C’était à l’occasion du long
weekend de la commémoration des patriotes qu’avait lieu le congrès de Québec solidaire
(QS) et de son fameux vote sur la possibilité d’alliances entre partis
souverainistes. C’est-à-dire, le Parti québécois (PQ) et Option nationale (ON).
Plusieurs en attendaient beaucoup (probablement un peu trop), même si ces
potentiels pourparlers n’étaient qu’un simple prélude hasardeux. Mais il n’en
demeure pas moins que bien des souverainistes voyaient en cette alliance «
souvrainisto-progressiste » une réelle solution pour 2018.
Résultats des courses, si les
congressistes ont refusé les pourparlers avec le PQ, ceux concernant ON ont été
accepté. Ce qui démontre au moins assez clairement que les membres de QS sont
potentiellement capables de renforcer leur position sur l’indépendance, malgré
les gains électoraux négligeables que provoquerait cette fusion au sein des
intentions de vote[1].
En conséquence, le résultat des
votes concernant les alliances souverainistes est donc clair : QS embrasse la
cause de l’indépendance, mais rejette son « vaisseau amiral ». Mais pourquoi ce
rejet ? Pour les militants de QS, c’est d’abord pour son attitude face au
conservatisme identitaire plus ou moins assumé et accessoirement pour ses
positions ambiguës en matière environnementale et sociale. Mais à écouter les
militants péquistes dans leurs diatribes, cette position de rejet irait « contre toute
logique » et n’aurait comme autre conséquence que de « voler des votes au PQ ».
Évidemment,
ces militants se gardent bien de répondre aux critiques du PQ, qui engendre ce
désamour. Vous savez, ces zones grises sur des questions pourtant fondamentales
pour un parti se prétendant indépendantiste, comme celui du mode de scrutin, des
moyens d’accession à l’indépendance, l’échéance, voire l’indépendance elle-même
! Et je ne parle même pas de toute l’ambiguïté derrière le soi-disant «
progressisme » de l’appareil du Parti québécois[2] et
de son refus de comprendre que les électeurs sont libres de ne pas voter PQ
s’ils ne le trouvent pas convaincant.
Enfin,
le schéma pour ces militants est tristement toujours le même et se limite à
donner carte blanche à la direction du PQ et le plein appui dans ses châteaux
forts comme position de « gros bon sens », car la formation serait potentiellement
« plus à même de remplacer les libéraux » au sein du gouvernement. Mais, en
dehors du fait que le PQ ait lamentablement échoué à cette tâche[3]
lors de sa dernière expérience au pouvoir, il n’en demeure pas moins que c’est
beaucoup demander à la direction de QS que de donner cette carte blanche au PQ.
Car il est peu probable que le PQ veuille laisser autre chose à QS que ces propres
conquêtes et les circonscriptions où le PQ n’a aucune chance de gagner.
Autrement dit, un marché de dupe. De plus, il ne faut pas perdre d’esprit que le
PQ est en déclin constant et que QS fait normalement ses conquêtes sur les
terres péquistes et non l’inverse, ce qui rend l’offre encore moins
intéressante. Cela va de soi ! Et tout ceci additionné aux griefs idéologiques
qu’ont ses militants et mentionnés ci-dessus.
Malgré
la déception de certains, QS semble avoir le vent dans les voiles
depuis ce congrès et se prétend même être en mesure de battre les libéraux aux prochaines élections. Malgré tout l’engouement suscité par QS, il
n’est pas encore tellement crédible que ceux-ci soient un réel concurrent pour
le PLQ en 2018. Mais il n’est pas impossible que leurs appuis et représentations
augmentent significativement dans certains centres urbains (même hors de
Montréal). Et cela au détriment du PQ, comme toujours. Il est donc
compréhensible que les membres de QS n’aient pas accepté de se faire avaler par
un PQ en déclin. D’autant plus que c’est ce même PQ (du moins, celui de Lucien
Bouchard) qui abandonna l’électorat progressiste francophone dans les années 90-2000
(parce qu’un peu pris pour acquis, il faut bien l’admettre) et qui engendra
l’espace politique qu’occupe maintenant QS.
Malgré
ces quelques griefs envers l’appareil et la base du PQ, je me dois de préciser
que QS n’est pas sans fautes non plus dans cette histoire et leur stratégie,
même s’ils la présentent comme étant comparable à celle de la France insoumise
de Jean-Luc Mélenchon (JLM), n’est pas de même nature. Et cela depuis le tout
début de sa fondation. Les mouvements progressistes qui marchent dans le monde ont tous comme base un programme minimal de convergence.
Programme minimal permettant d’établir un objectif clair et de faire le pont
entre différents mouvements et forces sociaux propres à chaque pays contre
leurs représentants néolibéraux[4].
Si QS est effectivement une convergence, celle-ci l’est d’abord entre la
social-démocratie radicale (Union des forces progressiste) et les représentants
politiques du mouvement communautaire (Option citoyenne). De la coalition
solidaire est visiblement absente tout un pan du mouvement syndical (notamment
celui des régions) et des indépendantistes[5],
ce qui n’est pas négligeable comme forces sociales encore plus ou moins proches
du PQ. C’est d’ailleurs ces dernières forces qui misaient le plus sur cette
alliance.
En
fait et pour continuer la comparaison avec le contexte français et québécois,
QS serait plutôt comparable à une alliance entre le Front de gauche
et le NPA, quand la France
insoumise est d’abord une coalition de partis politiques, groupes sociaux,
environnementaux, socialistes et syndicaux autour d’un programme pragmatique et
évitant les sujets inutilement polémiques. Les éléments qui divergent le plus
entre ces deux coalitions, est que la France insoumise s’est construite d’abord
et avant tout sur la mise au banc des partis[6] et
de leurs besoins de domination idéologique, pour se focaliser sur un programme
minimal de convergence qui sut fonder le mouvement de masse que l’on connait
aujourd’hui. Tout le monde y trouve son compte, malgré les profondes
divergences entre les groupes qui soutiennent ce mouvement.
