Il n’a échappé à personne que
l’élection présidentielle française s’est soldée par la confirmation des
prévisions des instituts de sondage, qui prédisaient depuis plusieurs mois déjà
un duel Macron/Le Pen au second tour. Il n’était pourtant pas du tout certain
que ce scénario survienne, car l’évolution des tendances des dernières semaines
avait mis en place une course à quatre d’autant plus serrée que la différence
entre la 1re et 4e place n'a divergé que d’à peine 4%. Cette
défaite de la France Insoumise doit tout de même être relativisée, car elle
cache aussi une grande victoire au sein de la gauche. Le mouvement de Jean-Luc
Mélenchon n’a peut-être pas réussi à atteindre la magistrature suprême, avec
son 20%, mais son hégémonie au sein de la gauche est maintenant totale. Étant
donné le score (6%) de tiers parti qu’a obtenu le parti socialiste, cette
dernière élection risque fort bien de lui être fatale. D’autant plus, que la
grande majorité des apparatchiks de l’appareil (et non les moins opportunistes)
sont déjà, ou rejoindront à brève échéance, l’équipe d’Emmanuel Macron. Ce
mouvement « En Marche ! » vers le néolibéralisme aura le grand mérite de mettre
un peu de clarté dans ces étiquettes politiques frauduleuses qui faisaient
office de façade pour crédules.
En somme, la bonne nouvelle de ce
premier scrutin est de revoir une force progressiste réellement sociale en
France et ayant enfin le potentiel de remettre de l’avant certain des thèmes
(souveraineté nationale, critique de l’OTAN, protectionnisme, pacifisme, etc.)
que le Front national (FN) s’était stupidement fait abandonner par cette «
gauche » de gouvernement depuis tant d’années.
Mais outre cette demi-victoire
tout sauf négligeable, le mauvais côté de l’affaire est le retour du sketch
frelaté du « front républicain », qui n’aura comme seul dénouement que de
légitimer le candidat du « moindre mal ». Ceci par un plébiscite digne des
pires régimes, face au mal incarné que représente le FN… Mais hormis la mise de
côté des principes de base de la démocratie, je crois bien que le mal est
ailleurs, car ce type d’exercice a aussi comme vice fondamental de renforcer
indirectement le vote FN et donc tend à rendre son élection ultimement possible
un jour. Je m’explique.
L’utilité du FN dans le paysage
politique français est de servir d’épouvantail, donc de repoussoir utile afin
de rallier des courants, qui normalement devraient se combattre, au profit des
partis au pouvoir. Contrairement à son prédécesseur italien (le
MSI), celui-ci ne semble pas encore être en mesure de se faire accepter par
la droite classique, malgré l’abandon de tout un pan de leur tradition
politique et d’un fort courant promouvant une alliance de cette nature au sein
de l’appareil du FN. Les raisons conjoncturelles sont nombreuses, mais à mon
avis les raisons sont d’abord structurelles et idéologiques.
La France est dominée par un
besoin très puissant de catégoriser les courants politiques. Et les acteurs de
ce système en sont bien conscients et l’utilisent allégrement afin d’occulter
certains enjeux décisifs. C’est pourquoi l’axe droite/gauche traditionnel,
malgré son incapacité à interpréter les forces en présence, semble à ce point
promu par les journalistes et les politiciens. Si l’on ne se base que sur cet axe, il
devient difficile de juger correctement certaines questions pourtant fondamentales
comme l’indépendance nationale, monétaire et géopolitique, qui ne sont pas strictement
applicable sur une opposition entre gauche et droite, car elles sont partagées
à la fois, par des courants de pensés se revendiquant des deux familles.
Afin de pallier ce manque, le
terme de « populiste » fut donné aux courants ayant adopté la défense de ces
enjeux. Malgré tout, ce terme reste très connoté à la droite, malgré qu’il soit
de plus en plus utilisé pour qualifier certains courants de gauche, notamment
ceux remettant en cause le capitalisme financier. Le sens à comprendre derrière
l’usage courant du terme « populisme » est d’abord péjoratif et doit être
entendu un peu comme « démagogue », donc basé sur des discours frauduleux inspirés par les sentiments vils du peuple. Le populisme sera donc l’opposé des
courants se présentant comme « raisonnables », notamment ceux représentés au
gouvernement.
La gauche dite « populiste »
l’est en France d’abord parce que remettant en cause la construction
européenne, l’Euro et plus largement les principes du libre-échange et de la
finance. Même si derrière la critique de ces institutions, il ne se cache rien de
plus que les bons vieux principes du socialisme, les commentateurs médiatiques,
l’extrême gauche bébête et les promoteurs du marché y verront une dérive «
souverainiste ». C’est pourquoi ils feront beaucoup d’effort pour assimiler ces
courants à l’extrême droite. Pourtant, si l’extrême droite est historiquement
associée au nationalisme[1],
il n’en va pas du tout de la souveraineté nationale. Ce concept politique n’est
certes pas, comme je l’ai déjà précisé, uniquement partagé que par la gauche,
mais il est inséparable d’une vision réaliste de l’exercice de la démocratie. L’État-nation
est, pour encore un bon moment, le seul cadre dans lequel peut s’exercer la
démocratie et un programme concret de socialisation économique, car, comme
chacun sait, plus l’agglomération s’élargit, moins la démocratie est
représentative des populations et plus elle rétrécit, plus sa possibilité
d’action est limitée. Loin d’être un paradoxe, il s’agit tout simplement d’une
donnée banale que toute personne s’intéressant à la politique devrait avoir
réfléchie au moins une fois dans sa vie.
