Depuis le 23 août 2018, un vent de démagogie frappe le Québec. Cette
rafale de pancartes aux slogans creux, ces promesses souvent ridicules et ces
sondages bidon... Tout cela nos compatriotes le reconnaissent fort bien, car il
s’agit des 42e élections que connait le Québec depuis la
constitution de 1967. Néanmoins, ces élections, sans pousser des enjeux à ce
point extraordinaires, auraient bien pu être un évènement digne d’intérêt, si
notre système
électoral n’était pas à ce point bloqué.
Malgré toute l’inertie que constitue ce simulacre de démocratie, les
périodes électorales restent encore globalement les meilleures pour inciter
notre population aux débats. Et ainsi revivifier leur esprit critique, un peu
trop habituée à se laisser diriger par cette clique de beaux-parleurs. Dans ce
contexte, il est tout à fait pertinent de mettre en place notre propre agenda
électoral afin de mettre notre grain de sel dans ce flot de polémiques
convenues pour ainsi rappeler que l’avenir du Québec ne pourra pas toujours
passer outre les enjeux du monde, si nous voulons exister en tant que peuple.
Parmi ces enjeux de fond, l’équilibre écologique reste évidemment
l’élément central de ce qui devrait compter comme fondamentaux politiques. Même
si cet enjeu est loin d’être le seul à importer, l’équilibre écologique devrait
normalement être de tous les débats, car il ne s’agit de rien de moins que de
la condition de notre existence sur terre! Mais au détriment de tout bon sens,
celui-ci est souvent rangé au même titre que les embouteillages urbains et la
baisse des impôts...
Il serait néanmoins faux de prétendre que l’enjeu n’est pas déjà une
préoccupation centrale de la population. Il est cependant encore bien difficile
de faire comprendre aux masses que cette question est insoluble dans le mode de
production actuel et que les réformettes actuellement proposées sont bien loin
de faire le compte. Il est effectivement impossible de mettre en place une
production écologiquement équilibrée dans une économie mondialisée et
administrée par des accords de libre-échange, qui ont été fondés sur des
croyances issues du 18e siècle! C’est-à-dire sur un libéralisme
imaginé sur la base qu'il y aura toujours assez pour créer plus.
De nos jours, cette croyance en un gisement de richesses sans limites,
créées par un Dieu pour le seul règne des humains, semble fort dépassée.
Cependant, les conséquences funestes de cette croyance irrationnelle sont
toujours à l’œuvre, via recherche de la « croissance verte ».
Évidemment, cette croissance n’est plus conceptualisée comme étant
nécessairement issue de la production de marchandises classiques, puisqu’on
donne de plus en plus de place à la production virtuelle et aux secteurs des
services. Cependant, il n’en demeure pas moins irrationnel de croire qu’une
croissance perpétuelle de l’économie puisse s’accompagner d’une décroissance de
la production de produits polluants, puisque notre système économique est fondé
sur le gaspillage des ressources. C’est cette croyance en cet « Eldorado » du
développement durable, qui explique en grande partie le maintien de ce délire
productiviste.
Cependant, cette fameuse « croissance verte », éternellement remise à un
hypothétique lendemain, ne dupe que ceux qui veulent bien l’être et sert
surtout les intérêts des bénéficiaires du statu quo. Et de ce statu quo, rien
n’en sortira de bien gaies, même pour ses plus nets bénéficiaires. C’est
pourquoi les acteurs principaux du désastre qui vient se dégagent généralement
de leurs responsabilités en évoquant des contraintes issues des règles d’un
système construit, certes par d’autres, mais qui n’a jamais été autrement pensé
que pour le seul bénéfice d’un capitalisme tout puissant. Autrement dit, sans
considération à long terme pour le maintien de la vie sur Terre.
