Les polémiques d’arrière-gardes ont toujours été l’apanage des grands médias. Cela est un fait bien connu de tous. Mais nous pouvions également constater qu’en fonction des époques, ces polémiques avaient le bon goût de se renouveler assez fréquemment, et donc, avaient la gentillesse de nous laisser des intermèdes d’air frais assez fréquents. Cependant, les polémiques à la mode de ces dernières années semblent vouloir durer et se polariser systématiquement sur deux grands thèmes centraux. Ces thèmes, qui sont bien évidemment l’islamisme et le racisme, sont de ceux qui ne laissent aucune place à l’indifférence. Même ceux qui font tout leur possible pour éviter le sujet ou qui veulent simplement rester neutres auront le déplaisir de se faire remettre dans le rang assez vite par la radicalité qu’elles ont engendrée dans le débat public.
Malgré leurs caractères plus ou moins insolubles dans le cadre politique actuel et leurs aspects généralement exagérés, ces thématiques encombrent les débats économico-sociaux et les questions environnementales pourtant si déterminantes dans notre avenir proche. Mais hélas pour nous ! Des enjeux hautement politiques, comme les politiques d’austérité du Québec et pétrolières du Canada, les lois antiterroristes liberticides comme C-59, le traité de libre-échange avec l’Europe (CETA) et bien d’autres encore, sont constamment parasités par des polémiques d’intérêts secondaires et qui ont de surcroît le pouvoir de foutre le bordel dans de si nécessaires mobilisations citoyennes …
Inutile de rappeler que le racisme et l’intégrisme religieux sont des sujets qui ont une place évidente dans le domaine public et qu’il n’est pas ici question de minimiser leurs importances. Mais la polarisation engendrée par ces questions, à grand coup de « fakes news » et de « buzz médiatiques », a su faire de celles-ci des trous noirs politique autour desquels nombre de militants se sont fait les satellites. Ces satellites se donnant pour mission de suivre l’actualité au scalpel afin de se faire s’engouffrer dans leur trou noir préféré tout élément ayant une orbite adéquate, voir à les faire bifurquer par la force quand c’est possible. Dans l’état actuel des choses, même la plus banale et anecdotique des nouvelles peut être transformée en tempête médiatique. L’importance de ces tempêtes se traduit parfois par des mesures symboliques sans grande importance à première vue, mais qui seront aussi le point de départ d’autres polémiques qui seront comme d’habitude gonflées jusqu’à l’absurde.
Je pourrais faire un état des lieux exhaustif, mais l’actualité du dernier mois suffit à elle seule à se donner une idée assez claire du climat politique dans lequel nous baignions. Avec des polémiques aussi tordues que celles de la « parade de la Saint-Jean raciste » ou le « Parc Safari islamiste », on est en dehors de toute mesure et un climat est visiblement créé de toute pièce afin de surfer sur ces uniques thèmes. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de rappeler qu’il n’y avait pas plus de racisme à la parade de la Saint-Jean-Baptiste que de prosélytisme islamiste au parc Safari, mais ces observateurs zélés y ont vu des « symboles » et souhaitent, pour ainsi dire, monopoliser le débat public des fruits de leur imagination au détriment des enjeux d’ordre économique et environnemental, qui sont si importants.
Il est pourtant pitoyable de voir ces fumistes justiciers se draper sous les auspices de la défense du peuple alors que ces débats lui sont d’une incroyable nuisance. Le domaine des luttes populaires ayant vocation à unir les dominés de ce monde (la fameuse guerre des classes !), toutes les polémiques qui déchirent les classes exploitées et l’oblige à s’unir à une partie ou l’autre de la bourgeoise, devraient être abordées avec une grande méfiance. Car, il va de soi que l’anti-islamisme, comme l’antiracisme, comporte également leurs partisans dans ce 1% qui domine ce monde. Je sais que les représentants de l’anti-islamisme sont bien moins enclins à y voir une contradiction, car étant essentiellement issus de la droite conservatrice, mais cette tendance entraine également une grande partie du petit peuple des régions vers le gouffre de la pensée réactionnaire. De l’autre côté, si les représentants de l’antiracisme (les inclusifs comme on dit) ont le beau jeu de ne pas trahir les idéaux de la gauche sur le papier, l’abus de langage que constitue l’accusation d’un « Québec raciste » et cette dangereuse tendance à racialiser les problèmes sociaux font également le nid de l’extrême droite. Parce que niant trop souvent la souffrance des locaux et soutenant un peu naïvement toutes les demandes issues des minorités religieuses[1].
