Après une longue activité
politique, qui la mènera in fine
comme députée de Gouin[1],
Françoise David a
finalement rendu son tablier en janvier dernier pour une retraite sans
doute méritée. Ce qui aura comme conséquence de libérer la place qu’elle et son
parti ont mis tant d’années à conquérir. Comme chacun sait, l’arrivée récente
et en grande trompe de Gabriel Nadeau-Dubois (GND) dans l’arène politique fut
tout indiquée pour défendre ce terrain conquis. GND étant une personnalité bien
connue de la gauche québécoise depuis son rôle lors des événements
de 2012[2],
celui-ci devint tout naturellement la personnalité la plus à même de maintenir
le flambeau solidaire dans cette circonscription. Depuis, plusieurs kilomètres
de papiers d’opinion plus ou moins intéressants ont été publiés et les magouilles
entre partis ont fait leur petit bout de chemin. Il y aurait fort à dire sur ce théâtre politique souvent grotesque, mais ce qui a attiré mon
attention dans cette histoire fut cette candidature dite « atypique » que le
Parti libéral du Québec (PLQ) a mise dans les pattes de GND, soit celle de Jonathan
Marleau.
Cette candidature est considérée
comme « atypique », mais à quel titre ? Car, en dehors de son élection comme président
de la Commission-Jeunesse du PLQ, qui n’a rien de bien « atypique », ce qu’il
lui vaut cette qualification relève du fait que celui-ci serait un membre de ce
que l’on appelle « la communauté LGBT » ainsi que d’être natif de Port-au-Prince,
en Haïti. Autrement dit, cette candidature libérale se présente comme un
représentant des minorités éthniques et sexuelles. Évidemment, cela n’apporte rien
de bien « atypique » non plus, mais son engagement au côté des « carrés rouges
» a pour le moins tout pour surprendre.
Comme il l’a, lui-même dit :
« J'ai porté un carré rouge, j'ai
revendiqué dans le respect, j'ai fait résonner les casseroles, j'ai défendu
l'économie du partage et dénoncer le racisme systémique ». Le portrait
plutôt gauchisant des propos de monsieur Marleau est bien sûr à relativiser,
car, à 20 ans, toutes les portes sont ouvertes, au même titre que les
retournements de veste. Son militantisme
en faveur de Uber et de son système intrinsèquement exploiteur ne laisse pas
de doute sur sa vision sociale des choses. Pourtant ce militant libéral ne se
prive pas d’une certaine rhétorique de gauche et le démontre sans complexe lorsqu’il
affirme qu’il a « toujours eu le courage
de défendre [s]es convictions,
[s]es valeurs, celles du progrès et de la
justice pour toutes les Québécoises et tous les Québécois […] » et qu’il « répond présent lorsqu’il est temps de
représenter la jeunesse et la diversité québécoise »[3].
Il va sans dire que l’antiracisme
bon chic bon genre du PLQ est dans l’ordre des choses, mais cette fois ils ont
fait un nouveau pas dans la diversité identitaire (identitarisme de gauche) et
semblent avoir en tête de jouer la carte des minorités contre le « mâle cisgenre
blanc », un peu à la manière de ceux qu’on nomme un peu bêtement les « socials justice warriors » ou SJW[4].
Le PLQ étant l’archétype même du machiavélisme en politique, la tactique, même
si extrêmement malhonnête, n’en reste pas moins bien pensée. Car le PLQ est
incontestablement un parti néolibéral, donc théoriquement de droite, mais la
prédominance des questions
identitaires par rapport aux questions sociales de l’époque actuelle donne un contexte favorable à ce
genre de confusion des genres.
Mais d’abord, en quoi est-ce que
le PLQ et le néolibéralisme sont-ils de droite ? La question mérite réflexion,
car à l’opposé de ce spectre politique nous observons de plus en plus de
militants souverainistes, issus de la social-démocratie, voir du socialisme,
dériver vers conservatisme identitaire (l’identitarisme de droite) pour des
raisons que j’ai déjà expliquées
à de multiples occasions. En fait, et avec cette montée des questions
identitaires, on remarque aisément que le piler entre la gauche et la droite
tend à ne plus être tout à fait le même.
