Le 2 mars dernier, Denis Lessard de La Presse nous pondait
un article
faisant état d’un soi-disant rapprochement entre militants péquistes et militants
FN (France). L’article rapportait que l’initiative avait été portée par des
membres du comité national des jeunes (CNJ) du Parti québécois, notamment par
Joël Morneau, et devait aussi être signé par Gaëtan Dussausaye (directeur du
FNJ) et Loup Viallet (délégué FN de la région de Lyon). Cette incitative, quoique
dénoncée par Léo Bureau-Blouin et Bernard Drainville, fut dépeinte surtout
comme un rapprochement idéologique entre militants des deux partis, ce que le
PQ a évidemment officiellement démenti. En définitive, ce projet de « rapprochement »
était de bien faible amplitude, car, outre le fait qu’il ne se limitait pas
qu’au FN, celui-ci ne concernant qu’une banale lettre entourant la dénonciation
de la hausse des droits de scolarité dans les deux pays[1]. Malgré
que ce type de nouvelle soit sur le fond bien anecdotique (et fausse
de toute évidence), on note que c’est surtout le journaliste, en l’état Denis
Lessard, qui se fait plaisir, car lui permettant jouer les progressistes bons
chics bons genres dans sa manière « d’hitlériser » une dénonciation
de hausse des frais de scolarité.
Un peu plus récemment, c’était au tour de Pierre-Karl
Péladeau d’en prendre (médiatiquement) pour son rhume. En effet, celui-ci
déclara, lors d’une de ses conférences, qu’on « n'aura pas 25 ans devant nous
pour le réaliser [l’indépendance]. Avec la démographie, avec l'immigration,
c'est certain qu'on perd un comté chaque année. » Ce type de déclaration ayant
pour but d’activer les troupes par des questions de « délais » est
depuis 1995 très présente chez certains militants péquistes. L’évolution des
populations occidentales étant ce qu’elle est, il est devenu difficile
d’ignorer que les changements démographiques[2]
des dernières décennies ont des impacts importants sur la votation générale au
Québec. Et comme c’est un secret de polichinelle que l’immense majorité des néo-Québécois
ne soutiennent pas plus que ça le projet d’un nouveau pays en Amérique du Nord,
il n’est pas faux d’y voir une des influences qui explique le déclin du
mouvement souverainiste. Mais peu importe ce que l’on pense de cette
affirmation[3],
est-il pour autant nécessaire d’y voir une dérive vers le « nationalisme
ethnique », comme le dit Couillard ..? Encore une fois, on notera qu’un
autre chantre de l’ordre colonial britannique se la joue progressiste à bas coût
et ce genre de déclaration, énonçant des faits pourtant connus de tous, est une
petite douceur que les pires incarnations du néolibéralisme sera bien en peine
de se priver. Et comme au Québec le spectre du FN est toujours bien pratique
afin de salir la cause de l’indépendance[4],
nul doute que ce cirque médiatique sera appelé à se reproduire encore et
encore.
Évidemment, entre le FN et le PQ, il existe plus qu’un océan
entre les deux partis, puisque le PQ est historiquement plus proche de la
social-démocratie[5]
que de la « droite nationale », étiquette que se donnent certains
militants frontistes. Mais par un étrange processus, les tenants de la
domination britannique trouvent souvent le moyen de peindre le souverainisme en
idéologie d’extrême droite. Ce phénomène n’est pas unique au Québec, car à peu
près tout mouvement menaçant l’ordre territorial établi ou qui défend sa
souveraineté est immanquablement traité ou comparé à ces mouvements caricaturaux
des années 30. Que ce soit la Russie, le Venezuela, la Bolivie, la Syrie, Cuba
(ainsi que tous autres états non alignés), les partis/mouvements de libération
ainsi que leurs représentants qui mettent en avant la souveraineté ou les
libertés collectives. Tous ont un point en commun, celui d’être un jour ou
l’autre attaqués sous l’angle de la « bête immonde » ! Et de manière
sophistique, on prétendra que parce qu’Hitler défendait la
« souveraineté » (sic) du 3e Reich, tous ceux qui
défendent la souveraineté de leur pays de l’impérialisme anglo-américain ou qui
veulent s’en libérer, doivent nécessairement avoir un plan de camps de
concentration en tête[6].
Mais outre la propagande coloniale, un des éléments de fond
qui distingue le mieux le PQ du FN est bien entendu cette question de
l’immigration. Car si le FN se veut un parti intrinsèquement hostile à
l’immigration et qui ne cesse d’en parler, le PQ, lui, est beaucoup plus mitigé
sur cette question et essai plus souvent qu’autrement d’éviter le sujet, même
si une frange de plus en plus large des militants du PQ[7] se
reconnaît dans l’argumentaire du FN. Du moins, dans sa version « soft »[8].
