C’était au lendemain de la journée internationale des travailleurs. Pierre Karl Péladeau (PKP) mettait contre toute attente un terme à sa récente carrière politique pour des raisons d’ordre familial. Pour une grande partie des observateurs de la scène politique québécoise, cette soudaine démission serait en bonne partie due aux propos que son ex-conjointe aurait tenus à la grande messe populaire du dimanche qu’est l’émission Tout le monde en parle. On a d’ailleurs beaucoup commenté les aspects personnels de la vie de PKP, afin d’expliquer les raisons d’une décision à laquelle peu de gens s’attendaient avant un quelconque rendez-vous électoral. Malgré tout, et en dehors de cette psychologie à cinq sous (celles des chroniqueurs), peu d’explications vraiment rationnelles ont émergé de cet événement, hormis le fait que le principal intéressé n’était visiblement pas en position de supporter les sacrifices que nécessite le combat politique. Car, comme celui de Jean-Martin Aussant en 2013, le départ de ce chef devait être, à forte raison, perçu comme une trahison, puisque laissant le parti, dont il avait la charge, dans un état pour le moins calamiteux. Car pour le PQ, rien encore n’avait vraiment été amorcé[1] depuis sa débandade de 2014, afin de redresser le cap et ainsi soutenir l’irrationnel espoir que l’élection de PKP en tant que chef a pu suscité il y a un an.
Et parlant d’espoirs déçus, il faut bien souligner que ceux entourant PKP étaient complétement démesurés par rapport aux réalisations du bonhomme. Le demi-fanatisme de certains militants péquistes doit, à tout le moins, avoir tourné au vinaigre lors de l’annonce de sa démission. Enfin, cela aura au moins le mérite de calmer le messianisme passablement agaçant de certains de ces militants. Évidemment, je ne me permettrais pas de me moquer d’eux dans ces lignes, étant donné que j’ai vécu un sentiment de trahison d’ordre équivalent lors de démission de Jean-Martin Aussant. Mais pour autant, ce sentiment de trahison ne dura pas si longtemps et un peu d’introspection et de sang-froid ont suffi à me remémorer que l’Histoire est moins faite de l’action des grandes personnalités que de l’ensemble du mouvement social. Car c’est bien du mouvement qu’émergent ces personnalités et c’est donc bien de la qualité de ce « mouvement en panne » de leaders que devrait tourner notre attention. C’est simplement pour en faire une « histoire » comme on aime les raconter[2] que l’on en occulte les mécanismes profonds. Et malheureusement, il est très facile de tomber soi-même sous son effet réconfortant et ainsi biaiser nos analyses. Analyses qui, il faut bien l’admettre, ne sont pas en pointe d’originalité ces dernières années.
Mais à l’époque où je croyais qu’Option nationale (ON) pouvait encore devenir un parti pouvant orienter le mouvement souverainiste vers des objectifs réalisables électoralement[3] et donc potentiellement remplacer le PQ, l’idée qu’un leader pouvait du jour au lendemain laisser tomber un projet de société aussi important que celui de l’indépendance me semblait être une aberration. Croire qu’une personnalité, dont les actes antérieurs avaient laissé voir le désintéressement[4], pouvait abandonner un rôle aussi primordial avec des conséquences aussi néfastes sur la cause qu’il se disait vouloir défendre ne pouvait être autrement ressenti que comme une trahison pure et simple!
Et sur leur fameux alibi, loin de moi l’idée de croire que les responsabilités familiales ne sont pas importantes, la perpétuation de la vie sur terre en est l’un des plus appréciables résultats. Mais dans une société humaine aussi imparfaite, il nous faut aussi accepter que certaines personnes doivent être prêtes à se sacrifier un petit peu pour que l’ensemble des familles de ce monde puissent réaliser à bien leurs vies. En tout cas, c’est probablement ce que devait penser Chevalier De Lormier et Louis Riel avant leur exécution. Pour ce qui est d’ON ou du PQ, on ne leur demandait pas tant, en cette époque toute sauf héroïque. Mais quand même! S’ils étaient quelque peu sincères dans leur engagement, je vois mal comment il leur serait possible de ne pas être pétrifiés à la vue de la situation actuelle, sachant qu’ils en sont responsables pour une bonne part. Après un échec, cela se comprend et c’est même souvent un devoir que de laisser la place. Mais de démissionner comme ça, aux vues de la situation déjà difficile et tout simplement parce qu’en ce moment ce n’est pas facile à la maison... On est vraiment loin du Che !