Pour
ce qui est de QS, le programme est tout
sauf minimal et comporte une multitude de points polémiques propre à éloigner
bien du monde. Notamment sur les questions identitaires, qui, trop souvent,
prennent appui sur une réalité subjective des discriminations au lieu de
focaliser sur le cadre social et juridique à l’origine des discriminations.
Autrement dit, QS exclut implicitement tous ceux qui ne sont pas acquis aux
discours parfois provocateurs des groupes féministes, LGBT, immigrés, musulmans,
etc. Et ces gens, surtout en région, sont très loin d’être tous de droite,
malgré ce que l’on en dit à Montréal. Comme je l'ai écrit déjà à mainte reprise,
il est stratégiquement idiot de rejeter tout un pan du mouvement syndical et souverainiste
par simple dogmatisme idéologique. Quand on aurait tous à gagner de les écouter,
afin de comprendre leurs peurs pour ainsi y répondre sans mépris. Cette
ouverture a été l’un des grands succès de JLM, car la stratégie de pureté de la
vieille gauche française (comparable à celle de QS) est une des grandes raisons
qui ont fait du Front national le 1er parti ouvrier de France.
Depuis que la France insoumise daigne parler avec les électeurs du FN (du
moins, son électorat ouvrier et précaire), ces derniers peuvent se réconcilier
avec la gauche et ainsi court-circuiter la propagande identitaire du FN. C’est
d’ailleurs une stratégie que Québec solidaire professe depuis longtemps pour communautés
culturelles (surtout musulmanes), alors il n’est pas logique de ne pas
l’appliquer aussi aux Bernard Gauthier du Québec profond.
Je
sais que cet intérêt porté aux régions n’est pas directement mis de côté par
l’appareil de QS et ces derniers se défendraient bien sûr d’abandonner les
régions. Mais il n’en demeure pas moins que le programme identitaire (de gauche) très étoffé
de QS rend la discussion difficile au même titre que la charte des valeurs a su
brouiller le PQ d’avec l’électorat immigrant. Le programme de QS est rempli de
vœux pieux et de jugement de valeur qui n’apportera rien de neuf s’ils devaient
arriver au pouvoir[7], mais qui lui aliène un
grand nombre d’électeurs antilibéraux susceptibles de les soutenir pour leur
programme économique, environnemental et démocratique. Ces électeurs, au même
titre que ceux du FN, sont tout à fait mûrs pour une récupération populiste et
forment un électorat tout prêt pour le parti qui saura jouer au mieux la carte
sociale et identitaire.
Par
chance, ce jour n’est pas encore arrivé. Mais ne soyons pas naïfs, le conservatisme
identitaire fleurit de jour en jour sur le terreau qu’engendre les
extravagances de certains groupes proches de QS et dont le fonds de commerce est
plus de culpabiliser les masses que de lutter réellement contre les
discriminations. Si QS se veut un mouvement de masse, celui-ci devra rejeter le
culpabilisme que professent ses composantes identitaires (de gauche)
extrémistes, car ces derniers seront toujours un repoussoir pour la majorité de
la population et lui aliénera le soutien des masses[8]. Et
est-il besoin de rappeler cette évidence qu’un mouvement de masse ne peut se
faire sans le soutien de cette même masse ?
En
somme, je ne crois plus aux chances de revoir un PQ sain depuis belle lurette,
mais Québec solidaire est encore actuellement loin d’être sur la voie du
pouvoir et donc de l’indépendance. Tant et aussi longtemps qu’ils seront
prisonniers de leurs positions moralisatrices et que ceux-ci regarderont de
haut les gens des régions (qui sont un électorat objectivement et
subjectivement discriminé !), le pouvoir ne saura être ailleurs que dans les
mains du PLQ, voire pire …
En
fin de compte, et si le vote a su décevoir bien des gens, les choses ont désormais
le mérite d’être claires pour la suite du calendrier politique. Reste à savoir
si le PQ de Lisée voudra continuer dans la voie d’un parti qu’il prétend progressiste
? Autrement, nous aurons une nouvelle fois la preuve que cette main tendue
n’était qu’une manœuvre (toute Liséenne) ne visait qu’à avaler la gauche du
Québec pour mieux la tuer !
Benedikt Arden (mai 2017)
[1] Le
petit 1% d’électeur d’Option nationale ne sera pas mathématiquement acquis à
QS, malgré des négociations favorables.
[2]
Comme la fameuse « gauche efficace » de son chef.
[3] C’est-à-dire
remplacer durablement le PLQ.
[4] Le
plus souvent représenté par les partis traditionnels de l’axe gauche-droite.
[5] La
base des souverainistes est rarement un soutien des politiques néolibérales.
[6]
JLM a mainte fois dénoncé les alliances entre partis et l’opportunisme qui s’en
apparente. Les déboires avec l’appareil
du PCF sont directement liés à ce point.
[7]
Voir le point 1 du document « Pour
une société solidaire et féministe » qui est un copier-coller de la charte
des droits présentement en vigueur, mais tout en imposant une vision
moralisatrice et subjective de la société québécoise. Ce qui les emmène à
promouvoir tout un ensemble de privilège et de discrimination lié à la « race
», le sexe, la religion, etc. au lieu de changer les structures économiques qui
engendraient l’égalité de tous.
[8] La
lutte contre les discriminations et le culpabilisme ne sont en rien liés. Le
culpabilisme est la plupart du temps contreproductif, car n’excitant que la
réaction tout en ayant un potentiel d’éducation quasi nul.