La défense assez vive[9]
que connut la déclaration de PKP n’est en réalité que le reflet de l’évolution
d’une partie de l’électorat péquiste. Électorat qui voit en l’immigration la
cause majeure de leur perte d’influence politique.
Par ailleurs, et contrairement à ce que les matamores
fédéralistes en disent, cette évolution des mœurs est loin de concerner que le
seul mouvement souverainiste. Car on notera aussi une nette montée de
l’hostilité à l’immigration dans le reste du pays, surtout sous la forme de l’opposition
à l’islam. Cette islamophobie est comme de raison bien plus présentable, car ne
s’attaquant d’apparence qu’à une religion, du reste critiquable comme elles le
sont toutes. Mais on notera que l’expression de cette hostilité est presque
toujours démagogique et volontairement provocatrice.
Elle n’est à peu près jamais nuancée
et place l’islam et les musulmans tel un bloc toujours (même si de mœurs modernes)
plus
ou moins prompt à l’intégriste. Sans compter que sous ce voile de
progressisme libéral, se cache bien souvent le retour du religieux d’hier.
Enfin, l’islamophobie est une plaie encore bien plus rependue que la simple
hostilité à l’immigration et c’est malheureusement aussi le cas chez bien des
militants souverainistes. Et c’est bien pourquoi le projet de charte de Bernard
Drainville ne pouvait à l’époque que déraper.
Mais pour en revenir à la « réducto ad hitlerum »
de la liberté des peuples à leur libre disposition, il serait bien de rapidement
revenir sur les causes historiques qui font qu’aujourd’hui l’on assimile de
plus en plus l’expression d’un des principes fondamentaux de l’émancipation des
peuples à la « bête immonde ».
À la suite de la victoire des Alliés sur l’axe en septembre
1945, l’une des premières choses faites par les vainqueurs fut de mettre en
place un immense dispositif médiatique afin d’exposer à la face du monde les
crimes nazis. Évidemment, ce dispositif avait pour premier objet de cacher les
exactions des alliés[10]
par une propagande internationale intense et pour secondes d’éviter que des
sympathies surviennent lors des procès des responsables de l’Axe. Comme la
Deuxième Guerre mondiale était (contrairement aux autres) une guerre
particulièrement idéologique, le point de crispation de ce dispositif
médiatique était la faute à « l’idéologie nazie », rendu globalement
responsable de la guerre et de l’ensemble des crimes qui s’y sont produits.
Lors des décennies suivantes, les deux grands représentants
idéologiques du camp allié (l’URSS et le camp anglo-américain) se sont servis à
loisir de cette diabolisation pour affermir leur légitimité respective dans le
cadre de la Guerre froide et ont transformé des faits historiques bien établis
en une propagande mythifiée et manichéenne. Les deux camps victorieux ont donc
élaboré, dans leurs discours de propagande, des versions bien différentes entre
elles de ce qu’était le nazisme
dans l’optique de diaboliser l’autre camp. Soit, du côté anglo-américain, un
type d’idéologie totalitaire antilibérale[11] à
peine pire que le communisme. Et du côté du bloc socialiste, un type de
capitalisme particulièrement exacerbé[12].
Ces deux versions du nazisme ont fait leurs petits bouts de chemin séparément pendant
bien des années, mais à la chute du bloc socialiste, seule la thèse des
premiers put conserver un soutien médiatique et étatique solide. Ce qui fit que
la seconde disparut presque totalement de l’imaginaire entourant la Seconde
Guerre mondiale. De nos jours, il n’est d’ailleurs pas rare de voir certains
auteurs, comme Seev Sternhell et ces déjà anciens « nouveaux philosophes »,
établir une parenté presque directe entre fascisme et socialiste via le concept
fourretout de « totalitarisme ». Par ailleurs, on notera l’apparition
récente du concept foireux de « fascislamisme »
chez les néoconservateurs afin de nazifier l’islam.
L’objectif étant de diaboliser les adversaires du
libéralisme, ceux qui aujourd’hui se font les adversaires du néolibéralisme
n’en sont pas moins visés qu’hier, c’est pourquoi il est très fréquent de voir
ceux-ci tomber dans la surenchère antifasciste afin d’éviter tout parallèle[13].
Et cela au risque du ridicule, car n’étant rarement capable de dépasser les clichés
des années 30 pour y voir les nouvelles formes que possède l’extrême droite[14].
