En janvier 2015 et faisant suite aux attentats de Charlie
Hebdo, j’écrivais les mots suivants :
« Tous ceux qui connaissent un peu la réalité du monde et son évolution
auront tôt fait de comprendre que le risque d’attentats de ce type dans les
divers états occidentaux, mais surtout en France, était une réalité à craindre.
Mais voilà que comme une traînée de poudre, cette situation rendra sans doute
les tensions sociales encore plus difficiles dans les pays à fort taux
d’immigration musulmans. Cela engendrera probablement des conséquences très
nocives partout où le même terreau sociologique est cultivé. »
« […] il n’est pas difficile de
comprendre que de blâmer les populations d’accueils (comme le fait trop souvent
la gauche) ou les immigrants (comme le fait trop souvent la droite) de tous les
maux n’ont pas d’autre conséquence que d’empirer la situation. Car quand l’on
stigmatise les musulmans en même temps que le reste de la population au nom des
fractions inverses, il s’avère que l’on génère des antipathies qui finissent
tôt ou tard par ce genre d’acte barbare. En somme, les deux discours se
complètent dans ce qu’il y a de plus nocif si nous voulons construire une
société de paix. »
Si nous prenons un peu de recul
sur la situation actuelle, je crains que mon anticipation concernant les
conflits sociaux présents se soit révélée plutôt juste, si l’on tient compte de
l’importance complètement démesurée qu’a prise la question de l’Islam dans nos
sociétés. Et contrairement à ce qu’ils auraient dû servir, tous ces débats ont
surtout permis l’émergence d’une nouvelle opposition politique plutôt
originale, si nous l’analysons d’après les critères politiques habituels
(gauche vs droite[i]).
Soit une opposition centrée sur la question même de l’Islam et qui se voit
s’affronter (grosso modo) des groupes se revendiquant du laïcisme (plus ou
moins athée) et du nationalisme culturel contre ceux défendant le
multiculturalisme et le communautarisme. L’élément qui se trouve être le plus
original dans cette dichotomie politique n’est pas tant le débat sur la place
de la religion dans la sphère publique (car déjà très ancien), mais le fait que
les représentants de ces chapelles se présentent tous comme les défenseurs du
progressisme et du droit contre l’obscurantisme. Obscurantisme évidemment
représenté par l’autre camp. À l’évidence, chacun a sa vision particulière
du progressisme…
Le premier, laïciste & plus
ou moins hostile à l’Islam, se présente comme le représentant de l’égalité
homme-femme, du droit des gais, etc. Ceux-ci revendiquent une lutte contre une
idéologie religieuse jugée réactionnaire, un peu sur le modèle de celle menée à
l’époque de la Révolution tranquille[ii]
ou du 18e & 19e siècle en France. Certains de ses
représentants iront parfois jusqu’à parler de « fascislamisme » ou de «
fascisme vert » pour mettre leur position en emphase et ainsi usurper la
vieille rhétorique antifasciste, comme le fait allégrement BHL
depuis longtemps. Les seconds, soit les multiculturalistes plus ou moins
favorable à l’exercice du culte islamique, se présenteront, quant à eux, comme
les défenseurs des droits individuels et de l’antiracisme classique. Le rejet
de l’Islam étant essentiellement considéré par ces derniers comme étant une
forme de racisme, toute ingérence ayant vocation à contraindre la pratique du
culte sera ipso facto interprétée comme émanant de sentiments racistes « mêmes
si emballés d’un argumentaire progressiste », diront ces derniers.
Il va sans dire que les
controverses entourant ces débats forment un fourre-tout idéologique qui ne se
prive pas d’un certain ridicule, car se présentant tous comme les défenseurs du
« véritable progressisme » contre la « réaction ». Les uns étant frappés de
l’anathème « d’islamophobes » et les autres « d’islamo-gauchistes », il est
pathétique de les voir s’emporter dans des interprétations souvent franchement
fantasmées de la présente situation. Car, autant les premiers auront souvent
tendance à prendre pour cible « l’idéologie islamique », les seconds
focaliseront leur argumentaire sur le thème du racisme pour expliquer un peu
tout et n’importe quoi. Par chance, il ne s’agit pas de l’ensemble des débats
entourant ces questions et il est encore facilement possible d’en trouver de
très constructifs, notamment dans les universités et dans les médias &
forums spécialisés. Malgré ces initiatives salutaires, nous ne pouvons en dire
autant des grands médias, ceux-là mêmes qui sont portés par des intérêts privés
et ayant un plus grand souci du « buzz » que de l’éthique
journalistique. Médias suivis par les grandes masses et se privant rarement de
faire mousser des polémiques aussi anecdotiques que nuisibles par des faits
divers et des nouvelles de nature peu fiable.
