Le 16 février dernier se tenait
une conférence de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) sur le thème de l'indépendance et
du racisme intitulé l’indépendantisme est-il compatible
avec l’antiracisme ? Question provocatrice s’il y en est, le conférencier
assume la mauvaise foi que certains pourraient lui reprocher en répondant
d’entrée de jeu qu’il a « choisi ce thème
provocateur pour attirer l’attention sur un débat qui [...] est un enjeu […] d’actualité [qui a fait]
beaucoup parler dans les dernières semaines ». Faisait ainsi référence aux
multiples articles qui ont précédé la fusion entre Option nationale &
Québec solidaire (QS), GDN souhaitait donc mettre un terme à l’ambiguïté
entretenue, chez certaines franges de la gauche, entre les principes inclusifs
et le projet d’indépendance politique du Québec.
Cette conférence avait évidemment
pour objectif de s’adresser à la base militante de QS, puisque, hormis une
petite partie de la gauche radicale et des ultranationalistes anglophones, bien
rares sont ceux qui considèrent la souveraineté du Québec comme un projet fondamentalement
raciste. Il n’en a pas été autrement de GDN, qui connait bien les origines sociales-démocrates
du nationalisme québécois moderne. Celui-ci reconnait néanmoins que l’extrême
droite se développe depuis quelques années sur le déclin du Parti Québécois et
du souverainisme institutionnel en précisent que :
« Depuis une dizaine d’années au Québec, on assiste à […] la montée d’un discours qu’on appelle
souvent ‘’nationalisme conservateur’’ qui est de plus en plus influent au
Québec. [..] Un discours qui se
caractérise essentiellement par une méfiance à l’égard de l’immigration et de
la diversité culturelle en générale. Ce discours-là voit les immigrants et les
immigrantes comme une menace à ce qu’ils vont appeler l’identité historique
québécoise et voit que la diversité culturelle à un effet nécessairement
dissolvant sur l’identité et le vivre ensemble au Québec ».
Faisant ainsi référence à La
Meute et aux autres organisations comparables, GDN se fait l’écho d’un amalgame
très fréquent à gauche. Soit entre le projet d’édification national et les
dérives idéologiques de certains de ses partisans. C’est d’ailleurs la même
chose pour les questions entourant la laïcité, la liberté d’expression ou même
la saine méfiance envers les organisations religieuses. Le fait que des
organisations xénophobes ou crypto xénophobes servent ou se servent de ces
causes ne transforment pas ces positions politiques en position « d’extrême
droite » ! Le message est toujours indépendant du messager, comme vous le
savez.
Même si pour plusieurs qui liront
ce billet, il est parfaitement vide de sens d’assimiler la question de la
souveraineté à une forme quelconque de xénophobie, cette propagande rétrograde
touche maintenant bien des esprits de gauche. Et si cette gauche, même elle
sait bien que l’indépendance n’est pas un projet exclusif, sera tout de même
tentée de ne plus la soutenir, puisque croyant faire le lit à l’extrême droite.
C’est pour cette raison qu’il devient de plus en plus important de défendre la
cause de la souveraineté à gauche, puisqu’elle est une idée de gauche ! Cette
frilosité envers l’indépendance même si elle ne devrait toucher en principe que
les militants antiracistes ne doit pas être rejetée du revers de la main, étant
donné qu’elle ne semble toujours pas aller de soi pour nombre de militant(e)s
et électeur(e)s de QS. C’est pourquoi, dans le même esprit que la conférence de
GDN, je vais revenir sur une des principales notions qui expliquent pourquoi la
lutte pour l’indépendance ne peut être interprétée comme « raciste ».
Pour bien comprendre l’amalgame,
il est primordial de revenir rapidement sur le concept clé de la question, à
savoir le fameux « nationalisme ». Comme chacun qui s’est penché sur la
question devrait le savoir, le nationalisme est l’archétype même du mot
ambivalent, puisqu’il change de signification en fonction du camp politique
auquel on appartient et de la raison de son utilisation. La définition offerte
par Wikipédia est
d’ailleurs symptomatique de cette confusion, puisqu’elle se perd dans
l’ensemble des usages offerts à notre disposition, sans en trouver un cœur
précis. Pour ma part, j’en donnerais la définition suivante : Doctrine politique ayant pour objet de
développer ou de valoriser l’entité abstraite nommée « Nation », elle-même
perçue comme un corps vivant. Autrement dit, la « Nation » ne se limiterait
pas au peuple, au régime politique ou bien même à l’État, mais en une notion
mixte et indépendante de ces trois composantes. Celle-ci sera par contre définie
de diverse façon, puisque tantôt un axé sur peuple ethnique (chez les
racialistes et les sionistes, notamment), tantôt sur un régime politique (comme
chez la gauche républicaine française) ou sur l’État et ses institutions (comme
la fédération canadienne), mais jamais la notion de « Nation » ne s’y limitera,
puisqu’elle est perçue comme quelque chose de vivant, qui donc peut mourir et
naitre.