L’idée des tenants de la
mondialisation néolibérale est donc d’assimiler la souveraineté et tout ce qui
l’entoure de l’infâme ! Et l’infâme c’est l’extrême droite et le fascisme comme
vous le savez et c’est pour cette raison que la gauche réellement sociale doit
constamment se défendre d’être l’inverse de ce qu’elle est. Mais pour le FN,
cette tactique de diabolisation manichéenne est une source constante
d’électorat neuf. Il est vrai que le FN, contrairement aux autres partis, ne
possède que peu d’électorats de réserve en cas de deuxième tour. Mais les
électeurs acquis au FN le sont normalement de manière assez fervente, car ayant
à subir tout un ensemble de préjudice dans leur vie de la part de leurs proches
et qui a aussi le potentiel de nuire à leur vie professionnelle.
L’adversité que connaissent ces gens a donc une forte tendance à les souder
idéologiquement à ce parti et donc à influencer sur le long terme les points initiaux
de désaccords (notamment celui du racisme !).
Inversement, les partis de
gouvernement ont un électorat de plus en plus volatil. Le résultat de la
dernière élection prouve sans aucun doute ce fait. Cette volatilité de
l’électorat n’est pas tant due au courant qu’ils devraient représenter, mais à
l’espoir ou au rejet qu’ils suscitent. Et dans l’état des lieux et en vertu de
la construction européenne, la France est prise dans un engrenage lui imposant
une politique répressive d’austérité ayant un impact décisif sur une majorité
de la population. Comme une grande part de la population se voit précipitée de
force dans cet abime et que les partis de gouvernement ont tous plus ou moins
été zélés à ne pas tenir leurs promesses de campagne, la tendance générale est
de se rabattre vers ceux qui n’ont pas exercés le pouvoir ou vers l’abstention.
Mais plus encore, comme chaque avancée du FN se voit aussitôt suivie d’un rassemblement
en bloc contre lui et que ce bloc est souvent assimilable aux défenseurs du
carcan européiste. C’est donc à juste titre que les gens qui souffrent de
déclassement par ces politiques néolibérales interprètent ce bloc comme étant celui du « système » qui les opprime. Et comme il n’y avait jusqu’à récemment
aucune autre alternative que le FN afin de protester électoralement contre
cette construction antidémocratique qu’est l’Union européenne, le FN est devenu,
pour une bonne partie du peuple français, le représentant de ces déclassés,
malgré la réalité mensongère de cette croyance.
Le FN effarait encore aujourd’hui
une majorité de Français, mais à chaque fois qu’une personne tombe dans la
précarité imposée par l’Europe, cette personne, pour les raisons exprimées
ci-dessus, devient potentiellement un électeur frontiste. Et à chaque fois que
cette personne ose « sortir du placard », si vous me passez cette expression,
elle fera face à un ostracisme qui risque de la souder définitivement à la «
communauté FN ». Autrement dit, chaque « front républicain » et chaque
injustice perpétrée envers ses électeurs renforcent le vote Front national. Et
c’est ce qui arrive depuis plus de 30 ans.
La tactique du repoussoir est
évidemment efficace, car s’appuyant sur une histoire de fascisme qui fait froid
dans le dos, mais celle-ci n’est pas à toute épreuve et perd de son efficacité
à chaque fois qu’elle est utilisée. De plus, en diabolisant les thèmes (et non
pas les seuls arguments) utilisés par le FN, il devient presque impossible de
démontrer à la population que des alternatives à gauche existent aussi. S’il
existe des inquiétudes face à l’immigration, à cette guerre potentielle avec la
Russie, au dogme du libre-échange, à l’Union européenne, etc. Il est suicidaire
de laisser au seul FN le soin de traiter ces sujets qui fâchent sans riposter. D'autres solutions existent et certaines d’entre elles ont été
magnifiquement promues par Jean-Luc Mélenchon lors du dernier scrutin, ce qui
explique à mon avis une partie de son succès électoral.
De toute manière et peu importe
le court du prochain mandat (qui ne risque pas d’être rose), la seule tâche qui
importe à la gauche de France comme à celle du Québec est de mener un combat à
la fois contre cette oligarchie qui nous opprime tout en reprenant le pas sur
les terres que les sociaux traitres de tout acabit ont abandonnés à cette
fausse alternative en échange de postes bien rémunérés.
Espérons seulement que l’aile dite «
sociale » du FN du Nord finisse par perdre le contrôle de l’appareil, au profit
de son pendant libéral du Sud. De cette façon le FN subirait probablement le même sort
que son équivalent italien et se dissoudrait dans la droite classique et permettrait
de libérer cet électorat qui ne lui appartient pas.
Benedikt Arden (fin avril 2017)
[1]
Seulement à partir de la toute fin du XIXe siècle, car auparavant le
nationalisme était associé à la gauche républicaine, voir l’extrême
gauche.