Avec un peu de recul, on note
aisément que le point commun qu’ont les belligérants de ces débats est de
chercher l’affrontement au détriment d’un consensus constructif, car
l’essentiel des deux discours est très largement consensuel et pourrait
facilement se concorder sur un programme minimum. Mais puisque l’objectif est
d’abord de sauver leurs thèses (la faute aux racistes ou à l’Islam), ces
derniers feront tous les efforts possibles pour ne pas comprendre qu’il ne peut
y avoir de victoire pour aucune des parties dans l’état actuel des choses. Mais
il est certain qu’avec la caisse de résonnance que leur offre les grands
médias, ces polémiques sans issues risquent de nous porter vers des conflits
sociaux majeurs, puisqu’au-delà des idées, c’est d’Êtres humains dont il est
question ! Le problème ne réside donc pas chez ceux qui font de l’Islam le
problème primordial, ni chez ceux qui se refusent carrément de poser la
question, mais dans le climat malsain causé par une mauvaise interprétation de
la réalité, ce qui implique de facto
de mauvaises solutions.
Cette situation est d’autant plus
préoccupante que ceux qui combattent l’Islam ou l’islamophobie au nom des
libertés libérales semblent oublier chaque jour davantage que ce type de
combat, qui vise à bâillonner ceux qu’ils estiment être leurs ennemis, font
partie des principaux arguments qu’utilisent les dirigeants occidentaux afin de
limiter nos droits. L’état d’urgence
& les lois d’exception en France, le Patriot Act américain et notre Loi
antiterroriste[iii] (C-51) en sont tous issus, même s’ils sont aussi généralement dénoncés par la
portion respectable (les progressistes sincères) de ces mêmes groupes. Car il
faut bien avouer qu’un autre aspect dérangeant de cette nouvelle opposition
politique est qu’elle fait s’unir gauche et droite dans leurs causes
respectives et procède (dans les deux cas) d’un savant mélange de discours
progressistes et de mesures politiques réactionnaires[iv]. Politiques différentes, il est vrai, mais ayant tous deux
participé à la mise en place d’un appareil répressif, qui aura tôt fait de
monter son vrai visage quand viendra le jour où une véritable guerre de classe
émergera des décombres de cette guerre, d’apparence religieuse.
Comme
vous le comprendrez, le sujet est aussi vaste que confus et afin de préciser
mes craintes sur cette superstructure légale en voie de création, il serait
bien de mettre un peu d’ordre dans tout ça.
Le culte
Afin de bien analyser le problème
actuel, il est primordial d’inscrire la question de l’Islam dans le processus
social dans lequel il s’inscrit et non pas tant comme une idéologie automotrice
de ses propres comportements. Même si l’on n’est pas d’accord avec moi sur le
rôle prépondérant que joue l’infrastructure économico-sociale sur l’idéologie,
on se rendra bien vite compte que le pur combat d’idée n’a jamais réglé
quoi que ce soit. Ces efforts sont assurément valables, mais restent de nature
purement intellectuelle et n’ont que peu d’impact dans la vie hors des
universités et des Églises. La croyance selon laquelle une idéologie (et à plus
forte raison une religion) peut être éradiquée, autrement que par son
dépérissement naturel[v],
relève d’une naïveté propre au totalitarisme[vi].
Les exemples sont pourtant légion[vii]
et l’inefficacité de ce genre de politiques s’est confirmée à de multiples
occasions.
Mais avant tout, qu’est-ce que
l’Islam ? Est-ce possible d’en comprendre le sens sans nécessairement avoir à
s’empêtrer dans une lourde théologie impertinente ? Bien sûr que oui !
