Dans toute
cette polémique, autour de SLÀV et sur l’esclavage, il y eut
une bonne quantité de gens pour qui la tâche principale semblait être de
maintenir la question raciale au centre de l’enjeu. Afin de rendre le sujet
aussi simpliste que démagogique, plusieurs se sont donné pour mission de
présenter l’esclavage comme une pratique collective issue des personnes
qualifiées de « blanches » sur celles qualifiées de « noires ». L’esclavage et
le servage qui sévirent pendant plusieurs milliers d’années en Europe, de
l’antiquité à l’époque moderne, n’auraient aucune importance, puisque les
descendants d’esclaves européens, devenus serfs puis aujourd'hui prolétaires,
seraient coupables au même titre que les grandes familles qui se sont enrichies
dans le commerce triangulaire.
Les centaines
d'années qui se sont passées depuis la fin de cette pratique barbare ne
seraient pas non plus suffisantes pour que l'accusation soit limitée aux
contemporains de cette pratique, puisque l'écart de richesses entre nations «
noires » et « blanches » actuelles s'expliquerait (selon eux) essentiellement
par l’esclavage. Inutile de rappeler qu'il n'y a aucun lien entre l'esclavage
et la richesse des nations, puisque le développement du capitalisme a imposé
son abolition, mais qu'importe, puisque dans leurs têtes de justiciers racistes
les « blancs » sont jugés collectivement coupables du sort collectif des «
noirs ».
Pourtant, à
l'intérieur des représentants médiatisés des afros-descendants du Québec, un
son de cloche différent aurait pu être présenté. Soit celui du rappeur de
Québec Webster. Même s’il ne semble pas avoir mis autant de nuance que l’on
aurait souhaitée dans ses dernières interventions publiques, il est intéressant
de rappeler sa pratique pédagogique réconciliatrice, lorsqu'il faisait ses
tournées historiques des personnalités esclavagistes de la ville de Québec.
Je la
qualifie de « réconciliatrice » puisqu’au contraire du discours de ceux qui
vont jusqu’à interdire aux « blancs » la possibilité de commémorer l’esclavage
dans leurs arts, celui-ci n'hésitait pas à présenter la pratique de l’esclavage
dans toute sa complexité et ne tombait pas dans les amalgames racistes[1]. Webster va jusqu'à briser
ce grand tabou des justiciers sociaux, c’est-à-dire que la responsabilité de la
traite transatlantique se verrait à la pâleur de notre peau. Tout en niant que
l'élite africaine de l'époque put également bénéficier de ce commerce, comme
pour tout autre. La guerre des classes en Afrique est pourtant bien plus
évidente qu’ici!
Dans le
présent contexte, il est souhaitable qu’une personnalité comme Webster ait le courage d’avouer qu’il est lui aussi l’héritier de cette pratique,
puisque, selon lui, son propre père est issu de la noblesse wolof sénégalaise,
qui a longtemps pratiqué le commerce et l’esclavage d’êtres humains[2].
L'idée
dernière ce constat n'est pas de se donner ou d'enlever des points de bonne
conduite à sa généalogie, puisque nous n'en avons aucunement la responsabilité.
Cependant, il bien de rappeler que ce n'est pas des « hommes blancs » qui ont
eu et/ou se sont enrichi sur la traite transatlantique, mais surtout des «
hommes riches » et leurs familles. Si ces hommes riches étaient majoritairement
blancs, les seigneurs d’Afrique n’étaient certainement pas sans responsabilités
dans l'affaire !
Le crime que
constitue l’esclavage n’est pas une responsabilité, qui doit retomber sur les
épaules d’une quelconque collectivité ethnique ou religieuse. Surtout pas au
Québec, où la richesse s’est faite essentiellement sur le dos du prolétariat
francophone. Non, l’esclavage est un crime qui concerne l’ensemble de
l’humanité. Il s’agit d’un héritage collectif qui doit nous servir d’élément de
base à la compassion que nous devons aux présentes victimes de l’exploitation
capitaliste. Le Québec n’est certes plus cette nation exploitée de jadis, mais, comme les
descendants d’esclaves, nous conservons cette mémoire en nous et souhaitons le
respect.
Si nous
voulons sortir grandis de cette histoire, nous devons cesser d’entretenir les
mauvais prophètes, qui (appuyés par ces tabloïdes « putaclics » et leurs
richissimes propriétaires) aime à diviser les masses laborieuses sur des bases
aussi inopérantes que la « race » afin que jamais nous ne soyons capables de
leur faire face. Cette réduction racialiste du problème a uniquement pour
aboutissement de nuire au vivre ensemble et engendre la haine. Les victimes du
capitalisme actuel doivent s’unir bien au-delà des races et des frontières,
afin de faire face à l’esclavage salarial contemporain.
Commémorons
les crimes d’hier, mais gardons en tête ceux d’aujourd’hui. Nous avons encore
tant à bâtir !
Benedikt Arden (juillet 2018)
[1] « Je ne le fais jamais pour culpabiliser, mais
pour démontrer que nous avons une histoire plurielle depuis les débuts de la colonie.
»
[2] « Mon père faisait partie de la noblesse
sénégalaise, dans l'empire wolof. Ils avaient des esclaves. Du côté de ma mère,
c'est fort possible »