il est bien ardu de faire coïncider les intérêts d’une économie dite « libérale » aux impératifs écologiques qui caractérisent notre siècle. On comprend aisément que les acteurs du privé ont de la difficulté à articuler leurs intérêts à ceux de l’Humanité et de la vie sur Terre. Mais, pour ce qui est des infrastructures publiques, on aurait pu croire que les choses seraient plus faciles. Les décideurs n’ont-ils pas en tête leurs engagements lorsqu’il est temps d’inaugurer des projets d’envergure? Hélas, les « vraies affaires » et les intérêts politiciens de court terme ont tendance à prendre le pas sur les bons sentiments que les politiques évoquent lors des cénacles internationaux. Quand ceux-ci ne font pas carrément partie de la mascarade. 

L’un des exemples que nous offre l’actualité est ce fameux 3e lien, entre la Rive-Nord et la Rive-Sud des villes de Québec et de Lévis. Issue de demandes répétées par la ville de Québec, celle idée fut finalement récupérée par la CAQ comme promesse électorale lors de la dernière campagne. Maintenant que le nouveau gouvernement caquiste est bien en selle et qu’il souhaite toujours aller de l’avant avec ce projet, le débat est de retour sur la place publique. Et celui-ci remettra donc au goût du jour cette sempiternelle opposition entre développement économique, via de nouvelles infrastructures, et écologique. Le débat a d’ailleurs pris une tournure absurde, depuis la mise en ligne de la vidéo de Catherine Dorion, comparant ce 3e lien à « une ligne de coke », puisque les droitards et les anti-solidaires ont fait des efforts surhumains pour faire déraper le débat. Cela dit, les histoires de vulgarité et de VUS sont à ce point ridicules qu’elles ne risquent pas de s’éterniser et n’empêcheront pas la question du 3e lien d’être sérieusement posée.

Cette question, celle que Catherine Dorion et bien d’autres soulignent, est que l’augmentation des voies d’accès à la ville de Québec, via des autoroutes, des ponts des tunnels, etc. n’est qu’un remède temporaire qui, au bout du compte, s’avérera plus nuisible qu’autre chose sur le moyen long terme. La comparaison avec « la ligne de coke » est surtout liée au fait que le « high » des premiers mois sera vite comblé par une augmentation du problème, puisque plus d’offres d’accès en ville sous-entendent une augmentation de l’étalement urbain autour d’une ville qui, elle, ne peut s’étirer. Et c’est cet étalement urbain qui est à l’origine de la congestion et de la pollution automobile.

Évidemment, je partage son opposition au 3e lien et, hormis que sa comparaison parlera sûrement beaucoup plus aux consommateurs et aux ex-consommateurs de cocaïne qu’à ceux qui n’en ont jamais fait l’expérience, je crois que l’objectif de remettre cette question au centre du débat public est relativement atteint. Et ceci malgré les cris d’effroi de toutes ces âmes effarouchées qui se déchaînent contre son franc parlé. Cela dit, je crois tout de même qu’il y a quelques manques à la position qu’elle ainsi que bien des militants écologistes exposent. Sans prétendre que leurs options politiques seraient simplistes, je crois qu’il faut prendre un peu plus de hauteur, puisque la gravité de la situation l’exige. En fait, je crois qu’il est important de bien définir nos revendications puisqu’elles n’ont pas le luxe d’être trop imparfaites. C’est déjà assez difficile de changer les choses comme ça, alors aussi bien les mener à bien!

Comme mentionné précédemment, l’écologie n’est plus une notion qui passe inaperçue. Cependant, les choix exposés lors des débats qui l’entourent me semblent souvent limités à des solutions qui sont déjà en place dans plusieurs villes et qui ne me semblent pas suffisantes en elles-mêmes. L’augmentation des GES (pour ne parler que de cet aspect du problème) n’est-elle pas en constante explosion, malgré ces avancées ponctuelles. Mais ces solutions, quelles sont-elles ? Sans surprise, celles-ci sont toutes plus ou moins liées aux transports et aux énergies qu’elles utilisent. En vérité, l’innovation écologique contemporaine ne s’aventure que rarement au-delà de l’investissement dans les transports en commun, de l’électrification des moyens de transport et dans la limitation du trafic urbain, voire de son interdiction des centres-villes. On remarque du coup que ce sont également les seules solutions écologiques qui s’harmonisent un tant soit peu avec le mode de production capitaliste.

La réalité cachée derrière ces solutions est que le fardeau de la transition écologique est imposé aux seuls citoyens, mais la part de l’entreprise est généralement laissée à sa seule bonne volonté. Ceci au nom de la compétitivité, bien sûr ! Pour ce qui est du programme de QS, je ne leur ferai pas l’affront de prétendre qu’il se limite aux mesurettes énumérées ci-dessus (ils ont un programme économique conséquent). Seulement, je crois que la question du 3e lien nous offre une belle occasion de revoir quelques notions qui n’apparaissent pas dans le programme solidaire et qui sont rarement abordées.

Pour faire simple et pour paraphraser Catherine Dorion, je crois qu’au même titre que le 3e lien, l’amélioration des transports en commun dans les grandes villes sera aussi comme une « ligne de coke », puisque ces villes ne peuvent pas s’agrandir et ne peuvent être occupées que par un nombre limité de gens. Ce qui veut dire que ce que l’on perd en voiture sur les routes, on le gagne en demande d’habitations urbaines. Ce qui aura fatalement pour conséquence d’augmenter leur prix. Autrement dit, une gentrification accélérée des secteurs desservis par les transports en commun, un exode des pauvres hors des villes et une augmentation de la demande de transport en zones périurbaines, puisque l’économie et les services sont tous concentrés en ville. En définitive, ce sont simplement les plus pauvres qui remplaceront les classes moyennes sur les ponts et les autoroutes. Enfin, ceux qui seront en mesure de se procurer une voiture !

