mardi 31 juillet 2018

Blocage politique


Le vice-président exécutif du sondeur Léger révélait récemment que le « ciment n’est [peut-être] pas encore durci dans l’électorat […], mais on sent que l’échiquier politique qui se dessine depuis quelques mois semble se stabiliser ». Il est effectivement acquis que les sondages préélectoraux dégagent une certaine tendance et que celle-ci donnerait entre 35 et 38 % à la Coalition avenir Québec (CAQ) et un peu moins de 30% au Parti libéral. Le Parti Québécois (PQ), quant à lui, maintiendrait sa lente descente sous son seuil historique (moins de 20%). Québec solitaire (QS) maintiendrait à l’inverse sa lente montée, au point de vue de ses potentiel(le)s député(e)s, tout en stagnant plus ou moins au-dessus de 10% au niveau national.

Quoique ce tableau dressé par les sondages illustre probablement un désir de changement politique tout à fait réel de la part de l’électorat québécois (surtout francophone), il reste que ce potentiel « changement » ne risque pas de brusquer nos habitudes … Enfin, si nous nous référons au programme de la CAQ et aux personnalités qui se présentent sous l’étiquette de « l’équipe du changement ». En réalité, rien n’est moins neuf que la communication de la CAQ, qui utilise la vieille tactique du changement d’image pour prendre la place bien confortable du PLQ pour évidemment ne rien changer de trop significatif. Mais puisque le Québec n’est pas encore désintoxiqué du « marketing politique », comme le sont d’autres pays du monde, tout porte à croire qu’une majorité d’électeur(e)s plébisciteront le bon vieux programme néolibéral orchestré par des libéraux, s’il est effectué sous une nouvelle appellation.

Il faut dire que, malgré le réchauffé que constitue le programme de la CAQ, « l’équipe du changement » a su bien flairer l’évolution politique du Québec, car, pendant que le PQ et les libéraux en font des tonnes pour paraitre progressiste, voir à gauche, la CAQ semble rester la seule option crédible pour le votant de droite. Et il est en effet assez logique qu’un parti qui cherche le pouvoir (pour le pouvoir) propose un programme de centre droit plus ou moins nationaliste, puisque c’est l’orientation générale que les sondages mesurent chez l’électorat francophone depuis bien longtemps. Le pari de la 3e voie autonomiste de Mario Dumont semble donc payé, près de 25 ans après la fondation de l’ADQ.

Évidemment, les droitards purs et durs auront le bon jeu de répondre que la CAQ n’est pas vraiment de « droite », mais l’élection potentielle de la CAQ inaugurera moins une ère de « révolution conservatrice » qu’un plan marketing réussit. Il s’agit donc d’un autre 4 ans de perdu, où les choses continueront dans la voie de la paupérisation et du tout au privé, comme c’est le cas depuis tant d’années...

Comme je l’ai déjà maintes fois rappelé, la situation politique du Québec est une situation bloquée. Elle l’est d’abord à cause du système électoral actuel qui empêche de nouvelles forces d’émerger et favorise le clientélisme. Mais elle l’est aussi grâce au blocage qu’a réussi à créer le parti libéral autour de la question nationale[1], puisqu’une partie importante de l’électorat votera pour le PLQ peu importe le programme et les scandales qu’il porte. Cette caricature que fait le parti libéral de l’indépendance est depuis longtemps mise en scène, afin d’unir artificiellement le patronat, les communautés immigrantes et les impérialistes canadiens sur la base de la peur de l’indépendance du Québec. Cette peur, qui va au détriment de l’intérêt de l’électorat immigrant, le rend pourtant captif ad vitam aeternam d’un système qui ne profite qu’à une infime minorité de leurs soi-disant représentants et participera immanquablement au cynisme et aux préjugés d’une population qui souffre des mêmes maux qu’eux.

Ce repoussoir qu’est l’indépendance est constamment remis au goût du jour, au gré des stratégies de communication libérales, afin de faire passer l’ordre canadien pour progressiste ou conservateur en fonction de la situation. Néanmoins, casser du sucre sur les Québécois, tout en gouvernant dans une presque impunité, a fini par en agacer plus d’un. Même une partie de l’établissement mise désormais sur ce nouveau cheval qu’est la CAQ afin de maintenir le statu quo. C’est dire!