Mais au-delà du cynisme ou de l’aveuglement volontaire, cette volonté de
croissance économique continue n’est pas seulement issue de croyances
irrationnelles, mais également d’une nécessité pratique du système. Il est
effectivement facile de comprendre que la croissance économique permet aux
capitalistes d’accumuler une part toujours plus grande des richesses si celle-ci
grossit, mais c’est aussi le fondement du « libre marché », donc du libéralisme
économique, puisque sans croissance, il ne peut y avoir « liberté » d’accumuler
sans créer un monopole unique à plus ou moins longue échéance. Celui qui finira
inévitablement par capter toutes les richesses. Comme chacun sait, dans un
système économique sans croissance, il ne peut y avoir d’accumulation continue
des richesses par les uns sans spolier les autres. C’est dans cette perspective
que les gouvernants, comme les capitalistes, cherchent à augmenter la
croissance, donc la quantité globale de richesse, puisqu’ils doivent également
trouver les fonds pour administrer cette société qui crée la richesse.
Le problème, que tous devraient maintenant voir clairement, est que
cette croissance ne peut qu’être stoppée à brève échéance par les limites mêmes
qu’impose notre Terre. Limites maintenant chiffrées et datées pour
l’essentielle des dorées rares et indispensables. Cette fin du modèle
productiviste posera donc un choix décisif sur l’organisation de la société.
C’est-à-dire, celui de la distribution des richesses restantes dans le cadre de
la transition écologique, puisque l’on ne pourra plus compter sur
l’augmentation de la production pour entretenir l’appétit de cette classe d'hyper
riches qui structure le mode de production capitaliste. Dans ces conditions, il
est évident que la gestion de la rareté, donc la planification de la production,
soit l’unique salut de nos sociétés.
La grande question qui traverse notre époque est donc la suivante :
si la planification économique de la
rareté est l’horizon inévitable de notre temps, quel sera le régime
politico-économique de demain ? La réponse à cette question réside dans un
choix très simple. Ce sera le fascisme ou
le socialisme … rien de moins!
J’utilise des termes extrêmement forts, c’est vrai. Mais ils n’en
demeurent pas moins justes, puisque l’organisation économique et le partage des
richesses passeront nécessairement par la question toute simple de « qui décidera »? Soit le monde sera
dirigé par une petite caste qui organisera la société sur la base de leurs
privilèges,
soit c’est la société qui s’organisera elle-même, selon sa volonté propre. Le
capitalisme libéral que nous connaissons est condamné et nulle technologie ne
le sauvera sur le long terme. Il est donc urgent de mettre sur la place
publique ce choix et ainsi en déduire les politiques qui se doivent d’être faits.
Pour ma part, je refuse d’être assujetti à ce monde servile qu’on nous
prépare, car ceux qui nous gouvernent ne risquent pas d’organiser le socialisme,
c’est une certitude. C’est pour cette raison que je me dois d’appuyer ce qui va
dans le sens de la démocratie politique ET économique. Les deux concepts étant,
nous venons de le voir, fondamentalement liés dans cette perspective d’avenir.
Pour y arriver, il n’y a pas trente-six solutions. Il faut que le
rapport de force soit favorable à la multitude et que le 1% du 1% des plus
riches soit dans l’incapacité de faire croire en une perspective inégalitaire
acceptable démocratiquement. La société étant divisée en classes de plus en
plus inégales, c’est en créant de l’hostilité entre les classes du bas que
celles du haut arrivent à maintenir leur domination. Tout ce qui tend à obscurcir
l’intérêt commun des basses classes mine nos chances de se libérer de cet
avenir funeste. C’est pourquoi les délires identitaires de la droite comme de
la gauche sont tout particulièrement à combattre.
L’intérêt des masses étant plus que jamais dans la guerre des classes, il
importe d’éliminer toutes formes de thèses qui nous éloignent de cet impératif.
Il est également fondamental de remettre au goût du jour le concept de
souveraineté. Il est absolument impossible de changer quoi que ce soit si les
leviers du pouvoir sont ailleurs. Et comme c’est au peuple de décider (qui décide?), il faut que les entités
politiques soient représentatives des peuples qui la composent.
Dans notre cas, le Québec est depuis toujours administré par des pouvoirs
qui ne sont aucunement réformables. Le Canada actuel ne fait pas exception.