En y regardant de plus près avec la loupe sociale, on remarque rapidement tous les impacts sociaux négatifs qu’implique le modèle des villes « écologiques », notamment le fait qu’elles sont souvent beaucoup plus chères que les autres (Zurich est à la fois la ville la plus écologique et la plus chère du monde !) et qu’elles parquent les pauvres dans des zones pratiquement abandonnées et sans perspective économique[1], ce qui empire de beaucoup leur précarité. Autrement dit, la ville sans voiture est un luxe typiquement bourgeois.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’usage d’un véhicule ou du métro en ville est peut-être un choix pour certains, mais le besoin d’accès à la ville ne l’est généralement pas. Depuis des décennies, tout y est centralisé pour des raisons qui n'ont pas grand-chose à voir avec la qualité de vie des citoyens et encore moins de l'environnement. De plus, c’est en ville que se trouvent les universités, les grands hôpitaux, la majorité des services publics et la grande masse des emplois ! Autrement dit, les gens sont contraints d’aller en ville et je suis assez certain que Montréal pourrait bien vite ressembler à Naypyidaw en Birmanie (j’exagère, je sais) si l’urbanisme était pensé autrement. Je ne crois vraiment pas que les automobilistes, qui perdent deux à trois heures par jour dans les embouteillages, les usagers du métro, pressés en sardines à l’heure de pointe, et les cyclistes, qui risquent leurs vies entre les connes oranges, les autobus conduits par des « psychopathes » et les rageux du volant, vont et viennent en ville pour leur seul plaisir ! Il y a toujours une bonne dose d'obligation dans l'origine de ce besoin de transport.

La réalité est que c’est le besoin de transport et non les moyens de transport qui sont la racine du problème. Plus on rend incontournable le passage en ville, plus on engendrera des problèmes de transport ou de gentrification. Que ce soit des problèmes de chertés, comme en Europe, ou de transports, comme en Amérique du Nord, le problème vient d’abord de la centralisation dans les métropoles. Et croyez-moi, il serait beaucoup plus facile de décentraliser les centres urbains que de zigzaguer entre les fausses solutions, si nous voulons améliorer notre bilan carbone.

Au même titre que nous devons relocaliser la production, il serait urgent de relocaliser le trio de la vie que sont : l’habitation, le travail et la consommation. Du moment où le travail n’est plus concentré au même point, on n’a plus à se soucier des embouteillages et leurs impacts sur la qualité de vie s’en trouvent grandement diminué. On peut donc facilement imaginer une ville en miniature où les lieux de travail et les services publics côtoient les habitations et les commerces, comme dans les quartiers les plus prisés de la métropole (le plateau, Villeray, Rosemont, etc.). Je sais que le mode de vie urbain est généralement jugé comme plus écologique que le mode de vie périurbain ou rural, mais c’est d’abord à cause de la centralisation des métropoles qu’il en est ainsi.  

Tout ça est bien beau, me direz-vous, mais comment on fait pour organiser l’urbanisme si les entreprises ne jouent pas le jeu? C’est malheureusement ici que le bât blesse, car nous savons d’expérience que l'organisation écolo urbaine que je propose est particulièrement sensible aux variations de l’économie actuelle, puisqu’elle doit se bâtir sur une quantité limitée d’industries. Il ne vous a sûrement pas échappé que des villes québécoises comme Murdochville, Gagnon et Joutel ont toutes été construites sur la base d’une seule industrie et qu’elles sont mortes aussitôt que celle-ci fut mise à l’arrêt. Seulement, comme pour la production, l’économie du futur ne peut se permettre de s’appuyer sur les seules volontés de l’entreprise privée. Surtout dans cette époque néolibérale, qui laisse des multinationales être dirigées par des conglomérats d’actionnaires avares et incompétents.

Non, pour qu’un urbanisme réellement écologique voie le jour, il faut d’abord en finir avec l’économie dite « libérale ». C’est-à-dire cette soi-disant « liberté » qui ne profite qu’aux plus riches et qui brime la liberté d’organiser la société sur une base rationnelle. Sans pour autant attendre le grand soir de la révolution socialiste, il est pourtant encore possible d’imaginer un contrôle ferme du secteur privé, en ce qui a trait le lieu d’installation. De plus, le soutien du modèle coopératif dans les secteurs visés par une banque d’État et une organisation conséquente de la fonction publique serait probablement à même de soutenir une décentralisation économique du Québec. De toute façon, il serait inutile de créer des villes aussi éloignées que celles citées plus haut, puisque les municipalités et les petites villes au Québec ne manquent absolument pas.

Ce petit topo n’a évidemment pas pour objectif de régler tous les problèmes qui se poseront. Ce genre de projet de société demande bien des réflexions et phase d’essais-erreurs, qui met de côté la pensée magique. Cependant, je crois que l’importance de la cause environnementale peut aisément se permettre le travail à faire. Simplement, l’écologie ne doit plus faire cavalier seul et doit impérativement être pensée en terme social pour être vraiment pertinente. Reste toutefois encore à faire accepter l’idée que la planification écologique ne peut se faire sans un certain contrôle de l’économie. Contrôle qui ne peut malheureusement plus se permettre le luxe du régime capitaliste.

Benedikt Arden (novembre 2018)



[1] C’est parce que ces quartiers sont abandonnés et sans perspective qu’ils ne sont pas couteux et c’est parce qu’ils ne sont pas couteux que les pauvres y habiteront. La suite vous la connaissez, puisque l’expérience a été faite en France et dans plusieurs autres pays européens.