Après une campagne électorale exaspérante à tous les niveaux[1], c’est dans un état
d’agacement assez avancé que j’ai pu enfin contempler ses résultats. C’est donc
avec une nette majorité de députés que cette fameuse « Coalition avenir
Québec » (CAQ) s’est fait élire par un peu moins de 25 % la population québécoise. Même
s’il faut bien sûr relativiser la masse de ce vote en faveur de la CAQ, il est
incontestable qu’une bonne partie de la population a choisi de donner congé aux
libéraux via une vague du genre de celle de 2011, avec le NPD de Jack Layton.
Cette vague mit donc en grave déroute le Parti libéral (PLQ), mais frappa
encore plus son ancien rival, c’est-à-dire le Parti Québécois (PQ), qui a fait
un score record en termes d’effondrement. De son côté, Québec solidaire récolte
l’ensemble de toutes les circonscriptions que le parti estimait « prenables ».
Ce qui n’est pas anecdotique, étant donné que le parti de gauche prend enfin
des places hors de l’île de Montréal pour s’installer à Québec, Sherbrooke et
Rouyn-Noranda.
La nouvelle députation est donc de 74 pour la CAQ, 31 pour le PLQ et de
20 pour le PQ et QS (10 pour chacun). Évidemment, l’analyse des résultats sera
en fonction d’où l’on trouve notre sympathie dans le quatuor, mais il est
incontestable que les lignes ont bougé et que les perspectives politiques
entrent désormais dans une nouvelle ère. Cette nouvelle ère devra
nécessairement ouvrir de nouveaux enjeux et changer les thèmes habituels qui,
il faut bien l’admettre, sont vraiment usés au dernier degré…
Enfin, ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour chercher de «
nouveaux débats », puisqu’une semaine à peine s’est-elle passé que le cirque
des « accommodements raisonnables » et de l’identité est revenu hanter le débat public, comme aux
époques peu bénies de la commission
Bouchard-Taylor
et de la charte des
valeurs! Il
fallait de toute façon s’y attendre, car il est clair aujourd’hui que la
question identitaire a énormément joué dans le plébiscite, malgré les
incohérences du projet caquiste. Mais enfin, tout cela est un autre sujet.
Ce que j’entends par « nouveaux enjeux » a plutôt à voir avec la
conjoncture « gauche/droite » contre « indépendantisme/fédéralisme », puisque
la seconde division politique, lors de cette campagne électorale, s’est
complètement fait enterrer sous la première. Et notons que bien peu de
commentateurs, en dehors de quelques irréductibles indépendantistes, s’en
soient vraiment désolé. La montée de la CAQ, de QS et de ce qui les oppose en
est la démonstration la plus évidente, même si le mode de scrutin et les
positionnements des partis traditionnels obscurcissent encore cette tendance.
Les indépendantistes « purs et dures » auront beau s’en désespérer, mais il
semble en aller ainsi depuis bien des années et je me permets de rappeler que
les partis qui se disent indépendantistes en sont eux-mêmes largement
responsables.
Depuis la fusion d’Option nationale avec QS et le suicide
du Bloc Québécois[2], il n’existe plus de parti politique
strictement indépendantiste, alors il n’est pas anormal de voir cette cause
perdre de l’importance dans le débat public. D’autant plus que le
« vaisseau amiral » du mouvement n’a strictement rien fait sur le
sujet en plus de 20 ans! Évidemment, QS propose l’indépendance, via la mise en
place d’une constituante, cela est un fait, mais le parti n’est pas totalement
indépendantiste dans sa composition, étant donné qu’une part minoritaire, mais
non négligeable de ses membres et de son électorat est indifférente, voire
hostile, à la question. Néanmoins, j’admets sans peine que QS a fait quelques
bons points dans cette direction et qu’il offre un renouveau à la question qui
doit être salué.
Du côté du PQ, je ne crois plus vraiment nécessaire de rappeler ce que
je répète
depuis des années maintenant, à savoir que ce parti est gangrené par l’opportunisme
et le carriérisme le plus incurable. Ce qui fait qu’il est incapable de servir la
cause de l’indépendantiste sérieusement. En réalité, le PQ se sert beaucoup
plus des indépendantistes qu’il sert l’indépendance.
De plus, l’instrumentalisation partisane qu'en a fait le PQ depuis 1995
et le fait de tergiverser entre la droite et la gauche sur les autres questions
devaient forcement porter ses fruits. Disons que maintenant le fruit est tombé,
puisque le parti a réussi l’exploit de perdre à la fois son électorat
identitaire et progressiste. De toute évidence, il ne pouvait en être
autrement, car le ciment qui unissait le parti (la cause indépendantiste) a été
volontairement et officiellement mis de côté par son ancien chef. François
Lisée a donc misé sur le dépassement de la raison d’être du parti pour essayer
de remodeler le PQ selon la thèse de « l’autre gauche » avec les
résultats que l’on connaît aujourd’hui. J’ajouterais qu’ils ont précédemment
politisé la question identitaire, avec l’épisode de la charte des valeurs ainsi
qu’avec les thèmes de l’élection
de Lisée comme chef du PQ, pour ensuite l’abandonner à la CAQ et finalement se positionner au
centre gauche. Enfin, il y a des raisons que la raison ignore !
De toute façon, les tactiques électorales du PQ manquent cruellement de
sérieux depuis bien des années et je crois avoir fait le tour de la question.
Pour le moment, ce qui importe c’est l’évolution de la question nationale,
puisqu’elle est la clé de voûte de la question sociale et environnementale.