Selon Wikipédia, « L'islam
(en arabe : soumission à Dieu) est une religion abrahamique s'appuyant sur le
dogme du monothéisme absolu et prenant sa source dans le Coran, considéré comme
le recueil de la parole de Dieu (Allah) révélée à Mahomet (Muḥammad), proclamé par les
adhérents de l'islam comme étant le dernier prophète de Dieu, au 7e siècle en
Arabie ». En d’autres termes et comme pour les autres monothéismes, l’Islam
est une idéologie explicative de la totalité du monde basé sur la
présupposition de l’existence d’un Être unique tout puissant, qui promet à ses
adeptes un au-delà qui sera conditionné (enfer ou paradis) en fonction des
actions et pratiques de ses membres lors de leur vie. Le paradis ou l’enfer est
donc le dénouement du respect des pratiques qui sont indiquées dans le livre
saint ou par ses interprètes. Pour un esprit matérialiste (ceux auxquels
précisément je m’adresse), l’Islam est surtout une doctrine ayant à la fois un
rôle d’organisation sociale et de réponse aux questionnements métaphysiques
propre à l’Homme. Cette doctrine, sans avoir à en départager ce qui tient du
mythe ou de l’Histoire, comporte ses particularités en l’état qu’elle est
apparue à un endroit et une époque particulière, soit l’Arabie du 7e
siècle. Il est donc primordial d’en tenir compte pour en juger les mœurs.
Comme vous le savez peut-être
déjà, l’époque de cette partie du monde comportait quelques particularités.
Notamment d'être désertique, violente et particulièrement divisée
politiquement. L’infrastructure économique de l’époque était essentiellement
l’élevage de bestiaux et la propriété terrienne de type féodale. Toutes ces
données structurelles sont fondamentales si l’on veut bien comprendre l’origine
des pratiques de l’Islam, car ses pratiques sont pour l’essentiel à comprendre
par ce filtre. Un exemple concret serait le très polémique voile islamique,
recouvrant plus ou moins l’ensemble du corps des femmes. Ces coutumes liées à
cette extrême pudeur des femmes ne sont pas issues du simple fruit de
réflexions métaphysiques, mais sont d’abord liées à la nécessité de contrôler
les naissances (dû au climat et à la production de nourriture[viii])
et au niveau de frustration qu’engendre la concentration des femmes chez les
aristocrates et autres propriétaires terriens. D’ailleurs, la concentration des
femmes chez ces riches personnages, était aussi liée au rapprochement des
pâturages (par le mariage conclu entre propriétaires voisins), donc la
possibilité d’entretenir de futurs héritiers et un groupe plus grand.
Notons, comme autre exemple, le
cas de l’interdiction du porc dans l’alimentation musulman. En fait, c'est
surtout la corruption rapide de cette viande par grande chaleur (à une époque
où, rappelons-le, il n'existait pas de frigos) qui serait à l'origine de cette
pratique et non encore une quelconque réflexion métaphysique. Le porc, qui a la
particularité de demander beaucoup de cuisson à cause de sa teneur en bactéries
pathogènes, nécessite une quantité de combustibles qui se trouve à se faire
rare dans les grandes étendues désertiques de l’Arabie. C’est donc bien des
éléments conjoncturels de l’époque que sont issues les caractéristiques
actuelles du culte islamique.
Je pourrais multiplier les
exemples de cette manière encore longtemps, afin de démontrer que les aspects
rigoristes de cette religion s’expliquent pratiquement toujours par des
considérations liées aux nécessités de la vie en société et n’ont que peu à
voir avec l’immortalité de l’âme. Comme la
volonté est toujours issue de la nécessité, on en vient à comprendre que la
religion se crée de la même façon que les grandes idéologies structurantes,
soit par des nécessités d’ordres sociales[ix],
même si l’apparition de ces coutumes peut prendre bien des couleurs.
