Le vice-président exécutif du
sondeur Léger révélait récemment que le « ciment n’est [peut-être] pas
encore durci dans l’électorat […], mais on sent que l’échiquier politique qui
se dessine depuis quelques mois semble se stabiliser ». Il est
effectivement acquis que les sondages préélectoraux dégagent une certaine
tendance et que celle-ci donnerait entre 35 et 38 % à la Coalition avenir
Québec (CAQ) et un peu moins de 30% au Parti libéral. Le Parti Québécois (PQ),
quant à lui, maintiendrait sa lente descente sous son seuil historique (moins
de 20%). Québec solitaire (QS) maintiendrait à l’inverse sa lente montée, au
point de vue de ses potentiel(le)s député(e)s, tout en stagnant plus ou moins
au-dessus de 10% au niveau national.
Quoique ce tableau dressé par les
sondages illustre probablement un désir de changement politique tout à fait
réel de la part de l’électorat québécois (surtout francophone), il reste que ce
potentiel « changement » ne risque pas de brusquer nos habitudes … Enfin, si
nous nous référons au programme de la CAQ et aux personnalités qui se présentent sous l’étiquette
de « l’équipe du changement ». En réalité, rien n’est moins neuf que la
communication de la CAQ, qui utilise la vieille tactique du changement d’image
pour prendre la place bien confortable du PLQ pour évidemment ne rien changer
de trop significatif. Mais puisque le Québec n’est pas encore désintoxiqué du «
marketing politique », comme le sont d’autres pays du monde, tout porte à
croire qu’une majorité d’électeur(e)s plébisciteront le bon vieux programme
néolibéral orchestré par des libéraux, s’il est effectué sous une nouvelle
appellation.
Il faut dire que, malgré le
réchauffé que constitue le programme de la CAQ, « l’équipe du changement » a su
bien flairer l’évolution politique du Québec, car, pendant que le PQ et les
libéraux en font des tonnes pour paraitre progressiste, voir à gauche, la CAQ
semble rester la seule option crédible pour le votant de droite. Et il est en
effet assez logique qu’un parti qui cherche le pouvoir (pour le pouvoir)
propose un programme de centre droit plus ou moins nationaliste, puisque c’est
l’orientation générale que les sondages mesurent chez l’électorat francophone
depuis bien longtemps. Le pari de la 3e voie autonomiste de Mario
Dumont semble donc payé, près de 25 ans après la fondation de l’ADQ.
Évidemment, les droitards purs et
durs auront le bon jeu de répondre que la CAQ n’est pas vraiment de « droite »,
mais l’élection potentielle de la CAQ inaugurera moins une ère de « révolution
conservatrice » qu’un plan marketing réussit. Il s’agit donc d’un autre 4 ans
de perdu, où les choses continueront dans la voie de la paupérisation et du
tout au privé, comme c’est le cas depuis tant d’années...
Comme je l’ai déjà maintes fois
rappelé, la situation politique du Québec est une situation bloquée. Elle l’est
d’abord à cause du système électoral actuel qui empêche de nouvelles forces
d’émerger et favorise le clientélisme. Mais elle l’est aussi grâce au blocage
qu’a réussi à créer le parti libéral autour de la question nationale[1],
puisqu’une partie importante de l’électorat votera pour le PLQ peu importe le
programme et les scandales qu’il porte. Cette caricature que fait le parti
libéral de l’indépendance est depuis longtemps mise en scène, afin d’unir
artificiellement le patronat, les communautés immigrantes et les impérialistes
canadiens sur la base de la peur de l’indépendance du Québec. Cette peur, qui
va au détriment de l’intérêt de l’électorat immigrant, le rend pourtant captif ad vitam aeternam d’un système qui ne
profite qu’à une infime minorité de leurs soi-disant représentants et
participera immanquablement au cynisme et aux préjugés d’une population qui
souffre des mêmes maux qu’eux.
