Comme vous le savez probablement,
les élections provinciales approchent à grands pas. Nous le savons, car plus on
avance dans l’échéance électorale plus la nuance et la réflexion font place à
la partisanerie. Ce réchauffement partisan s’est donc naturellement exprimé à
la façon dont les militants de tout poil ont réagi face à la récente
candidature de Vincent Marissal, comme candidat de Québec solidaire (QS) de la
circonscription de Rosemont.
Nouvelle particulièrement
surprenante, il est vrai, la majeure partie des commentateurs médiatiques ont
d’abord analysé cette décision de manière septique, puisque le personnage
n’avait pas une réputation d’homme de gauche bien avancé et était encore moins
réputé souverainiste. Mais si l’ensemble des commentateurs ont été pris de
court par cette surprenante décision, il n’a pas fallu attendre longtemps pour
que les plus véhéments militants péquistes pètent
littéralement les plombs !
J’utilise cette expression bien
de chez nous parce que les interprétations que j’ai observées depuis furent
dans l’ensemble désordonnées, contradictoires, voire irrationnelles. Ce qui en
dit long sur le sentiment de panique qu’ont ces militants, puisqu’il est loin
d’être sûr que Vincent Marissal soit une si grande menace pour le Parti
Québécois (PQ).
Il est évident que l’annonce de
la candidature d’un chroniqueur politique très connu dans la circonscription du
chef ne devait pas plaire aux péquistes, mais cette réaction n’en reste pas
moins démesurée. Après tout, c’est comme ça que la politique fonctionne dans
nos institutions et le fait que le PQ ait renoncé à les modifier dans tous ses
passages au pouvoir rend cette colère passablement hypocrite. D’autant plus que
le personnage s’est fait approcher par le PQ un peu avant
l’annonce de son adhésion à QS. Mais enfin, je comprends qu’un bon nombre de
ces militants aient encore du mal à digérer le refus d’alliance de mai 2017,
alors il n’est pas surprenant que ces derniers se sentent floués et réagissent
mal.
Malgré que je comprenne leur
colère, il n’en demeure pas moins que la réalité est simplement que le Parti Québécois
s’est fait voler un « candidat vedette » pour les prochaines élections. C’est
pourquoi la réaction quasi automatique de traiter le personnage de fédéraliste
me semble assez décousue, même si l’on sait qu’il a auparavant approché le très
« fédéraliste » Parti libéral du Canada.
Après tout, Pierre-Karl Péladeau
n’avait pas une relation moins trouble à la souveraineté que Vincent Marissal.
Évidemment, PKP n’a pas eu besoin de mettre autant d’emphase sur sa bonne foi
souverainiste pour prouver à tous qu’il n’a plus d’allégeance envers ses amis
fédéralistes, puisque le fait d’adhérer au PQ devait être une preuve suffisante
pour écarter tout soupçon (partisanerie oblige).
Il devrait pourtant être assez
clair que celui qui se mouille en politique doit assumer les positions du parti
qu’il représente. Ce qui fait que peu importe ce que pense Vincent Marissal de
la souveraineté du Québec, il devra agir selon le programme voté par les
membres de QS. Autrement dit, qu’il soit fédéraliste, voire de droite, n’a
aucune importance, étant donné qu’il a fait allégeance à une formation de
gauche souverainiste. Il sera donc jugé en vilain séparatiste par le camp d’en
face pour le reste de sa carrière politique, même s’il virait encore sa veste
dans l’avenir.
De plus, notons que les membres de QS ont ceci de
différent de ceux du PQ, qu’ils n’acceptent pas aussi facilement le changement
de la vocation de leur parti, puisque chaque pas qu’ils font vers le populisme
de gauche leur vaut inévitablement les critiques les plus acerbes de certains
de ses militants les plus radicaux. Pensons juste à cette légère modification
du projet de constituante qui leur a valu le sobriquet ridicule de « parti en
voie de dérive ultranationaliste[1] »
! Alors il est fort peu probable que Marissal soit le meilleur sous-marin qui
soit pour faire bifurquer QS vers le fédéralisme centralisateur.