L’Histoire
Ceci est fort intéressant, me direz-vous, mais pourquoi ces pratiques se conservent-elles encore de nos jours ? Cette
question est fondamentale, car c’est à travers elle que nous pourrons juger du
danger réel ou supposé que pose l’Islam aujourd’hui. On pourrait écrire
plusieurs briques de plus de mille pages pour répondre à cette question, mais
inutile de sortir des éléments fondamentaux pour s’y retrouver et ainsi y
répondre. Comme toute culture religieuse, l’Islam porte en elle la responsabilité
de maintenir la superstructure éthique et idéologique de ses sociétés et, de ce
fait, aussi de ses coutumes. La tradition est donc la base de l’ordre établi
pour faire fonctionner « organiquement »
la population, mais elle sert aussi à justifier la hiérarchie en place. Cette
hiérarchie est comme les autres, le garant des rapports de production. Mais
quand les rapports de production changent, des tensions apparaissent et
s’intensifieront, jusqu’au jour où l’ordre change brusquement, comme lors d’une
révolution, ou par des épisodes de réformes rapides. Les religions ne changent
jamais aussi rapidement, mais elles se trouvent dans l’obligation de le faire
relativement rapidement pour ne pas se retrouver en déphasage et ainsi risquer
de perdre sa raison d’être.
L’Islam, comme les autres
religions, fît des réformes (il existe plusieurs courants réformistes dans
l’Islam), mais la grande différence réside surtout dans le statut colonial
et/ou semi-colonial de la plupart des pays musulmans lors de nos périodes
d’industrialisation et qui ont fait perdurer artificiellement les structures
féodales[x]
dans ces États. Malgré ce contrôle extérieur, certaines données ont tout de
même évoluées au court du 20e siècle, notamment au point de vue
démographique. L’augmentation de la population et la prolétarisation qu’elle
engendre (par manque de travail sur les terres agricoles) couplée à
l’augmentation de l’éducation et de la domination de leurs pays, a entrainé,
dans la majorité de ces pays, de forts courants socialistes et une laïcité de
type occidentale, malgré le maintien des mœurs traditionnelles dans la majeure
partie de la population. Le socialisme de ces pays s’est surtout illustré comme
composante du « nationalisme arabe » (Baasisme, Nassérisme, Kemalisme, etc.) et,
en lien plus ou moins direct avec l’URSS, s’est institutionnalisé. Par la
suite, le vieillissement de ces régimes, leur déficit de démocratie, la
stagnation économique et l’augmentation de jeunes gens diplômés a vite fait de
rendre une grande partie de la jeunesse mécontente de leurs dirigeants et avide
de renouveau. Ici nous trouvons les bases du « Printemps arabe »[xi].
Parallèlement à cette évolution,
un autre élément clé est la Guerre froide entre blocs de l’Est et de l’Ouest.
Comme évoqué plus haut, plusieurs pays musulmans étaient dans la sphère
d’influence soviétique, et comme la guerre directe n’était pas possible, du au
risque de guerre nucléaire (MAD[xii]),
les stratégies de subversion orchestrées par leurs services secrets devaient
prendre le relais des armées régulières. Cette stratégie est très simple et se
caractérise essentiellement par un soutien technique et financier des groupes
les plus à même de faire vaciller le régime. Et dans les pays musulmans, ceux
qui étaient les plus à même de détester le nationalisme arabe étaient bien sûr
nos islamistes actuels. Islamistes vantés par les médias de l’époque de
l’Afghanistan prosoviétique et parfois même qualifiés de combattants de la
liberté ! Vous connaissez surement bien la suite, car la perte de contrôle de
ces groupes est ce qui a directement enfanté le terrorisme islamique
actuel.
L’après 11 septembre 2001 est
très caractéristique, car il situe dans le temps le début de ce qu’on peut
qualifier « d’islamophobie de masse ». Ici j’entends par « islamophobie » une
peur irrationnelle de l’Islam, comme culte et non pas la critique théologique
de l’Islam ou bien le racisme envers les personnes issues du Moyen-Orient.
Malgré tout, c’est à partir de l’islamophobie que surgit l’hostilité à l’Islam.
Mais « hostilité » n’est pas « phobie », même si ces concepts sont souvent
étroitement liés. L’islamophobie de masse est issue de plusieurs phénomènes,
mais les plus importants sont évidemment le besoin qu’ont les politiques et les
faiseurs d’opinions d’identifier un « ennemi[xiii]
», la recherche de buzz médiatiques et de la xénophobie toujours potentielle du
petit peuple.