À chaque époque ses héros ou plutôt ses Hérauts. Et c’est ironiquement en cela qu’ils apportent leur pierre à l’édifice à venir, car ces demi-politiciens auront à tout le moins le mérite d’avoir été, de par leur lâcheté, les incarnations de la fin d’une époque. Époque où les militants de la cause de l’indépendance restaient passifs et se contentaient d’attendre sagement de se faire diriger par le chef charismatique tant attendu et qui comme Godot n’arrivait jamais. Mais aujourd’hui (ou à tout le moins bientôt), il est plus que temps de se prendre en mains et laisser à ces misérables politicards toutes leurs promesses et leurs discours creux. Qu’ils fassent carrière! De toute façon, il est excessivement temps de ne plus jouer à leur jeu biaisé. Le Québec a toujours été mis au banc de cette soi-disant « démocratie » de mode anglaise, basée sur le mensonge, la confiscation des pouvoirs et la démagogie. L’Histoire nous a amplement démontré que les avancées démocratiques du Québec dans le Canada ont toujours été conditionnelles à notre perte de poids politique dans le cadre fédéral. Ceux d’en face n’ont jamais perdu de vue le réel sens de la politique, soit le rapport de force brut. Et c’est là que doit être mise toute notre énergie. Pas dans ces sempiternelles courses à la chefferie et dans ces veines campagnes électorales jamais réellement gagnées. Non! L’expérience de nos défaites est trop grande pour être continuellement refoulée au fond de nos mémoires.
Je sais que plusieurs ne manqueront pas de me faire remarquer que des changements politiques nécessitent de participer à la politique et cela est tout à fait juste. Simplement, ce que j’essaie de faire comprendre ici c’est qu’en ce moment il n’y a nul travail utile qui avance sur le terrain électoral. Au mieux, nous sommes en résistance et au pire nous sommes dépassés. Dépassés par les divisions idéologiques qui nous sont imposées par les événements, comme cette ignorance crasse qui est servie à notre population depuis plus de 20 ans. Sans compter le peu de fiabilité qu’ont ces politiciens carriéristes, sur lesquels il n’est plus réaliste de compter.
Hier, un révolutionnaire bien connu écrivait un petit ouvrage intitulé « Que faire? », entièrement dédié à la question d’un mouvement qui semblait n’aller nulle part et, près de 15 ans plus tard, ses analyses furent couronnées de succès. Il est temps aujourd’hui de se poser la même question et d’analyser aussi froidement que lui ce qui peut ou ne peut pas être fait. Et ce, en ignorant tous les préjugés et les habitudes que nous avons accumulés au cours de toutes ces années. En ce sens, nous devons absolument cesser de perdre notre temps sur des sujets accessoires et nous fixer sur ce qui seule devrait importer pour le moment, soit la libération de notre peuple. Et pour y arriver, il faut convaincre ceux qui ne savent pas encore qu’il n’y a pas d’avenir dans le Canada et qu’un jour ou l’autre notre coin de pays sera libre, car les lois de la géopolitique primeront en dernière instance les constructions artificielles comme le Canada. Focalisons encore et toujours sur ce qui est injuste et dysfonctionnel dans nos milieux. Soulignons encore et toujours la stérilité d’espérer bâtir un monde nouveau sur les bases d’une province sans pouvoir. Et surtout, donnons-nous les moyens de faire valoir notre projet via des médias alternatifs innovateurs qui n’affecteront plus que les seuls convaincus. C’est avec des solutions concrètes que nous pavons la voie qui nous fera avancer vers cet objectif. Et ne soyez pas pessimistes, car nos succès sauront être répondus par encore plus d’abjection, de la part de ceux d’en face, ce qui ne manquera pas de nous aider (par effet de radicalisation) dans cette lourde tâche. C’est là un des aspects de la dialectique politique qui caractérise le Canada.
Évidemment, ceci n’est pas un programme miracle, mais avant tout un encouragement à ne pas se laisser aller au cynisme, cynisme beaucoup trop souhaité par le pouvoir et alimenté par ses nervis pour être négligé. Pour l’heure, il est surtout temps de multiplier les initiatives de terrain, d’instruire la population sur les raisons profondes de son marasme et de s’impliquer dans toutes ces petites causes qui émergent de l’actualité ici et là. Ce n’est que parallèlement à ce genre de militantisme que le rôle du parti deviendra primordial. Et encore, celui-ci doit aussi se détacher autant que possible du carriérisme crasse et de la démagogie qui le caractérise aujourd’hui, afin de lui donner la force de « transformer ces moulins à paroles que sont les organismes représentatifs en assemblées "agissantes" », comme l’écrivait Lénine. Une fois cette tâche accomplie, nous serons enfin en bonne voie et peut-être cesserons-nous de résister pour enfin nous voir vaincre pour de bon !
Benedikt Arden (mai 2016)
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[1] Exception faite de l’Institut sur la souveraineté.
[2] Celle avec des héros et des méchants.
[3] Option Nationale reste quand même un parti politique pertinent, même s’il a en grande partie perdu de son influence au point de vu électoral. Simplement, il tire son efficacité du travail extraparlementaire.
[4] Son entrée en politique, son départ du PQ et surtout la fondation d’ON en sont les points principaux.