Ce changement de paradigme entre
gauche et droite n’est évidemment pas sans importance et je ne saurais cacher un
certain agacement quand j’entends certaines personnalités de droite ou des
représentants du pouvoir en place jouer les progressistes quand ces derniers
sont d’abord les chantres d’un régime d’exploitation injuste. Que l’on parle
d'éditorialistes, comme Martineau, Pratte et consorts ou les Couillard, Trudeau
et compagnie, on est souvent surpris d’entendre (ou lire) ces derniers se
prétendre progressistes et modernes à l’inverse d’une gauche souvent décriée
comme « conservatrice », voir « réactionnaire ». Il va évidemment de soi que le
terme de « progressisme » et celui de « moderne » sont tout sauf clairs et peuvent
être utilisés à toutes les sauces, même s’ils évoquent normalement des idées de
gauche. Il n’est donc pas interdit de prétendre que la privatisation générale
des services publics, la destruction du droit du travail et d’une bonne partie
de nos acquis sociaux soient une sorte « d'évolution » vers un certain type de « progrès
» quand l’on est de croyance néolibérale. Tout le monde voit midi à sa porte
quand nous avons à défendre nos idées et, hormis les divers courants
conservateurs à l’ancienne, il est compréhensible que les représentants de ces
options politiques se perçoivent comme étant les garants du « vrai progrès »,
même s’il s’agit d’idée directement issue d’une pensée économique datant du 18e
siècle.
C’est pourtant à partir de ces
notions troubles que sont le « progressisme » et la « modernité », que l’on
essaie de faire passer l’ancienne division « souverainiste-fédéraliste » vers
celui de l’axe « gauche-droite ». Sans pour autant éliminer totalement la
division classique qu’avait cette notion, c’est-à-dire un positionnement basé essentiellement
sur la question de la lutte des classes, celle-ci est sans cesse reléguée aux
questions de société, liées à l’identité, aux valeurs ou à la morale. Quoique
ces questions ne soient pas sans importance, on note rapidement qu’elles ont
rarement le potentiel de changer radicalement la société. Le fameux « cabinet
de la diversité » de Justin Trudeau nous l’a clairement montré depuis sa
composition[5] en
2015.
L’idée de mettre plus d’emphase
sur des positionnements plus idéologiques que constitutionnels n’est pourtant pas
sans intérêt, puisque presque personne (hormis les fédéralistes lors des
périodes électorales) ne semble voir dans l’indépendance une question
d’actualité… Ce changement ne serait donc pas sans intérêt s’il devait servir à
exprimer des projets de société explicites au lieu de servir de parures
factices à des partis qui mériteraient surtout de disparaitre.
Afin de voir plus clairement dans
cet imbroglio, je me dois de revenir sur quelques concepts de base, mais qui
auront comme avantage d’éviter certains des malentendus et des lieux communs
qui troublent ces enjeux.
En premier lieu, je rappelle que
les notions de gauche et de droite sont des étiquettes politiques qui ont
normalement comme usages de positionner idéologiquement des personnes, des
organisations ou des partis par rapport à un centre (le pôle de gravité
idéologique pourrait-on dire). La période qui fût à l’origine de ce concept
relève donc directement de cette dichotomie, soit une division sur la nature du
régime politique de la France du 18-19e siècle (monarchie ou
république). De ce point de vue, il n’y donc pas de corpus doctrinal précis à
appliquer à ce qu’il est convenu d’appeler « droite » ou « gauche », mais
simplement une question de rapport positif ou négatif à un ou des enjeu(x) bien
précis.
Ensuite et comme chacun sait,
cette notion entraine aussi un positionnement général des idées politiques.