L’identité et les communautés
Mais avant qu’il y ait ce
mouvement d’hostilité, il devait y avoir contact. Et ce contact était déjà fait
depuis un bon moment, via l’immigration. Sans discuter à fond des mécanismes de
l’immigration, on peut au moins en dire qu’elle est issue presque directement
des écarts de richesse entre les pays, des leurs relations historiques,
linguistiques & familiales et du besoin, qu’ont les pays d’accueil, de
faire face à la dénatalité. Les politiques migratoires des années 60-70 en
France et 80-90 en Amérique du Nord, étant irresponsablement « généreuses »
pour les moyens mis en place[xiv],
celles-ci ont tôt fait de laisser se constituer des enclaves identitaires où
les opportunités sont bien rares et où la direction de ces communautés est
officieusement laissée aux mains de petits despotes locaux. Et ceci, en échange
du soutien que ces « leaders » sont capables de susciter de la part de la
communauté envers le régime en place. Les partis libéraux fédéraux, provinciaux
et même municipaux du Canada en sont des exemples presque caricaturaux, et
chaque campagne électorale confirme le soin particulier que portent ces
politiciens à des personnalités (les représentants de ces communautés), qui
n’ont pourtant qu’un intérêt anecdotique en dehors des campagnes
électorales.
La conception sociétale que l’on
qualifie souvent de « communautariste » est la norme depuis plusieurs décennies
et est le modèle de société qu’ont officiellement adopté le Canada et
(officieusement) le Québec. Le système est simple. On reconnait une communauté
et on laisse les populations immigrantes être « culturellement » administrées
par des responsables plus ou moins autoproclamés tout en ne laissant à ces
communautés qu’un statut symbolique, sans réelle conséquence politique. Comme
l’identité est d’abord un ciment social et que le social implique le collectif,
l’identité est la forme que devrait normalement prendre la démocratie. Ce
sentiment identitaire est la raison pour lequel des individus, qui n’ont aucun
lien social direct entre eux, acceptent les décisions majoritairement
consenties par l’ensemble du peuple. C’est le sentiment d’appartenance à sa
collectivité qui rend possible l’existence de la démocratie dans une
collectivité, autrement le désir de sécession se ferait nécessairement sentir.
Or, dans ces communautés ethnoculturelles, l’attache identitaire au niveau
national ou municipal n’est pas (ou très peu) présente et leur représentation
politique ne correspond pas à leur subjectivité identitaire. C’est pourquoi
certains individus de ces communautés, et, selon leur interprétation bien
personnelle de l’intérêt de cette collectivité, s’autoproclameront leurs
représentants.
Ces représentants officieux ne
sont pas des représentants politiques, ils ne jouissent donc pas des règles de
la démocratie parlementaire, mais agissent plutôt comme « lobbyistes ». Le
lobbying étant une façon de faire pression sur les représentants, il est
rarement le garant du bien commun et défend normalement des intérêts
particuliers au détriment des autres. Malgré cet état de fait, ces populations
finissent par reconnaitre ces représentants et leur faire confiance. C’est
pourquoi il est si populaire, chez les politiciens lors des campagnes
électorales, d’aller charmer ces représentants plutôt que leurs membres, comme
je l’ai déjà évoqué. Évidemment, ceux-ci en sont bien conscients et savent en
tirer profit, par des demandes qui auront surtout pour objet de maintenir ou
d’amplifier leur pouvoir. Et quoi de mieux que de réclamer
l’institutionnalisation de pratiques religieuses, héritées de l’époque féodales
et qui affirment dans ses structures à la fois le pouvoir despotique de ses
chefs et la séparation d’avec le reste de la population ? Maintenir un « État
dans l’État » officiellement reconnu, mais sans pouvoir légal autre que le
lobbying, et maintenu par une tradition religieuse déphasée de la réalité du
pays est une façon très efficace de se placer comme petit maitre d’une
population ayant besoin d’encadrement et d’intégration, mais dont ils
organisent la marginalisation par la religion et ses coutumes. Ce système de
gestion crypto-colonial n’est pas né d’hier, car c’était le modèle canadien au
Québec pendant toute la période ultramontaine, où le clergé, en échange du
pouvoir culturel, laissait le pouvoir politique et économique aux Anglais.
C’est un peu l’origine des fameux « accommodements raisonnables » qui se
mettaient en place à l’époque de nos arrières-grands-parents.