Notons également que cette politique, entretenue depuis des décennies par le parti libéral, est en bonne partie à l’origine du malaise identitaire de la majorité francophone du Québec, qui accepte mal d’être considérée comme une majorité oppressante alors qu’elle ne contrôle à peu près rien[2]. C’est ce malaise que manipule désormais la CAQ, afin d’obtenir le soutien de cette majorité gens qui en bavent, sans pour autant se mouiller sur la question nationale. Mais, comme une bonne partie de leur programme, l’idée de remplacer la souveraineté par le nationalisme culturel n’est pas originellement d’eux, puisqu’elle provient initialement du PQ. Mais comme la CAQ n’est pas un parti souverainiste, la peur évoquée plus haut ne joue pas le même rôle et, contrairement au PQ, le segment électoral qu’il convoite s’en trouve seulement agrandi par une part des péquistes désillusionnés de droite et de centre.

Il en va tout autrement pour le PQ, puisque si cette stratégie identitaire se révéla un échec comme un autre à l’époque, celle-ci prend une tout autre importance, maintenant que le PQ tente un retour à la social-démocratie. Comme chacun sait, on ne peut pas passer d’un programme identitaire à un programme social-démocrate en quelques années sans y laisser des plumes chez l’électorat de gauche. Électorat, qui, rappelons-le, est toujours plus ou moins sous l’influence des « identity politics » de nos justiciers sociaux et qui ont au moins aussi peur du nationalisme culturel de la majorité que les communautés immigrantes et les nationalistes canadiens ont peur de la souveraineté du Québec.

Loin de moi l’idée de condamner le principe d’un retour du PQ à gauche, mais je ne crois vraiment pas que l’établissement du parti ait changé au point de se réveiller socialement après plus de 20 ans tergiversation sur la question. Et je ne parle pas que de la seule direction du parti, mais également de ses militants, puisque c’est un programme identitaire qu’ils ont plébiscité au travers de Jean-François Lisée ! Pourtant, moins de deux ans plus tard, c’est un programme de gauche qui se trouve voté par les membres ? Ce changement pourrait paraitre inexplicable à première vue, étant donné qu’il n’y a eu aucun échec électoral ou changement de direction majeur. Cependant, un évènement pourrait expliquer ce retournement de situation.

Après l’échec de la convergence souverainiste avec QS de 2017, un froid assez glacial s’est cristallisé entre les deux partis. Surtout de la part des militants péquistes, qui ont, pour sa majorité, très mal digéré le refus d’alliance et ont développé un ressentiment profond envers ce parti, considéré à tort comme un concurrent gênant.

Cette alliance, qui n’était pas vraiment à l’avantage de QS, aurait été certes la bienvenue pour la gauche et pour la cause indépendantiste, mais celle-ci arrivait de toute façon trop tard, puisque c’est en 2012 qu’elle devait se faire. C’est-à-dire au lendemain de la crise étudiante, au moment où l’esprit était à la convergence. Mais à cette époque le PQ lui-même la rejetait[3]. Mais aujourd’hui, tout semble indiquer que les membres du PQ ont décidé dans leur congrès de courtiser prioritairement l’électorat solidaire, au détriment de son électorat de droite.

On pourrait presque croire que c’est un esprit de vengeance qui anime les troupes péquistes, puisque le segment électoral visé laisse le champ libre à son principal conçurent, c’est-à-dire la CAQ. Le PQ, qui est une coalition indépendantiste transcourants, semble perdre le contact avec sa nature et dérive entre la gauche et la droite tout en oubliant que ce qui tient ses composantes est la lutte pour l’indépendance. Comme le PQ ne propose pas un projet indépendantiste à ces élections ni même un programme de protection identitaire majeure et que le programme de QS est socialement beaucoup plus avancé que celui du PQ, l’électorat potentiel du PQ se résume à bien peu de monde, étant donné que les acquis de QS sont stables. C’est du moins ce qui se mesure dans les sondages.

Un autre élément qui doit être mentionné est la proximité plus ou moins avérée des groupes d’extrême droite avec le PQ. Si les liens sont souvent assez contestables, l’effet repoussoir qu’ils donnent à l’électorat de gauche lui est incontestable. Et les tentatives de rassemblement, comme celui de l’autre gauche, ne vont pas sans contribuer à cette image, puisque les auteurs du manifeste utilisent une partie de l’argumentaire de la droite[4] contre QS pour s’opposer comme étant « l’autre gauche ».  