Je l’ai déjà expliqué à plusieurs reprises, les actions de ces deux courants se complètent et se nourrissent mutuellement, mais ce qui est le plus ironique dans cette histoire, en plus d’être franchement dangereux, c’est que la persistance de ces thématiques prenne leurs sources dans leur négation même ! Je m’explique.
Certains faits doivent être rappelés, la population du Québec est majoritairement antiraciste et également méfiante envers la religion. La prétention inverse est constamment mise à mal pour les raisons mêmes qui font que l’antiracisme et l’anti-islamisme soient aussi envahissants dans l’espace public. J’en veux pour preuve l’argumentaire même qu’utilisent les monomaniaques de l’antiracisme et de l’anti-islamisme. Rappelons qu’un argumentaire servant à convaincre se base sur les croyances préétablies parmi le plus grand nombre. Il est donc évident qu’une organisation, au sein d’une société majoritairement raciste, ne serait en rien indisposée par des accusations du genre de celle envoyée aux organisateurs de parade de la Saint-Jean-Baptiste. Ils auraient même bien pu le prendre comme un compliment. C’est justement parce que la majorité des Québécois(e)s sont contre le racisme qu’il y eut polémique ! Pour s’en convaincre, il ne suffit que de consulter l’histoire de l’émancipation des noirs aux États-Unis. Les États et les populations racistes n’avaient aucun problème de se faire accuser de pratiquer ce qu’ils revendiquaient à la base comme un droit.
De l’autre côté, la majorité des Québécois sont également hostiles envers les pratiques austères de la religion. Je ne parle pas de la pratique privée et des quelques Églises (j’inclus dans ce lot les mosquées et les synagogues) que l’on croise ici ou là, mais la pratique agressive dans l’espace public et le repli communautaire que ces pratiques impliquent. J’ai déjà longuement expliqué, dans L’Islam en question, les raisons pour lesquelles les musulmans sont en état de repli identitaire et je ne les blâme pas malgré que je m’en désole. Mais croire que le Québec en entier serait en phase d’islamisation, parce que l’on observe une radicalisation des pratiques religieuses dans la communauté musulmane, est un pur délire islamophobe. C’est justement parce que les Québécois(e)s sont hostiles envers ces pratiques rigoristes que l’islamophobie[2] est en constante augmentation au Québec.
Notons que l’argumentaire des groupes antiracistes et anti-islamistes est basé sur le même constat. Autant les antiracistes revendiquent de combattre le racisme (au travers d’une hostilité religieuse comme l’islamophobie) et non pas défendre l’islamisme, autant les anti-islamistes prétendent combattre une religion et non pas une « race ». Le plus ironique est que les antiracistes, comme les anti-islamistes, se disent tous deux être les parangons de l’égalité des droits, de la lutte contre le racisme, de l’égalité homme-femme et qu’aucun des deux groupes ne le fait au nom d’une religion. C’est quand même assez fort de café pour des groupes à ce point antagonistes !
Il est vrai que derrière les discours et l’argumentaire de façade, se cachent souvent d’autres idées moins roses, mais les groupes qui posent de réels dangers sont en réalité très marginaux. Par contre, le débat en lui-même comporte plusieurs dangers bien réels. Notamment via la dynamique malsaine qu’il engendre et que j’ai expliqué dans La dialectique de l’exclusion et qui entraîne de graves préjudices envers les citoyens musulmans et surtout par l’autocratie que les gouvernements sauront tirer de la situation.
Les populations que forme le Québec (Le Peuple) n’ont aucun intérêt à se battre entre elles pour des questions de couleurs de peau ou de religion. Seule l’union des classes pauvres, unies par leurs intérêts objectifs (ce qui inclut l’indépendance, soit dit en passant) est à même de faire le lit d’une meilleure société. Et cette meilleure société passe par des actions politiques concrètes, donc de meilleures lois, de meilleures application et interprétation de ces lois, une plus grande distribution de la richesse sociale, plus de démocratie et de contre-pouvoir. Voir un meilleur système politique tout court ! Le racisme et l’intégrisme religieux sont des fléaux, c’est bien vrai, mais qui ne peuvent être résolus que de façon lente, car issus de pensées qui ne peuvent pas être changées par la loi, mais que par l’éducation et un contexte social favorable. Éducation et contexte social favorable justement mis à mal par cette polarisation malsaine du débat public …
Pour conclure ce petit conseil. Si vous voulez vraiment combattre le racisme ou l’intégrisme, commencez donc par aller parler avec ceux avec lesquels vous êtes en désaccord, et qui doivent être convaincus, au lieu de les dénigrer, au nom de ce détestable et égoïste besoin de pureté idéologique. Croyez-moi, l’ostracisme, l’intimidation ou la violence n’ont jamais su faire de bons arguments pour convaincre qui que ce soit.
Benedikt Arden (juillet 2017)