La marginalisation et le racisme
Évidemment, le maintien de ces
communautés à pareil ordre n’est pas directement imposé, car il s’agit tout
simplement des traditions du pays d’origine. Mais la pression de ces traditions
reste encore très forte à l’intérieur de la communauté. Cette pression est
surtout issue de la proximité des membres, mais aussi de la peur ou de la
méfiance du monde extérieur. Évidemment, il ne faut pas non plus négliger la
responsabilité du monde extérieur, car le fait de conserver des mœurs comme
ceux de l’Islam traditionnel et de vouloir les maintenir dans une société
post-religieuse, comme le Québec, aura comme conséquence inévitable d’engendrer
un certain niveau de méfiance, et parfois même du racisme, chez le reste de la
population. La xénophobie est le fruit de l’ignorance, et le repli
communautaire participe de cette situation. Donc, dans une société d’ordre «
multiculturaliste », le repli devient vite généralisé et le problème tant à
empirer avec le temps. Beaucoup évoquent et condamnent avec raison le repli
identitaire de la majorité, mais il se trouve que le multiculturalisme place
toutes les communautés identitaires dans une position de repli, car ce système
sépare l’identité culturelle de l’identité politique. Le premier évidemment au
détriment du second.
C’est pour ces raisons que la
question identitaire devient aussi clivante chez la « communauté » majoritaire.
On parle d’identité, mais presque toujours en opposition d’avec l’identité d’un
autre, parce qu’on a organisé la société de manière culturelle (pour ne pas
dire ethnique) et apolitique. Communauté contre communautés et, au-delà,
multiculturalisme contre monoculturalisme. Mais l’identité est quelque chose de
vivant et non pas une essence statique ni une théorie, c’est pourquoi c’est
dans la pratique de la citoyenneté qu’elle se définit. L’identité ne se déclare
pas, mais se découvre.
Pendant que nous polémiquons sur
la culture, c’est le statu quo dans les communautés culturelles et surtout chez
celles pratiquant l’Islam. Pendant que ses chefs autoproclamés font leur petit
lobbying pour eux-mêmes, la précarité s’installe de plus en plus « chez eux ».
Celle-ci s’installe partout certes, mais elle l’est encore plus au sein de ces
communautés, car elle est renforcée par la peur ou l’hostilité de l’intérieur
et la xénophobie à l’extérieur. Cette situation aura tôt fait de mettre bien de
gens (et notamment les jeunes) dans de graves situations de marginalisation et
d’asociabilité. Et comme la société est artificiellement divisée en identités
culturelles, les victimes ont un ressentiment du même ordre. C’est là que les
prédicateurs que l’on qualifie « d’islamistes » ou les extrémistes musulmans
arrivent dans le jeu, car ils peuvent aisément travestir ce ressentiment
d’ordre social en haine religieuse. C’est pourquoi les actes terroristes
islamistes sont pratiquement toujours commis par des jeunes aux profils sociaux
déviants. Les groupes terroristes comme Al-Qaïda ou Daesh n’ont ensuite qu’à
revendiquer ces actions majoritairement autonomes pour se faire de la pub, tout
en renforçant la peur que leurs mouvements suscitent.
Le terrorisme international et la guerre en Syrie
Depuis plusieurs années, mais
surtout depuis le 11/9, on nous parle de combattre le terrorisme. Pour ce
faire, on met en place tout un ensemble militaire et policier afin de combattre
les actions kamikazes des groupes islamistes. Mais l’effet de cette lutte n’a
fait qu’engendrer plus de terrorisme. Pourquoi ? Tout simplement parce que la
source du terrorisme est la souffrance et le désespoir. Le phénomène est
pourtant fort simple. Combattre le terrorisme, pour nos gouvernants, ce n’est
finalement que combat les structures militaires terroristes. Mais couper la
tête du commandement et elle repoussera aussitôt, car les conditions qui l’ont
fait émerger sont toujours présentes et ne font qu’empirer. Sans compter que
les états inféodés à l’OTAN et aux États-Unis sont plus ou moins motivés[xv]
à les vaincre vraiment, sachant que ces groupes terroristes font aussi parfois
« du bon boulot », comme l’a un jour dit un sinistre ministre français des
affaires étrangères. Pire encore qu’une attaque frontale, comme celles
effectuées par l’alliance syro-russe, les semi-attaques de la coalition otanesque ont tendance à se limiter à la
destruction du pays, sans réellement toucher la logistique des groupes
islamistes armés. L’envers de cette action est bien sûr un flot de réfugiés de
guerre qui dans les conditions actuelles de l’opinion occidentale (l’islamophobie
de masse évoquée ci-dessus) ne sont pas toujours les bienvenus. Ce flot de «
migrants », comme on dit, viendront s’ajouter à l’immigration économique,
seront éventuellement « administrés » par les représentants culturels et auront
donc les mêmes problèmes d’intégration que leurs prédécesseurs.