Il y a encore bien des gens qui, fidèles au poste, voteront toujours pour le PQ. Cela forme encore une bonne base, mais ce segment électoral de plus en plus âgé et qui vote plus par tradition que par espoir de changement, ne risque pas de s’accroitre par magie. On le constate aisément, le mouvement républicain-indépendantiste est beaucoup mieux représenté par le programme de QS et comme la CAQ se fait le porte-étendard du nationalisme culturel québécois, il est très probable que la gauche souverainiste et la droite identitaire délaissent le PQ dans des secteurs clés pour sa survie. Secteurs clés qui, s’ils ne donnent pas la victoire à ces partis autres partis, assureront tout de même la défaite du PQ.

Que retenir de la situation présente ? Nous avons un PLQ qui plagie le progressisme bon chic bon genre du PLC dans l’espoir qu’on oublie qu’il a un lourd bilan. Ensuite nous avons une CAQ qui se fait la championne du nationalisme de cabane à sucre, mais surtout pour faire oublier son programme néolibéral. De l’autre côté du spectre politique, nous avons un Québec solidaire qui se trouve à être le seul parti social-démocrate proposant concrètement la souveraineté par une constituante, mais qui peine à rejoindre les classes laborieuses hors des grands centres. Et, à peu près sur le même spectre électoral, nous avons un PQ qui propose également un programme social-démocrate (moins l’indépendance), mais qui pourrait bien encore changer son fusil d’épaule en court de route.

Comme vous le voyez, la situation politique au Québec n’est pas très reluisante et ceux qui espèrent un changement politique prochain risquent d’être bien déçus.

D’un point de vue socialiste, les prochaines années ne risquent donc pas d’être de tout repos, car il devient impératif de construire un bloc social puissant avant qu’il ne soit trop tard, étant donné que nous ne pouvons pas vraiment compter sur ces élections pour changer le rapport de force. La population s’est certes droitisée dans les dernières années, mais pas tant du point de vue des luttes sociales. Elle s’est surtout radicalisée en réaction des politiques identitaires provocatrices des libéraux fédéraux et provinciaux qui flattent les minorités dans un objectif purement clientéliste. En conséquence, il est faux de croire que le peuple québécois ne soutiendrait pas une offensive sociale d’envergure. Il faut seulement cesser d’ignorer ses peurs et ses angoisses et l’écouter, car c’est bien pour lui que nous luttons !

Benedikt Arden (juillet 2018)



[1] Ce blocage sur la question nationale, même elle semble anecdotique pour certains, est plus important qu’il n’y parait (surtout à gauche et chez les nationalistes), puisque leurs projets politiques ne peuvent réellement être mis en place dans le cadre canadien. L’État souverain c’est encore le Canada, mais bien des partis aux Québec font beaucoup d’effort pour l’oublier.  
[2] Elle n’est d’ailleurs même pas en mesure de sanctuariser le français sur son territoire.
[3] Pauline Marois avait refusé le principe des primaires souverainistes en 2012 en expliquant que « la seule option qui existe pour réaliser la souveraineté, c’est un gouvernement majoritaire, et seul le Parti québécois peut l’assurer ».
[4] L’accusation d’être une gauche proreligieuse, multiculturelle et postnationale.

vendredi 20 juillet 2018

Le racisme dans toute sa « complexité »


Dans toute cette polémique, autour de SLÀV et sur l’esclavage, il y eut une bonne quantité de gens pour qui la tâche principale semblait être de maintenir la question raciale au centre de l’enjeu. Afin de rendre le sujet aussi simpliste que démagogique, plusieurs se sont donné pour mission de présenter l’esclavage comme une pratique collective issue des personnes qualifiées de « blanches » sur celles qualifiées de « noires ». L’esclavage et le servage qui sévirent pendant plusieurs milliers d’années en Europe, de l’antiquité à l’époque moderne, n’auraient aucune importance, puisque les descendants d’esclaves européens, devenus serfs puis aujourd'hui prolétaires, seraient coupables au même titre que les grandes familles qui se sont enrichies dans le commerce triangulaire. 