Mais si les réactions péquistes
sont si violentes, ce n’est pas tant parce qu’il serait un mauvais
souverainiste ou parce qu’il y aurait « division du vote » à sa gauche, puisque
le PQ accepte le cadre politique actuel. De plus, si le PQ devait blâmer un
parti pour son déclin, ce devrait d’abord être la Coalition avenir Québec (CAQ)
et personne d’autre, puisque c’est d’abord ce parti qui le saigne. Enfin, incomparablement
plus que QS.
Notons au passage que le profil
trouble de Vincent Marissal du point de vue de l’indépendance, mais très clair
sur sa complaisance envers le multiculturalisme, révèle justement qu’il est
possible de convaincre des gens hostiles au nationalisme, mais qui épouse le
projet d’une constituante menant à la souveraineté. Ce qui normalement devrait
enthousiasmer les péquistes, mais qui ironiquement les rend encore plus
enragés.
À mon avis, le problème que les
péquistes ont avec QS est tout autre. En fait, je crois que les militants
péquistes se servent d’abord de QS comme un bouc émissaire afin de ne pas
assumer les mauvaises décisions de l’appareil qu’ils ont toujours servilement
acceptées ou pardonnées. Je prétends cela parce que la fracture idéologique qui
se trouve sur son électorat est un effet presque direct de la mise de côté du
projet national, donc des conditions de la « coalition péquiste ».
Je sais pertinemment que les
stratèges du PQ se croient astucieux en prétendant préparer une souveraineté
gagnante dans un second mandat, mais quand bien même on oublierait qu’il est
très improbable que le PQ obtienne deux mandats majoritaires de suite, on sait
tous que les prochaines élections ne se joueront pas sur la question de la
souveraineté, ni même sur un changement politico-social d’envergure, mais sur
le départ des libéraux!
C’est d’ailleurs sur cette
question que la majorité des voix indécises se trancheront. Et comme la CAQ est
actuellement le parti le plus à même de canaliser ce vote utile, c’est sur lui
que risque bien de miser l’électorat francophone de centre et de droite. Et
comme le PQ est massivement délaissé par les souverainistes mous (le plus
souvent de cette allégeance idéologique), son électorat de gauche devient une
priorité et c’est pour cette raison que le PQ en fait des tonnes sur Québec
solidaire.
D’après moi, cette perte de
monopole n’est pas une mauvaise chose en soi, puisqu’elle devrait normalement
obliger le PQ à être proactif sur la question nationale et sur les mesures
sociales. On peut même croire qu’elle a forcé en partie l’appareil à accepter
un programme un peu plus à gauche qu’en 2014 (ils ont remis la proportionnelle
au programme, par exemple).
Mais d’un autre côté, la
stratégie de Lisée de jouer la carte du « bon gouvernement social-démocrate »
pose problème, puisque le programme social du PQ n’est qu’une pâle version de
ce qu’est celui de QS. Ce qui fait qu’il n’y a pas vraiment de raison de voter
PQ pour ces seules mesures, étant donné que le vote PQ n’est plus le garant du
« vote utile » pour déloger les libéraux. En fait, la distinction entre
ces deux partis a été donnée par « manifeste de l’aut’gauche » et consiste
essentiellement en une divergence sur la question identitaire[2].
C’est donc l’aspect identitaire
et laïcard du PQ, même si très peu mis en avant dans le programme, qui exprime
le mieux la principale ligne de fracture idéologique entre les partisans de ces
deux formations. J’oserais même prétendre que la perte du monopole sur
l’indépendance rend très visible la tentation nationaliste (dans le sens
identitaire du terme) d’une grande partie de ses membres. Cette position, même
si elle n’a jamais été réellement assumée lors des élections (même celle qui a
suivi l’épisode de la charte des valeurs), l’a par contre clairement été lors
de l’élection de Jean-François Lisée en 2016. Ce qui
fait que les militants péquistes sont de plus en plus amenés à se définir au
moins autant sur la question identitaire que sur celle de l’indépendance. Ce
qui est également le cas pour les militants solidaires qui se définiront par
opposition à cette tendance.
La question identitaire est donc
devenue, pour les militants des deux partis, au moins aussi importante que la
question nationale elle-même. Ce qui fait que, malgré les éléments de
convergences, ces partis sont en train de devenir les frères ennemis de la
question nationale puisqu’ils sont en désaccords sur le nationalisme et les
termes de la laïcité.
