Invité à prendre la parole à l’occasion du conseil national
du parti québécois (PQ) le 21 novembre dernier, le chef de l’Association des
Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard, déclarait
qu’il était lui aussi un « souverainiste », ce qui n’a pas manqué de faire
bonne impression chez les militants péquistes présents sur place. Comme vous le
savez surement déjà, cette déclaration était une manœuvre rhétorique plutôt
habile, visant à la sensibilisation de l’auditoire à la cause autochtone, car
celui-ci ne faisait pas strictement référence à la souveraineté du Québec, mais
surtout à celle de la nation Innu. De cette manière, le représentant des
Premières Nations ouvrait une brèche philosophique à exploiter dans leurs
rapports avec les représentants du projet souverainiste québécois. Car, en
effet, Ghislain Picard avait été invité à l’évènement dans le but non dissimulé
de remettre à jour les relations entre ces derniers et leur projet. Par
ailleurs, et contrairement à ce que certaines personnes (qui ne manque jamais
une occasion
d’entretenir les conflits identitaires), celui-ci n’était pas tant en phase de
« trolling », qu’en mission diplomatique.
Mais encore, quand est-il de ces relations? Car il est évident
que l’écho des demandes relatives aux autochtones est un problème de longue
date chez les souverainistes et ceci depuis les tout débuts de la version
moderne de cette aspiration politique. La raison en est que si la portée
universelle de l’idée d’autodétermination des peuples est la base éthique du
projet d’un Québec indépendant, celle-ci
devrait dans le même temps être à même de reconnaitre ce droit aux Premières Nations.
Qui comme leur nom l’indique, était là en premier. Enfin, ce principe devrait
s’imposer même au plus obtus des militants péquistes[1].
Malgré l’évidence de ce constat, ça n’en demeure pas moins un problème des plus
pratiques, car nous vivons tous sur un même territoire, qui ne peut
malheureusement pas être découpé n’importe comment, sans priver ce territoire
de sa cohérence physique et donc de sa possibilité concrète d’indépendance.
Le Québec moderne est, comme vous le savez, un petit bout de
planète qui n’a pas eu le « plaisir » de se substituer aux évolutions
économiques & politiques du monde et des modes de production qui viennent
avec. Par conséquent, à l’instar des constitutions, des chartes ou autres documents
légaux, les traités (sacré ou pas) peuvent et doivent être modernisés afin de
tenir compte des réalités qu’impose le monde d’aujourd’hui. Mais encore,
faut-il être en mesure de la faire, car l’une des données on ne peut plus « modernes
» du Canada est bien cette hantise irrationnelle des discussions
constitutionnelles « fomentatrice
» de l’unité canadienne comme on le sait. C’est peut-être ce constat qui tend
le chef de l’APNQL à donner leur chance aux représentants actuels du mouvement
souverainiste. Car, avouons-le, le Canada est simplement irréformable ![2]
Ceci dit, pour que les volontés de nos peuples puissent
s’accomplir, faut-il au préalable définir les ambitions des parties en
présence.
Du côté québécois, les demandes sont assez claires et,
depuis au moins les années soixante, les souverainistes ont toujours
majoritairement revendiqué un État politique indépendant selon les dispositions
du
droit international. Par contre, ce que les Premières Pations revendiquent
la plupart du temps est loin d’être aussi clair et le terme même de
souveraineté est souvent utilisé avec une ambiguïté savamment orchestrée. Un
bon exemple d’équivoque est l’allocution du Chef national, Perry Bellegarde, à l’assemblé
des Premières Nations du 29 avril 2015 où il est longuement question de
souveraineté, mais pas du tout sous une forme sécessionniste, comme le fait plus
ou moins le PQ, mais sous une rhétorique qui a plus à voir avec le vieil autonomisme
des nationalistes « canadien-français ». Car étant surtout appliqué à la
sauvegarde du mode de vie, traditions, langues, cultures, etc. de ceux-ci. Le
contenu économique, quant à lui, se trouve surtout relégué à la propriété des
ressources naturelles qui se trouvent sur les territoires issus des traités et
des redevances qui viennent avec. D’ailleurs M. Bellegrade traite fort
longuement des problèmes liés à la redistribution des richesses pancanadiennes,
ce qui prouve bien que les revendications ici présentes ne sont pas du tout du
même ordre que celles des indépendantistes et autres peuples revendiquant leur
souveraineté dans le monde.