Ce repoussoir qu’est
l’indépendance est constamment remis au goût du jour, au gré des stratégies de
communication libérales, afin de faire passer l’ordre canadien pour
progressiste ou conservateur en fonction de la situation. Néanmoins, casser du
sucre sur les Québécois, tout en gouvernant dans une presque impunité, a fini
par en agacer plus d’un. Même une partie de l’établissement mise désormais sur
ce nouveau cheval qu’est la CAQ afin de maintenir le statu quo. C’est dire!
Notons également que cette
politique, entretenue depuis des décennies par le parti libéral, est en bonne
partie à l’origine du malaise identitaire de la majorité francophone du Québec,
qui accepte mal d’être considérée comme une majorité oppressante alors qu’elle
ne contrôle à peu près rien[2]. C’est ce malaise que
manipule désormais la CAQ, afin d’obtenir le soutien de cette majorité gens qui
en bavent, sans pour autant se mouiller sur la question nationale. Mais, comme
une bonne partie de leur programme, l’idée de remplacer la souveraineté par le
nationalisme culturel n’est pas originellement d’eux, puisqu’elle provient
initialement du PQ. Mais comme la CAQ n’est pas un parti souverainiste, la peur
évoquée plus haut ne joue pas le même rôle et, contrairement au PQ, le segment
électoral qu’il convoite s’en trouve seulement agrandi par une part des
péquistes désillusionnés de droite et de centre.
Il en va tout autrement pour le
PQ, puisque si cette stratégie identitaire se révéla un échec comme un autre à
l’époque, celle-ci prend une tout autre importance, maintenant que le PQ tente
un retour à la social-démocratie. Comme chacun sait, on ne peut pas passer d’un
programme identitaire à un programme
social-démocrate en quelques années sans y laisser des plumes chez l’électorat
de gauche. Électorat, qui, rappelons-le, est toujours plus ou moins sous
l’influence des « identity politics » de nos justiciers sociaux et qui
ont au moins aussi peur du nationalisme culturel de la majorité que les
communautés immigrantes et les nationalistes canadiens ont peur de la
souveraineté du Québec.
Loin de moi l’idée de condamner le
principe d’un retour du PQ à gauche, mais je ne crois vraiment pas que
l’établissement du parti ait changé au point de se réveiller socialement après
plus de 20 ans tergiversation sur la question. Et je ne parle pas que de la
seule direction du parti, mais également de ses militants, puisque c’est un
programme identitaire qu’ils ont plébiscité au travers de Jean-François Lisée !
Pourtant, moins de deux ans plus tard, c’est un programme de gauche qui se
trouve voté par les membres ? Ce changement pourrait paraitre inexplicable à première
vue, étant donné qu’il n’y a eu aucun échec électoral ou changement de
direction majeur. Cependant, un évènement pourrait expliquer ce retournement de
situation.
Après l’échec de la convergence
souverainiste avec QS de 2017, un froid assez glacial s’est cristallisé entre
les deux partis. Surtout de la part des militants péquistes, qui ont, pour sa
majorité, très mal digéré le refus d’alliance et ont développé un ressentiment
profond envers ce parti, considéré à tort comme un concurrent gênant.
Cette alliance, qui n’était pas
vraiment à l’avantage de QS, aurait été certes la bienvenue pour la gauche et
pour la cause indépendantiste, mais celle-ci arrivait de toute façon trop tard,
puisque c’est en 2012 qu’elle devait se faire. C’est-à-dire au lendemain de la
crise étudiante, au moment où l’esprit était à la convergence. Mais à cette
époque le PQ lui-même la rejetait[3]. Mais
aujourd’hui, tout semble indiquer que les membres du PQ ont décidé dans leur
congrès de courtiser prioritairement l’électorat solidaire, au détriment de son
électorat de droite.
On pourrait presque croire que
c’est un esprit de vengeance qui anime les troupes péquistes, puisque le
segment électoral visé laisse le champ libre à son principal conçurent,
c’est-à-dire la CAQ. Le PQ, qui est une coalition indépendantiste
transcourants, semble perdre le contact avec sa nature et dérive entre la
gauche et la droite tout en oubliant que ce qui tient ses composantes est la
lutte pour l’indépendance. Comme le PQ ne propose pas un projet indépendantiste à ces élections ni même un
programme de protection identitaire majeure et
que le programme de QS est socialement beaucoup plus avancé que celui du PQ,
l’électorat potentiel du PQ se résume à bien peu de monde, étant donné que les
acquis de QS sont stables. C’est du moins ce qui se mesure dans les sondages.