Je sais que certains trouveront
cela un peu excessif et ça l’est un peu aussi, attendu que la majorité des
péquistes ne sont pas des « nationalistes » du genre de ceux que l’on retrouve
au Front national[3].
Mais en proposant un projet d’indépendance a-identitaire, donc non strictement
lié à l’identité québécoise, mais d’abord basée sur l’idée d’une constituante,
QS dame le pion à ceux qui souhaites amalgamer les politiques identitaires et
le souverainisme.
Cela expliquerait pourquoi le
second axe d’attaque des péquistes (et de la droite identitaire en général) est
de les accuser d’être des « islamo-gauchistes » et des « multiculturalistes »,
alors qu’officiellement ces partis sont tous deux pour l’interculturalisme et
la laïcité, même s’ils n’en ont pas les mêmes définitions.
Quand Dalila Awada évoquait que «
pour les communautés racisées au Québec,
l’ennemi [s’incarne] à la fois dans le néolibéralisme et dans le racisme
[et que le] Parti québécois, aujourd’hui [porte]
en lui ces deux bêtes », elle
exagérait évidemment le caractère « néolibéral » et « identitaire » du PQ, mais
on comprend que cette allusion provocatrice illustre quand même extrêmement
bien pourquoi QS n’a pas accepté un pacte d’alliance qui lui aurait été probablement
avantageux à court terme, mais qui lui aurait aussi fait perdre beaucoup de ses
adhérent(e)s. Et ceci en considérant que l’électorat solidaire ne se serait pas
automatiquement transformé en vote pour le PQ. Il en va de même pour le PQ, car
une bonne partie de sa base nationaliste et libérale n’aurait surement pas plus
accepté de voter pour QS, comme ce sera forcément le cas de beaucoup d’anciens
adhérents d’Option nationale.
Il est important de se souvenir
que malgré les volontés d’alliance au PQ, comme à QS, les électeurs ne suivent
pas toujours les accords entre appareils. Surtout quand ces accords sont
purement électoraux et ne sont pas soutenus par un contexte de changements
profonds. Et comme le maintien du parti libéral au pouvoir s’effectue
régulièrement depuis 15 ans par le jeu antidémocratique du clientélisme
électoral, il n’est pas étonnant que le climat politique du Québec soit à ce
point morose et très peu ouvert aux changements institutionnels profonds.
Mais ce n’est pas pour autant que
nous devons abandonner le combat, car un mandat caquiste saura
incontestablement briser bien des illusions et comme le PQ avant lui, la CAQ se
brisera les dents sur le mur du cadre institutionnel et économique présent.
Mur, qui devra un jour ou l’autre être abattu par le peuple lui-même, si les
partis politiques ne s’en sentent pas capables !
Benedikt Arden (avril 2018)
[2]
J’ai eu l’occasion définir cette nouvelle dichotomie avant l’arrivée du
manifeste dans mon article sur
l’Islam. J’écrivais que la gauche de l’aut’gauche se définit comme « laïciste & plus ou moins hostile à
l’Islam, se présente comme le représentant de l’égalité homme-femme, du droit
des gais, etc. Ceux-ci revendiquent une lutte contre une idéologie religieuse
jugée réactionnaire, un peu sur le modèle de celle menée à l’époque de la
Révolution tranquille ou du 18e & 19e siècle en France. Certains de ses
représentants iront parfois jusqu’à parler de « fascislamisme » ou de «
fascisme vert » pour mettre leur position en emphase et ainsi usurper la
vieille rhétorique antifasciste […] Les seconds, soit les [inclusifs], se présenteront, quant à eux, comme les
défenseurs des droits individuels et de l’antiracisme classique. Le rejet de
l’Islam étant essentiellement considéré par ces derniers comme étant une forme
de racisme, toute ingérence ayant vocation à contraindre la pratique du culte
sera ipso facto interprétée comme émanant de sentiments racistes « mêmes si
emballés d’un argumentaire progressiste », diront ces derniers.
[3]
Même si nous savons pertinemment qu’il y en a aussi.