Évidemment, loin d’être absurde, ce comportement autonomiste
est tout à fait légitime, car l’Histoire des Premières Nations de l’ensemble
des Amériques démontre bien que ces Nations ne sont pas des Nations au sens
moderne[3],
mais plutôt au sens ethnique[4] du
terme. Comme ils se définissaient couramment au 19e siècle. Évidemment,
il serait plutôt facile de critiquer ce genre de reconnaissance dans le monde
d’aujourd’hui, où toutes allusions ethniques est aussitôt rangées dans la
catégorie du « racisme », mais, à l’image d’autres peuples anciennement nomades[5] et
qui se sont fait imposer le mode de vie sédentaire (nécessaire aux besoins du
capitalisme industriel), les Premières Nations n’ont pas le territoire et la
population suffisante à la mise en place du droit du sol et la naturalisation d’étranger,
sans se faire rapidement submerger. Ce qui explique, dans un certain sens, les politiques
xénophobes de certaines de celles-ci.
Bien sûr, je ne me permettrais pas non plus de faire l’éloge
de ce genre de gestion sociale, car étant d’avance plutôt critique (c'est est
le moins qu'on puisse dire !) à l’égard de ceux qui le pratiquent à grande
échelle, comme les Israéliens, les Saoudiens ou les Indous. Et de manière plus
« soft » par les Anglo-saxons et les Japonais. Malgré mon souci de la
conséquence logique, je ne condamne pas pour autant cette pratique dans
l’absolu, comme certains le font couramment envers les Québécois dits « de
souche ». Ce que l’on pourrait appeler le « nationalisme ethnique » des peuples
soumis à la colonisation n’est pas aussi malsain qu’il y parait et résulte
surtout d’une réaction assez naturelle. Car issue d’un manque de confiance
envers l’avenir, quand celle-ci n’est pas pérennisée sur le long terme par un
État indépendant, une constitution fédérale ou confédérale équitable[6].
Alors, il est tout à fait compréhensible de vouloir protéger les acquis
culturels d’un peuple sur un territoire donné quand celui-ci est « indigène »,
donc qui n’est pas représenté ailleurs dans le monde. Il est donc absurde de
vouloir combattre ce sentiment par le renforcement de ce qui génère le problème[7],
quand on sait fort bien que seule la concrétisation d’un projet de
pérennisation de la culture concernée pourrait le régler cette angoisse.
La seconde question à établir est de savoir si la
souveraineté revendiquée par les autochtones est compatible avec celle des
souverainistes.
Comme nous venons de le voir, les Innus, ainsi que la
majorité des autres Nations autochtones, ne revendique pas le statut de Nation,
stricto sensu. Par contre, ceux-ci réclament une reconnaissance de leurs
territoires ancestraux ou ce qu’ils reconnaissent comme tel. De plus, il
souhaite gérer leur population d’une manière spécifique à leurs cultures et
traditions pour des raisons que nous avons aussi déjà évoquées.
Est-il possible de faire concilier les deux projets afin de
les faire converger dans la difficile lutte qu’elles requièrent ? À mon avis oui
cela est possible. Et même j’irais plus loin encore en prétendant que cela est même
une nécessité absolue, car la division de ces deux aspirations politique est la
base même de la force morale des partisans de l’ordre établi au Canada de
l’Amérique du Nord britannique. Déjà à l’époque de Lord Durham, le combat
d’émancipation du Bas-Canada était frauduleusement interprété comme un problème
« ethnique », alors que celui-ci était incontestablement progressiste et
composé d’un agrégat de toutes les populations qui vivaient au Canada de
l’époque. Passer pour le pacificateur et le civilisateur de peuplades «
barbares » est le faux-semblant des impérialistes anglo-saxons depuis belle
lurette et les politiques « multiculturaliste » du gouvernement canadien n’en sont
que la version « because it’s 2015 ».
Dans les faits, il n’existe pas d’éléments primordiaux
vraiment antagonistes entre nos revendications. Par contre, l’esprit de ces
revendications est radicalement différent. Si les souverainistes québécois ont
toujours caressé l’idée d’une république à la française, donc centralisée et
unificatrice, les Premières Nations aspirent plutôt à un projet confédéral qui
va en sens inverse. Ces revendications sont d’ailleurs tout sauf arbitraires,
car elles sont le reflet des conditions actuelles de nos peuples. Les Québécois
sont majoritairement situés dans la vallée du Saint-Laurent (donc dans un
territoire cohérent) et voient la menace à l’extérieur de leur territoire.