Du côté de l’État islamique (EI)
c’est encore pire, car les conditions misérables de la guerre civile sont
accompagnées d’un régime théocratique plus arriéré qu’il est possible
d’imaginer. Mais même à supposer que certains Syriens croient réellement que le
califat de Daesh pourrait leur apporter un quelconque avantage, il n’est pas
dans l’intérêt de l’EI d’améliorer la qualité de vie de la population dont il a
la charge, pas plus que de protéger les musulmans des pays occidentaux
d’ailleurs. Comme vous le savez, l’EI a besoin de combattants, et d’un bon
nombre, afin de compenser son armement majoritairement léger. C’est pourquoi,
en plus de la propagande qui vise d’abord les convertis, ceux-ci ont surtout besoin
d’une grande masse de volontaires à leur cause. Comme l’Islam extrémiste est
totalement déphasé du monde actuel, le meilleur moyen de convertir reste encore
de se servir des souffrances dues à la guerre pour ensuite l’imputer à l’État
syrien, aux Russes et aux Occidentaux. Évidemment, ceux-ci ont le beau jeu dans
tout ça. Puisqu’il s’agit d’une guerre à trois, la confusion que cet imbroglio
d’intérêts divergents représente peut aisément être interprétée en terme
religieux. Sachant que le baasisme est une doctrine laïque et que les
Occidentaux et les Russes sont perçus comme des athées.
Notre côté du monde, comme vous
le savez, n’est pas non plus épargné par cette guerre. En plus des
déséquilibrés qui organisent des attentats au nom de Daesh, il y a une bonne
quantité de jeunes gens qui se laissent séduire par le Jihad, comme s’il
s’agissait d’une espèce de brigade internationale islamique. Évidemment, le
désespoir est bien moindre ici, mais comme évoqué plus haut, la misère sociale
et la marginalisation peuvent aussi être travesties en haine religieuse et
suffises bien souvent à ce que des jeunes gens soient tentés de joindre l’EI
plutôt que des groupes de défense des droits civiques. Et de ce point de vue,
il devient évident que tout ce qui peut accroitre l’islamophobie est
indirectement un moyen d’inciter des musulmans à joindre le Jihad de Daesh. Il
est absolument certain que les stratèges de l’EI connaissent ce processus
dialectique et l’alimenteront volontairement tant qu’il le faudra.
Conclusion
Que faut-il retenir de tout ceci
? En tout cas, très peu qui soit réellement lié à ce qui est écrit dans le
Coran. Nous avons une situation historique de guerre civile stagnante au
Moyen-Orient, et plus spécialement en Syrie et dont aucun des belligérants n’a
d’objectifs humanitaires. Ce qui engendre une radicalisation, du terrorisme et
la fuite massive de la population. Nous avons chez nous une population
musulmane (parfois immigrante) qui a une tendance communautariste (elle-même
organisée par les politiques du pays) et qui souffre d’une marginalisation
croissante. En face, nous avons une population d’accueil qu’on effraie
opportunément avec l’Islam pour plusieurs raison et qui développe une
xénophobie de plus en plus explicite. Donc qu’est-ce qui en retourne ? Il en
retourne que pendant que certains défendent l’utopique conception du
multiculturalisme[xvi],
de plus en plus de gens développent une peur irrationnelle de l’islam (et donc
aussi des musulmans). Ce qui a pour conséquence directe la marginalisation de
ces derniers, ce qui accentue leur repli communautaire et offre ainsi plus de
pouvoir à ceux qui ont tout intérêt à les maintenir dans un cadre religieux
rigoriste. Cadre religieux qui, lui-même, participera au mouvement de peur chez
populations d’accueil et ainsi de suite.