Les centaines d'années qui se sont passées depuis la fin de cette pratique barbare ne seraient pas non plus suffisantes pour que l'accusation soit limitée aux contemporains de cette pratique, puisque l'écart de richesses entre nations « noires » et « blanches » actuelles s'expliquerait (selon eux) essentiellement par l’esclavage. Inutile de rappeler qu'il n'y a aucun lien entre l'esclavage et la richesse des nations, puisque le développement du capitalisme a imposé son abolition, mais qu'importe, puisque dans leurs têtes de justiciers racistes les « blancs » sont jugés collectivement coupables du sort collectif des « noirs ».

Pourtant, à l'intérieur des représentants médiatisés des afros-descendants du Québec, un son de cloche différent aurait pu être présenté. Soit celui du rappeur de Québec Webster. Même s’il ne semble pas avoir mis autant de nuance que l’on aurait souhaitée dans ses dernières interventions publiques, il est intéressant de rappeler sa pratique pédagogique réconciliatrice, lorsqu'il faisait ses tournées historiques des personnalités esclavagistes de la ville de Québec.

Je la qualifie de « réconciliatrice » puisqu’au contraire du discours de ceux qui vont jusqu’à interdire aux « blancs » la possibilité de commémorer l’esclavage dans leurs arts, celui-ci n'hésitait pas à présenter la pratique de l’esclavage dans toute sa complexité et ne tombait pas dans les amalgames racistes[1]. Webster va jusqu'à briser ce grand tabou des justiciers sociaux, c’est-à-dire que la responsabilité de la traite transatlantique se verrait à la pâleur de notre peau. Tout en niant que l'élite africaine de l'époque put également bénéficier de ce commerce, comme pour tout autre. La guerre des classes en Afrique est pourtant bien plus évidente qu’ici!

Dans le présent contexte, il est souhaitable qu’une personnalité comme Webster ait le courage d’avouer qu’il est lui aussi l’héritier de cette pratique, puisque, selon lui, son propre père est issu de la noblesse wolof sénégalaise, qui a longtemps pratiqué le commerce et l’esclavage d’êtres humains[2].

L'idée dernière ce constat n'est pas de se donner ou d'enlever des points de bonne conduite à sa généalogie, puisque nous n'en avons aucunement la responsabilité. Cependant, il bien de rappeler que ce n'est pas des « hommes blancs » qui ont eu et/ou se sont enrichi sur la traite transatlantique, mais surtout des « hommes riches » et leurs familles. Si ces hommes riches étaient majoritairement blancs, les seigneurs d’Afrique n’étaient certainement pas sans responsabilités dans l'affaire !

Le crime que constitue l’esclavage n’est pas une responsabilité, qui doit retomber sur les épaules d’une quelconque collectivité ethnique ou religieuse. Surtout pas au Québec, où la richesse s’est faite essentiellement sur le dos du prolétariat francophone. Non, l’esclavage est un crime qui concerne l’ensemble de l’humanité. Il s’agit d’un héritage collectif qui doit nous servir d’élément de base à la compassion que nous devons aux présentes victimes de l’exploitation capitaliste. Le Québec n’est certes plus cette nation  exploitée de jadis, mais, comme les descendants d’esclaves, nous conservons cette mémoire en nous et souhaitons le respect.

Si nous voulons sortir grandis de cette histoire, nous devons cesser d’entretenir les mauvais prophètes, qui (appuyés par ces tabloïdes « putaclics » et leurs richissimes propriétaires) aime à diviser les masses laborieuses sur des bases aussi inopérantes que la « race » afin que jamais nous ne soyons capables de leur faire face. Cette réduction racialiste du problème a uniquement pour aboutissement de nuire au vivre ensemble et engendre la haine. Les victimes du capitalisme actuel doivent s’unir bien au-delà des races et des frontières, afin de faire face à l’esclavage salarial contemporain. 

Commémorons les crimes d’hier, mais gardons en tête ceux d’aujourd’hui. Nous avons encore tant à bâtir !

Benedikt Arden (juillet 2018)




[1] « Je ne le fais jamais pour culpabiliser, mais pour démontrer que nous avons une histoire plurielle depuis les débuts de la colonie. »
[2] « Mon père faisait partie de la noblesse sénégalaise, dans l'empire wolof. Ils avaient des esclaves. Du côté de ma mère, c'est fort possible »