Mais dans l’état actuel des lieux, que pouvons-nous espérer du futur ? De toute
évidence, il serait absurde de compter sur un changement de cap en provenance
de la CAQ.
De plus, la députation du PQ et de QS est anecdotique en plus d’être
dans l’incapacité
de s’entendre.
Il est vrai que la CAQ a promis de
réformer le mode de scrutin... Mais, comme on dit « les promesses n’engageant que ceux qui les
croient ». J’imagine que notre nouveau premier ministre ne me reprochera
pas d’être septique sur cet engagement mainte fois
trahi par ses anciens collègues. Je comprends bien que la mise en place de la proportionnelle est le
genre de mesure qui est malaisante à faire lorsque le vieux mode de scrutin
vous fait gagner les élections ! Cependant, laissons la chance au coureur et,
qui sait, serons-nous témoin d’une réelle avancée progressiste opérée par la
CAQ?!
Pour le moment, la perspective semble toujours bloquée et il n’y a pas
trop de raisons de se faire optimiste. Après tout, la droite est au pouvoir,
même si elle l’est depuis toujours d’un point de vue socialiste. Toutefois, il
y a certaines avenues qui peuvent être envisagées. La première est l’échec plus
que prévisible de la CAQ dans l’ordre canadien. À moins que le Parti
conservateur soit en mesure de faire réintégrer les dissidents, qui ont suivi
Maxime Bernier au Parti
populaire du Canada, il est peu probable que le Parti libéral de Justin Trudeau (le PLC)
soit radicalement battu aux élections fédérales de 2019, comme le fût le PLQ.
Dans ce cas, François Legault et sa CAQ risquent fort de redonner indirectement
un second souffle à l’option indépendantiste, s’il devait se tenir minimalement
debout, puisqu’ils tomberont inévitablement en guerre avec le fédéral. Et si,
cas plus probable, Legault se couche pour faire plaisir à son aile fédéraliste,
il sera déconsidéré très rapidement par son électorat, ce qui offrira des
conditions plus que favorables à une montée de Québec solidaire.
En second lieu, la question des relations entre QS et le PQ. Loin de
croire en un rapprochement, je crois plutôt que les lignes de partis actuelles
devraient diverger fortement. Les plateformes seront nécessairement amenées à
changer, puisqu’elles se partagent en bonne partie le même électorat et ceci
avec les résultats qu’on connaît.
À mon avis, le balancier idéologique du PQ devrait continuer, mais
plutôt vers la droite. Je serais bien surpris de les voir en revenir à
l’indépendance après une génération tergiversation. Mais pour le moment, rien
n’est définitif et il est possible d’avoir quelques surprises en provenance
d’un futur chef, mais la culture interne du parti et la jurisprudence qu'a
créée la crise du Bloc québécois ne semblent pas du tout favorables à cette
option.
Ensuite, en ce qui concerne QS, je crois assez crédible qu’ils se
maintiennent dans la voie du populisme de gauche. Cependant, ils ont encore
beaucoup à faire pour s’y épanouir pleinement, car le parti reste encore très
idéologique sur des questions qui sont loin de faire consensus et ainsi
véritablement percer dans le reste du Québec. Et je ne parle pas de la question
nationale.
Par exemple, la question identitaire qui défraie présentement la
chronique. Même si elle est organisée par les médias de la pire façon qui soit,
les forces de gauche ne devraient pas interpréter les relations entre la
majorité et les minorités sous le filtre « dominant/dominé ». Mais bien comme
des populations qui ont des sensibilités différentes, mais qui souffrent des
mêmes problèmes.
La lutte contre le racisme ne devrait pas être un obstacle à l’empathie
qu’on doit à ceux qui craignent l’évolution identitaire du Québec, puisque
cette crainte n’est bien souvent que le reflet de la peur du déclassement
social. L’extrême droite en occident se fait aujourd’hui le champion des
classes moyennes en phase de paupérisation et les manipule en luttes
religieuses, voire raciales. C’est ce terreau mal irrigué qui a propulsé Trump
et la CAQ au pouvoir et qui fait monter les partis hostiles aux immigrants un
peu partout. Pourtant, un tant soit peu de travail envers cette population
pourrait transformer cette peur et cette haine en conscience de classe. Ce qui
serait plus que la bienvenue par les temps qui courent.
Pour finir, je crois que les prochaines années seront bien difficiles
pour le mouvement indépendantiste. Toutefois, l’indépendance n’est pas le genre
de cause qui se dépasse si aisément, puisqu’elle est issue des vices profonds
de l’État canadien. C’est pourquoi il ne m’est pas douteux qu’elle revienne en
force lors du prochain duel avec le fédéral. Si aujourd’hui l’indépendance
politique semble céder le pas au nationalisme culturel pour les gens de droite,
la gauche la reprendra d’autant plus volontiers que la division gauche/droite
du débat s’opérera. Je sais bien que la cause de l’indépendance doit passer par
un soutien qui va au-delà de la gauche, mais le problème actuel est plus de
remettre à jour les contours du projet que de le réaliser. Alors il ne me
semble pas sans intérêt que celle-ci campe temporairement à gauche afin qu’elle
soit redéfinie dans des termes plus politique et moins identitaire. De toute
façon, j’ai déjà démontré que la cause indépendantiste était une idée
fondamentalement de gauche, même si une portion de la droite pouvait s’y
rallier pour des conceptions qui lui sont propres.
Enfin, souhaitons que cette nouvelle donne politique soit un nouveau
point de départ!
Benedikt Arden (octobre 2018)
[2] J’ajouterais que le Bloc
s’est depuis officieusement rallié au fédéralisme, lors du retour des renégats,
puisque c’était leur condition de retour.