Comme j’espère vous l’avez
constaté, aucune des parties en présence n’est vraiment consciente de son rôle
dans le processus actuel et il sera bien difficile de faire marche arrière.
Malgré tout, il devient de jour en jour plus pressant de jouer la carte de
l’apaisement. Apaisement entre les populations d’accueils et immigrantes, mais
plus encore entre les belligérants de ce conflit identitaire centré sur
l’islam, car la réconciliation entre les communautés en dépend grandement. Comme
je l’ai déjà expliqué, l’identité doit servir à unir et non pas à diviser,
comme c’est présentement le cas. Les « multiculturalistes » ont raison de
défendre les droits individuels et les « identitaires » ont aussi raison de
faire valoir la laïcité et le concept de communauté nationale. À l’inverse,
tous deux ont tort de croire que l’identité est une donnée statique, devant
être organisée, soit de manière séparée ou assimilée, à un modèle précis. Comme
je l’ai déjà indiqué, l’identité est une chose vivante qui évolue, avec ou sans
le concours de l’immigration, dans le cadre de la citoyenneté. L’immigration
apporte simplement sa part de changement et participe de cette évolution. C’est
pourquoi l’assimilation doit être mutuelle dans le cadre de l’égalité des
droits et des responsabilités individuelles et collectives. Cet état d’esprit
est probablement la seule voie qui coupera court à cette montée de l’intégrisme
religieux ainsi qu’à son corollaire naturel, la xénophobie. De toute façon, le
seul dénouement possible que peuvent nous apporter ces conflits identitaires
est le régime de la peur et la perte consentie de nos libertés.
Benedikt Arden (octobre 2016)
[i]
C’est aussi le cas pour les termes classiques du Québec, soit « souverainistes
» vs. « fédéralistes ».
[ii]
Les années 60-70 au Québec.
[iii]
Qui condamne le souverainisme au même titre que l’islamisme, soit dit en
passant.
[iv]
L’aile droite de chaque tendance ayant la facilité de faire valider ses
solutions par des arguments de gauche.
[v]
Essentiellement dû au déphasage qu’engendrent les conditions sociales modernes
sur un culte qui ne l’est plus.
[vi]
Totalitarisme, car ayant vocation à imposer des croyances aux individus.
[vii]
Les débats entre les savants des diverses religions font rage depuis plusieurs
millénaires (quelques centenaires pour ce qui est des athées ou autres) et
n’ont donné aucun résultat valable sur le plan des consciences.
[viii]
Dans un système économique pastoral (l’élevage des animaux), il n’y a pas de
gains de productivité (comme en agriculture) via une plus grande main d’œuvre,
mais presque uniquement une augmentation de bouches à nourrir, ce qui impose de
limiter le groupe en fonction de la production d’aliments.
[ix]
Nécessités d’ordres sociales, influencées par les moyens de production, qui
sont eux-mêmes liés au climat et à la géographie.
[x]
Une économie basée sur l’agriculture et dont la propriété de la terre est
concentrée par une petite caste qui vit de la rente. Le féodalisme est
indirectement maintenu à l’époque coloniale par le biais des concessions d’État
aux compagnies étrangères de matière première.
[xi]
Ceux de Tunisie et d’Égypte surtout, même si le principe s’applique à la
plupart des pays de cette région.
[xiii]
En politique, on a toujours besoin d’un ennemi et non pas seulement des
adversaires, car ils sert de référence au « bien ». Cet ennemi n’est pas
nécessairement matériel et peu (et est très souvent) idéologique. Les exemples
typiques sont le fascisme pour la gauche, le communisme pour la droite et
l’islamisme aujourd’hui pour une grande part des deux.
[xiv]
Les budgets d’accueil étant inversement proportionnels à l’augmentation des
taux d’immigration, les nouveaux arrivants sont bien souvent abandonnés à leur
sort et deviennent donc ironiquement les victimes de la « générosité » du pays
d’accueil.
[xv]
Disons même qu’ils jouent un double jeu dans bien des cas.
[xvi]
Celle qui s’imagine que les communautés peuvent se rapprocher tout en se
séparant de manière ethnoculturelle.