Le verdict est tombé dimanche 3 juin 2018, en après-midi. Martine
Ouellet a perdu son vote de confiance, avec un appui de seulement 32%. Les
adversaires de Martine se sont immédiatement félicités de cette victoire
à la Pyrrhus et appellent maintenant, tout
sourire, à l’unité. Maintenant que la lutte est terminée, la reconstruction du
parti peut enfin se faire dans la joie et la bonne humeur, alors que leurs
adversaires résident encore au tapis. Rien d’étonnant d’ailleurs, de les voir
l’air béat de satisfaction devant ce résultat, puisque leur thèse tenait à limiter
la crise du Bloc à la seule personne de Martine Ouellet.
Malheureusement pour eux et pour l’ensemble du parti, le mal est déjà
fait, car ce genre de « guerre civile » ne fait que des victimes. Il n’y a donc
très peu de raison de se réjouir, étant donné qu’il n’est rien de moins sûr que
les putschistes qui ont quitté le parti (avec tout le drama qui en a suivi) ne
sont absolument pas certains de revenir au bercail. Et il est non moins certain
que tous les pros Martine sauront rentrer dans le rang sans une certaine amertume.
En d’autres termes, les cicatrices de cette crise sont profondes et elles
prendront du temps à disparaitre.
L’appel à l’unité des anti-Martine à au moins un point d’appui intéressant
sur lequel baser leur volonté de refondation. En effet, 65% des membres ont
plébiscité la stratégie indépendantiste, que certains disent « radicale », de
mettre l’accent sur l’indépendance, plutôt que la fameuse thèse de la « défense
des intérêts du Québec à Ottawa ». Il est vrai que le parti est relativement
uni sur ce point, mais reste qu’il est assez incohérent de souhaiter défendre
la cause indépendantiste au fédéral, tout en rejetant la personne qui défendait
cette option.
Il n’est douteux pour personne que la suite réside dans une nouvelle
course à la chefferie. Mais la victoire que certains festoient encore, devrait
être fortement nuancée par quelques faits fortement évidents. De quoi seront
faits les débats de la future course à la chefferie? Encore et toujours par cette
opposition entre la priorité mise à la défense des intérêts du Québec à Ottawa
et celle de la souveraineté. Encore une lutte qui verra s’affronter les deux
tendances du parti. Et comme 65% des membres désirent maintenir la ligne
Ouellet, le scénario de 2014 (avec une victoire contre les disciples de
Duceppe) ou pire, avec une victoire sans adversaire comme en 2017, risque
fortement de se reproduire. Dans tous les cas de figure, le prochain chef ou
cheffe devrait normalement se faire élire sur sa volonté de maintenir cette
ligne, puisqu’elle est dominante au Bloc.
Par contre, ce qui pose problème et qui ne s’est en rien réglé lors de
ce vote de confiance, c’est que la mainmise des autonomistes sur une partie de
l’appareil est encore bien présente. Il est donc à peu près certain que le (ou
la) prochain(e) leader subira le même genre de mutinerie, s’il ou elle ose
encore une fois tenir à bout de bras cette option. Je ne prétends pas cela
gratuitement, car ce que l’on reprochait à Martine Ouellet c’était son
intransigeance sur la ligne à suivre. Elle était têtue et n’écoutait
probablement pas assez les autonomistes et les partisans de l’union à tout prix.
C’est certainement vrai. Cependant, cet entêtement est aussi ce que l’on
appelle avoir les « défauts de ses qualités ». Il n’en allait pas autrement de
Jacques Parizeau, qui eut affaire au même type de dissidence de la part des autonomistes
du PQ de l’époque pré-référendaire et qui a tenu la cause nationale jusqu’au
bout. C’est d’ailleurs le propre de toutes les grandes figures historiques de
la politique mondiale, toutes tendances et toutes périodes confondues, que de
défendre leur option jusqu’au bout.
Il est donc prévisible que le ou la candidat(e) qui souhaitera mettre
l’indépendance en avant subira la même fronde que Martine Ouellet et Mario
Beaulieu ont subie. Le prochain chef ou cheffe devra donc nécessairement, s’il
ou elle veut se maintenir, adopter une attitude ambivalente sur la question
nationale, afin d’éviter de se voir poignarder dans le dos par les
représentants de la fraction autonomiste du parti. Le ou la chef(fe) devra donc
maintenir une ligne comparable à celle du PQ. C’est-à-dire parler d’indépendance
pour rallier les troupes et faire du chantage à la division du vote, mais ne
parler que le langage autonomiste devant les médias et le reste de la
population.
Les membres du parti auront beau s’en plaindre, il ne faudra pas trop la
ramener, car c’est le prix qu’ils ont décidé à 68% de payer. L’union avec les
disciples de Gille Duceppe, qui ne supportent pas qu’on parle d’indépendance
dans les institutions de Sa Majesté, est à ce prix! Les défauts des qualités du
prochain leader conciliant et consensuel envers les deux tendances du Bloc sera
donc sa mollesse et son ambivalence. Ce que plus de 20 ans d’expérience a
désormais démonter n’apporter que des défaites. C’est le prix du style de «
leadership » que les anti-Martine doivent s’attendre payer, puisqu’ils ont bel
et bien prouvé que l’intransigeance sur la question nationale ne devait pas
avoir sa place au Bloc Québécois.
À bon entendeur, salut !
Benedikt Arden (juin2018)