C’est pourquoi l’on parle de « gauchisme » et, un peu moins souvent, de «
droitisme » pour identifier des familles politiques et idéologiques. La base de
cette dualité réfère plus généralement à l’acceptation ou au refus de blocs
d’enjeux de société ou de projets politiques. Cette distinction a souvent été,
et l’est de plus en plus, résumée par les concepts de « progressisme » et de «
conservatisme ». Dans ce cadre, le pôle de gravité idéologique est donc basé
sur la notion générale de « changement ». De là la raison d’être de ce fameux
qualificatif de « moderne », qui, en dehors de sa relation avec le «
progressisme », ne veut strictement rien dire. Comme vous le voyez, la
dichotomie « gauche-droite » est une notion malléable et peut donc signifier
des contenus politiques complètement différents, ce qui explique en partie que
des personnalités de droite peuvent se prétendre de gauche ou à tout de moins
progressiste et moderne, ce qui revient un peu au même dans leurs esprits.
L’acceptation de l’idée selon
laquelle la gauche et la droite seraient des corpus idéologiques établies, est
assez récentes et est surtout issues de la recomposition de la
social-démocratie en libéralisme de bonne conscience ou de ce que j’appellerais
la « gauche morale ». Aujourd’hui, les bonnes mœurs et les pensées ouvertes sur
le monde, comme on dit, ont remplacé les projets politiques concrets pour tout
un pan de la gauche. Le libéralisme économique est devenu une
constante de l’ensemble du spectre politique, au point que sa critique est
aujourd’hui vue comme une forme d’extrémisme. Mais le grand malheur est que
cette recomposition est stérile par définition, car la morale et les pensées
des gens sont de nature privée. Et qu’elle soit religieuse ou laïque, la morale
en politique s’est toujours caractérisée au mieux par des discours hypocrites,
ou pire, par une tendance politique plus ou moins opposée aux droits[6].
La morale est pourtant omniprésente dans le discours politique actuel et notre
rapport à cette-ci tend progressivement à devenir un nouveau pôle de gravité
idéologique. Ce qui explique encore une fois pourquoi tant de personnalité de droite se présente désormais comme étant de gauche.
Un exemple concret serait le cas
des sempiternels débats sur l’identité et le multiculturalisme, débat
sporadique qui survole nos vies depuis maintenant plus de dix ans. Sans doute,
vous êtes-vous aperçu que ces débats n’étaient pas tant liés au sens et/ou à l’utilité
que comporte l’identité d’un pays. Autrement dit, sa pertinence politique. Comme
toujours ces débats se centrent sur des questions de morales individuelles ou
apolitiques comme la tolérance, la xénophobie, la tradition, l’intégration[7],
la culture, etc. En somme, rien qui ne dépasse de bien loin les comportements
individuels. Certes, les comportements des individus ont de l’importance dans
la société, mais, en dehors des cas où leur comportement soit illégal, il ne
s’agit pas de questions politiques[8]
à proprement parler. Donc, il est absurde de prétendre que de tels débats
soient interprétés en terme gauche/droite. On peut très bien, comme monsieur
Malreau et le PLQ, être tolérant en termes de diversité religieuse et
culturelle et être tout à faire pour un projet de société inégalitaire. En
somme, être égalitaire dans l’inégalité !
Inversement, il est certain qu’un
discours prônant l’imposition d’un ordre moral quelconque comme projet
politique n’est vraiment pas de « gauche ». Mais contrairement à l’idée qu’on
pourrait s’en faire, cette tentation n’est pas uniquement issue de ce qu’il est
convenu d’appeler la « droite ». Comme je viens de le rappeler, les rapports
humains hors de l’économie et du droit ne peuvent devenir politiques que dans
un État totalitaire, étant de caractère privé. Et un totalitarisme, fût-il de
droite ou de gauche, ne peut en aucun cas être considéré comme un progrès dans le
domaine des droits humains ou de leurs égalités politique et économique.