Un autre élément qui doit être
mentionné est la proximité plus ou moins avérée des groupes d’extrême droite
avec le PQ. Si les liens sont souvent assez contestables, l’effet repoussoir
qu’ils donnent à l’électorat de gauche lui est incontestable. Et les tentatives
de rassemblement, comme celui de l’autre gauche, ne vont pas sans contribuer à
cette image, puisque les auteurs du manifeste utilisent une partie de
l’argumentaire de la droite[4] contre QS pour s’opposer
comme étant « l’autre gauche ».
Il y a encore bien des gens qui,
fidèles au poste, voteront toujours pour le PQ. Cela forme encore une bonne
base, mais ce segment électoral de plus en plus âgé et qui vote plus par
tradition que par espoir de changement, ne risque pas de s’accroitre par magie.
On le constate aisément, le mouvement républicain-indépendantiste est beaucoup
mieux représenté par le programme de QS et comme la CAQ se fait le
porte-étendard du nationalisme culturel québécois, il est très probable que la
gauche souverainiste et la droite identitaire délaissent le PQ dans des
secteurs clés pour sa survie. Secteurs clés qui, s’ils ne donnent pas la
victoire à ces partis autres partis, assureront tout de même la défaite du PQ.
Que retenir de la situation
présente ? Nous avons un PLQ qui plagie le progressisme bon chic bon genre du
PLC dans l’espoir qu’on oublie qu’il a un lourd bilan. Ensuite nous avons une
CAQ qui se fait la championne du nationalisme de cabane à sucre, mais surtout pour
faire oublier son programme néolibéral. De l’autre côté du spectre politique,
nous avons un Québec solidaire qui se trouve à être le seul parti
social-démocrate proposant concrètement la souveraineté par une constituante,
mais qui peine à rejoindre les classes laborieuses hors des grands centres. Et,
à peu près sur le même spectre électoral, nous avons un PQ qui propose
également un programme social-démocrate (moins l’indépendance), mais qui
pourrait bien encore changer son fusil d’épaule en court de route.
Comme vous le voyez, la situation
politique au Québec n’est pas très reluisante et ceux qui espèrent un
changement politique prochain risquent d’être bien déçus.
D’un
point de vue socialiste, les prochaines années ne risquent donc pas d’être de
tout repos, car il devient impératif de construire un bloc social puissant
avant qu’il ne soit trop tard, étant donné que nous ne pouvons pas vraiment
compter sur ces élections pour changer le rapport de force. La
population s’est certes droitisée dans les dernières années, mais pas tant du
point de vue des luttes sociales. Elle s’est surtout radicalisée en réaction
des politiques identitaires provocatrices des libéraux fédéraux et provinciaux
qui flattent les minorités dans un objectif purement clientéliste. En
conséquence, il est faux de croire que le peuple québécois ne soutiendrait pas
une offensive sociale d’envergure. Il faut seulement cesser d’ignorer ses peurs
et ses angoisses et l’écouter, car c’est bien pour lui que nous luttons !
Benedikt Arden (juillet 2018)
[1] Ce blocage sur la question nationale, même elle semble anecdotique pour
certains, est plus important qu’il n’y parait (surtout à gauche et chez les
nationalistes), puisque leurs projets politiques ne peuvent réellement être mis
en place dans le cadre canadien. L’État souverain c’est encore le Canada, mais
bien des partis aux Québec font beaucoup d’effort pour l’oublier.
[3] Pauline Marois avait refusé le principe des primaires souverainistes en
2012 en expliquant que « la seule option
qui existe pour réaliser la souveraineté, c’est un gouvernement majoritaire, et
seul le Parti québécois peut l’assurer ».