Il va de soi que le nationalisme
québécois issu de la Révolution tranquille était d’abord centré sur la question
de l’État, puisque le nationalisme canadien contemporain n’est que la version
idéologisée, à la couleur des partis au pouvoir, de ce qu’était l’ancien
nationalisme canadien-français. Le nationalisme québécois moderne était donc
assez semblable à celui de l’époque, mais accompagné de l’esprit de sa période d’émergence
(les années 60), donc celui-ci sera étroitement associé à un régime social-démocrate
et libéral. Malgré qu’il soit peu visible dans sa version moderne, l’aspect
ethnique du nationalisme québécois a toujours été bel et bien présent, même si
celui-ci n’était pas raciste ou suprémaciste. Le volet ethnique du nationalisme
québécois était historiquement issu de la peur de l’assimilation, il se
focalise surtout sur la conservation du français comme langue commune. En
d’autres termes, rien qui permettrait de le ranger dans le « nationalisme
ethnique ».
Cependant, le nationalisme étant
une doctrine très changeante, le caractère défensif de l’identité québécoise, chez
bien des militants, est en train de prendre rapidement le pas sur son aspect
politique et émancipateur. Cette transformation du nationalisme québécois n’est
pas difficile à comprendre, car elle est le résultat de la perte de sens de
l’État dans la mondialisation[1].
Au même titre que les Premières Nations et des autres peuples du monde, bien
des Québécoi(se)s se sentent menacés dans leur mode de vie et comme plusieurs
ont perdu espoir en la possibilité de changer quoi que ce soit politiquement,
certains se replient sur la conservation des coutumes et des mœurs culturelles.
La conservation de l’identité nationale devient donc de plus en plus le
synonyme de « nationalisme québécois », ce qui change radicalement le sens du
nationalisme puisque celui-ci n’est plus directement lié a la libération
politique à proprement parler. Ce nationalisme, que l’on devrait qualifier de «
conservateur », comme le dit GDN, ne souhaite plus vraiment changer les choses,
mais bien les conserver.
Le résultat de cette
transformation est que la souveraineté du Québec n’est plus le centre d’intérêt
de ce nationalisme. Celui-ci peut d’ailleurs très bien s’accommoder d’un Canada
moins multiculturel. Cela me parait plutôt évident, puisque la grande majorité
des groupes comme La Meute ne se prétendent pas du tout souverainistes (ils
sont même souvent carrément fédéralistes), même s’ils se présentent toujours
comme nationalistes. Les groupes identitaires de tendances souverainistes sont
d’ailleurs, eux aussi, bien plus centrés sur la protection culturelle que sur
le projet de constituante et sur le retour de la souveraineté politique, ce qui
crée un fossé de plus en plus grand entre la question de la souveraineté et le
nationalisme identitaire.
Il est d’ailleurs de plus en plus
justifié de séparer ces concepts puisqu’ils entrent désormais pleinement en
contradiction sur la question même du changement de régime. Pendant que les «
nationalistes » cherchent à conserver un ordre culturel issu de la défaite des
Patriotes (l’autonomie culturelle catholique et française de l’Église et de la
petite bourgeoisie accordée par l’élite britannique), les « indépendantistes » eux
promeuvent le projet des Patriotes, soit la mise en place d’une république
inclusive et créatrice de sa propre identité. Il est donc tout à fait ridicule
de voir à quel point le drapeau de la République du Bas-Canada est détourné de
son sens par des organisations aussi antinomiques du programme Patriote. Même
s’ils se prétendent « patriotes », ils n’ont rien de commun avec les «
Patriotes » !
Donc, sans rien enlever à la
pertinence de la conférence de GDN sur l’indépendance et l’antiracisme, il sera
plus judicieux de dire que la position de la gauche est « indépendantiste » et
non pas « nationaliste », puisque les concepts sont désormais en contradiction.
Cela éviterait de revenir sans arrêt sur ces dilemmes sans autre objet que la
confusion des mots.
De toute façon, si vous entendez
encore le genre d’insinuation, à savoir que la liberté du peuple du Québec ne peut
se faire qu’au détriment des Premières Nations et des immigrants, rappelez-leur
donc cette sage parole de Marx sur la question des Irlandais :
« Un peuple qui en opprime un autre ne saurait
être libre ! »
Benedikt Arden
(février 2018)
[1]
Comme je l’expliquais dans mon
précédent billet, la « mondialisation » n’est pas un projet de
mondialisation de la culture et du savoir, mais bien un projet de dérégulation
global de l’économie qui vise à éliminer tout obstacle au profit des
multinationales et des institutions financières. Donc un projet
fondamentalement néolibéral.