Pour en revenir à notre droite progressiste
et à notre candidat libéral, on a tous compris que la dépolitisation des enjeux
politiques, pour se centrer sur des questions identitaires et morales, a un
intérêt tout à fait politique. Soit celui de déplacer les enjeux sociaux économiques
vers des débats stériles pour mieux imposer une vision économique préétablie. Les
adeptes du néolibéralisme ont tous pour principale inquiétude de voir ressurgir
le spectre de la planification économique, car la planification est la réponse
de la plupart des maux de la société, à commencer par la discrimination. Le
pouvoir des forts étant issu du contrôle du capital, il est toujours bien sage
de détourner les haines vers l’autre. Surtout si ceux qui s’haïssent sont de la
même classe sociale. C’est pourquoi des débats sur le voile ou sur la diversité
ethnique d’un gouvernement seront toujours préférables à un débat sur l’origine
de la dette et l’utilité de la propriété lucrative (l’actionnariat) dans le
domaine de la production. Ils auront même parfois le culot (et ils l’ont eu !)
de détourner une pertinente interrogation sur les bienfondés du CETA en un
vulgaire manque d’ouverture sur le monde !
Évidemment, je ne crois pas que
le stratagème du PLQ fonctionnera, car, malgré tout son machiavélisme et son
argent, la population de Gouin connait bien ce parti et sait lui tenir
tête. Malgré tout, cette tentative d’enfumage est bien symptomatique de
l’évolution du débat public au Québec et plus largement en occident. Il est
inquiétant de constater à quel point la confusion, entre ce qui relève du
politique et ce qui relève de la morale individuelle, est devenue importante
chez ceux se revendiquant de la gauche. Il n’est donc pas surprenant que les
représentants de la droite néolibérale puissent se présenter comme un parangon
de progressisme, étant issus d’un courant de pensée qui centre son mépris sur
une classe sociale et non sur des questions d’identités. Ils n’ont qu’à trouver
des représentants chez ceux qu’on présente comme des minorités opprimées, mais
… des catégories économiques privilégiées ! Ce n’est donc pas étonnant que le
parti libéral ait embrassé la cause de « l’anti racisme systématique ». Sachant
que le racisme et les discriminations de ce style sont déjà proscrits dans la
constitution. Ils auront le bon jeu d’enfoncer des portes ouvertes tout en
rappelant que les riches forment aussi une minorité qu’ils doivent aussi protéger
des méchants socialistes que nous sommes.
Enfin et vous l’aurez compris, la
confusion idéologique de notre époque tend à modifier la donne en ce qui a
trait l’axe gauche-droite. Il serait donc à leur propre avantage que les
représentants de la gauche se rappels que ce qui fait le progressisme en
politique n’est pas tant les vertus des citoyens (aussi importante soit cette
notion), mais la nature d’un projet de société qui aura comme conséquence de
faire respecter nos droits individuels et collectifs.
Benedikt Arden (mai 2017)
[1] De
2012 à 2017
[2] Porte-parole
de « CLASSÉ »
[4]
Ces guerriers de la justice sociale sont d’ailleurs bien connus pour être tous
sauf des « guerriers » et sont surtout connus pour défendre la justice sociale
qu’en complément des reconnaissances identitaires de certaines des minorités
les mieux défendues.
[5]
Même si la diversité ethno religieuse était plutôt avancée, l’origine sociale,
professionnelle et idéologique de ce gouvernement restait plutôt monolithique.
[6] La
morale ou l’éthique sont des qualités que l’on s’impose à soi-même, pas aux
autres.
[7]
Certaines de ces notions, comme l’intégration, sont en partie politiques, c’est
vrai. Mais pas au sens où certains l’entendent. L’intégration est un processus
individuel. C’est le contexte économique et légal qui enveloppe cette démarche
qui est politique.
[8]
Rappelons que la tâche du politique est d’abord de rédiger des lois et de les
faire respecter.