C’est pour cette raison que le Québec doit devenir un État souverain. Mais pas
un État croupion, indépendant d’apparence, mais un État capable de maintenir
une politique, même si ses voisins la récusent. Il est certain que ce genre
d’indépendance sera difficile à obtenir et encore plus à conserver, mais c’est
sur la base de nos réussites que nous pourrons aider les autres peuples à
suivre notre exemple.
Inutile de rappeler que les promoteurs de ce fameux rêve d’une planète
unifiée sous une démocratie mondiale feront leur habituel chantage au « nationalisme
», mais nous devrons rejeter leur impérialisme déguisé, comme le dernier des
colonialismes. La démocratie comme elle existe aujourd’hui n’est simplement pas
possible à l’échelle du monde, puisque c’est dans sa plus petite expression que
la démocratie prend son sens véritable. Il n’existe donc pas d’autre façon de
refaire le monde que de mettre en place une humanité composée de nations
souveraines, organisées et coordonnées par des cénacles internationaux où tous
doivent être égaux, sur le modèle de la démocratie à l’intérieur des États. Et
pour ce faire, il n’existe pas d’autre moyen que de briser les États coloniaux
et impériaux qui coordonnent le monde actuel à leur guise.
Vaste projet, me direz-vous. Certes, mais il n’est pas moins sage de
prendre quelques reculs afin d’y voir mieux et, surtout, plus loin. Alors, même
s’il est difficile de faire admettre des changements aussi fondamentaux dans les
débats, où la simple réforme de mode de scrutin passe encore pour une
révolution, il ne faut pas perdre de vue l’ensemble des fondamentaux qui
doivent guider nos choix et actions.
Dans les conditions actuelles de la campagne, ni la démocratie
économique ni la souveraineté n’est à l’ordre du jour. L’environnement est
toujours plus ou moins présent, mais jamais hors du cadre imaginaire de ce « développement
durable ». La grande affaire, pour plusieurs, est de déloger le parti libéral.
Mais, si c’est pour mettre en place un nouveau régime provincialiste repeint en
bleu, on ne peut que faire fausse route. L’alliance entre les partis, qui
portent plus ou moins les enjeux que nous avons survolés, n’étant pas possibles
pour le moment, il est seulement souhaitable de voir le futur prince se faire
ravir sa majorité afin de limiter la casse. Il est de toute façon évident que
la Coalition avenir Québec (si elle devait accéder au pouvoir) se cassera les
dents sur le mur du fédéral pour toutes réformes majeures. Ce qui importe reste
donc les possibilités qu’offre cette débâcle future.
De l’autre côté, il est aussi souhaitable que le Parti Québécois soit
largement défait afin de ne pas plébisciter sa stratégie d’abandon provincialiste,
qu’ils ont échangé pour un programme vaguement plus à gauche que d’habitude. Il
n’est cependant pas plus souhaitable de voir ce parti exploser pour autant,
puisque ce représentant historique du nationalisme québécois est de centre
gauche
et qu'en en explosant, celui-ci pourrait bien faire émerger une vraie force
politique d’extrême droite. Extrême droite qui pourrait bien servir
d’inspiration idéologique aux futurs chefs fascistes de l’ère post-capitaliste.
Enfin, vous l’aurez compris, il est pratiquement impossible que ces élections
engendrent quelque chose qui puisse nous faire avancer à court terme. Il est
cependant important de ne pas perdre de vue les fondamentaux. S’il n’est pas
possible de mettre en marche la transformation du mode de production et
l’indépendance politique qu’elle nécessite dans ce futur mandat, il reste
indispensable de débloquer cette situation de conflit qui existe entre les
électeur(e)s de ces deux partis ayant le potentiel d’appuyer ces réformes si
nécessaire. Mais pour autant, la solution ne passera pas uniquement par des
partis politiques. C’est dans un mouvement de masse que doivent prendre racine
les futures entités politiques qui serviront notre cause.
Peu importe ce que sera la nature de ces organisations (coalitions des
partis actuels ou des organisations neuves), l’important n’est pas de suivre
une marche à suivre préétablie, mais d’organiser des forces qui doivent s’adapter
au contexte.
C’est en gardant l’horizon des évènements bien en tête que nous saurons
faire les bons choix !
Benedikt Arden (septembre
2018)