Inversement, les Premières Nations ont des territoires parcellés et ils voient
souvent la menace d’un point de vue ethnique (l’homme blanc pour faire simple).
Malgré ces différences tout sauf négligeables, il est
impératif de mettre en parallèle ces combats pour l’indépendance. L’idéal
(enfin, ça le serait pour moi) serait bien sûr de faire fusionner nos luttes
par un projet de société métis au point de vu identitaire, en intégrant au
peuple du Québec les principaux traits des cultures autochtones afin de
remplacer l’héritage ultramontain et monarchique de notre passé de porteurs
d’eau. Mais hélas, je ne crois pas être suivi par beaucoup de mes compatriotes,
qui attachent souvent beaucoup d’importance à l’héritage de l’ancienne colonie française
que comporte la face réactionnaire de l’identité québécoise[8].
Et il est probable que cette solution m’aliénerait une grande partie des
nationalistes, sans pour autant intégrer la majorité des autochtones, qui ne souhaite
pas non plus sacrifier leurs identités à un projet de société. Même si celui-ci
était à l’avantage de nos peuples.
Comme l’a écrit Spinoza par le passé, beaucoup « voient les hommes, non tels qu’ils sont,
mais tels qu’ils voudraient qu’ils fussent » et il ne m’est pas non plus permis
d’ignorer cette réalité, alors s’il n’est pas possible à court terme de
fusionner nos sociétés, afin de pérenniser une identité politique en phase avec
la présente situation, la seule solution serait de privilégier l’idée de
république confédérale (à la Suisse), même si cette solution n’est pas non plus
sans difficulté. De cette façon, il pourrait être envisageable de maintenir la
division identitaire entre les populations tout en les unifiant à tout de moins
sur le plan politico-économique.
Comme je l’ai expliqué dans un précédent
texte, l’identité d’un peuple n’est pas une réalité éternelle et figée,
même si elle est une nécessité politique. Alors il est mieux de privilégier ce
qui unit que ce qui divise. Mais dans le cas présent, il faut faire avec notre
réalité. Réalité imparfaite, certes, mais qui peut potentiellement ouvrir la
voie à des avenues politiques intéressantes dans l’avenir. Même si l’imbroglio
identitaire du Québec d’aujourd’hui pose un clair problème de division, il nous
faut impérieusement lui faire face dans le sens de la justice. Et en cela, le
commencement est dans la main tendue à nos frères de lutte et par la mise au
banc des vieilles rivalités issues de la société coloniale. Comme chacun sait, «
l’union fait la force », même si les moyens de rendre cette union possibles ne
sont pas chose simple à réaliser.
Enfin, comme dirait Bob Marley, « s’il n’y a pas de
solution, c’est qu’il n’y a pas de problème » !
Benedikt Arden (Janvier 2016)
[1]
Que je ne confonds pas, comme trop de gens de mauvaise foi le font, avec les
représentants des divers courants identitaires québécois.
[2]
Même les partisans de la signature du Québec du rapatriement de la constitution
de 1982, comme Philippe Couillard, se sont fait refuser
ce projet, oh combien fédéraliste !
[3] Un groupement d'individus établi sur un
territoire déterminé, sous l'autorité exclusive et effective d'un gouvernement.
[4]
La reconnaissance
faite par l’État canadien est essentiellement basée sur la lignée, donc le
droit du sang.
[5]
Tous les peuples ont une origine nomade, mais ici j’entends ceux qui ont connus
le nomadisme dans l’ère
contemporaine.
[6]
Ce qui n’est pas le cas au Canada, autant pour le Québec que pour les Premières
Nations, vous en conviendrez.
[7]
Entre autres en le déconsidérant frontalement.
[8]
L’identité québécoise moderne est très marquée par les divisions symboliques
issues de révolution française. Les symboles « républicains » et « monarchistes
» de la société française se perçoivent d’ailleurs bien souvent dans la
division symbolique de l’aile droite et gauche de la population non
fédéraliste. Le tricolore bas-canadien et le fleurdelisé en sont de bons
exemples.