Outre le socialisme, il y a aussi le mot
« national » dans national-socialisme et c’est bien là que pèse tout l’essentiel
de la propagande impérialiste, car, si l’empire peut accepter un socialisme
utopique et désincarné (donc de fait inoffensif), on ne saurait tolérer que des
peuples se libère de leurs bienveillants maitres et deviennent concrètement indépendant.
Ceci l’est encore plus si le mouvement ou parti a des velléités sociales fermes,
car dans ces cas-là nous serions face à un cas de
« national-socialisme » ! Et l’on connait par cœur la sophistique
afin d’y arriver :
Indépendance (donc nationalisme)
+ socialisme = national-socialisme
Et
National-socialisme =
totalitarisme + génocide raciste + guerre mondiale
En somme, si vous êtes pour l’indépendance de votre pays et
que vous ne voulez pas d’une indépendance factice, dépendante des États-Unis,
vous vous ferez inévitablement traiter de nazi par les impérialistes ou les larbins
de ceux-ci.
S’il est quand même quelque peu aberrant de présenter le
nazisme comme la conséquence logique de l’indépendance et de la justice
sociale, il n’en demeure pas moins que ça marche plutôt bien et que cette
propagande est tellement ancrée et promu par tout un pan de la gauche et de la
droite libérale, que les archétypes réactionnaires les plus dangereux au monde[15],
du point de vu des risques de totalitarisme, de génocide raciste et de guerre
mondiale (en somme, de la vraie extrême droite), se permettent sans gènes de
jouer les antifascistes en dénonçant comme tel ceux qui leur résistent encore !
C’est vraiment une belle victoire posthume pour Goebbels, qui prétendait que « plus
c’était gros mieux ça passait »[16] !
En effet c’est énorme ! Et l’on sait fort bien que de
traiter de la sorte tous ceux qui militent pour la justice ne risquent pas
d’avoir que des effets positifs sur l’avenir. Le premier étant de dénaturer des
concepts qui doivent être incarnés par un nom afin de pouvoir être dénoncés
comme il se doit. Ensuite, la réaction de ces attaques abusives ont le
potentiel non négligeable de radicaliser à terme ceux qui en sont injustement
les victimes. Et ainsi les pousser dans les bras de ceux qui ont grand besoin
de garnir leurs rangs. Finalement, cette diabolisation génère, d’abord et avant
tout, des handicaps terribles à l’exercice de la pensée. Car en assimilant tout
exercice de souveraineté à un « fascisme » camouflé, on ne peut que
se condamner à la donner à d'autres (aux impérialistes surtout). Et comme vous
tous savez que la souveraineté est la condition initiale et impérieuse de la
démocratie réelle, on se retrouve vite dépourvu d’arme face à ce monstre qu’est
l’impérialisme néolibéral. Impérialisme qui aime tant nous voir nous bagarrer
sous sa botte.
Enfin, cette propagande diffamatoire envers un concept clé
de la philosophie politique, outre qu’elle génère la haine et la soumission, mine
par la dissension tous projets d’alternatives concrètes en forçant les
opposants au néolibéralisme à chercher le fascisme sous leurs pieds quand
celui-ci est aisément visible au-dessus de leurs têtes. Alors il est bien sûr
de notre devoir de démasquer cette imposture en appelant les choses par leur
nom et de dénoncer ces pratiques malsaines. Mais plus encore de défendre ceux
qui en sont les victimes[17]
au lieu de hurler avec les loups. Je sais que c’est un exercice parfois risqué,
car cette petite propagande aime tant amalgamer ce genre d’acte courageux à une
apologie de la « haine »[18].
Mais si rien n’est fait en ce sens, il ne serait pas étonnant qu’un jour il n’existe
plus du tout d’alternative crédible à gauche, car ayant donnés tous concepts
qui n’était pas du pur domaine de la rêverie idéaliste à la droite et à
l’extrême droite. Et le jour où il ne restera que les Couillard, Harper,
Netanyahou, Obama, Hollande, Merkel, Porochenko et ses amis ukrainiens du Pravy Sektor comme rempart au
« fascisme », il ne sera peut-être plus temps de crier « no
pasaran ! », car celui-ci sera bel et bien officiellement passé.
Benedikt Arden
[2]
L’immigration et le vieillissement de la population d’accueil en sont des
composantes difficilement contournables.
[3]
Le débat en la matière n’est pas clos et ce n’est pas le sujet qui nous
concerne ici.
[4]
Il s’adonne que le FN est le moins pro union-Européenne des grands partis politiques
français, ce qui lui fait parfois recevoir le sobriquet de
« souverainiste ».
[5]
Le PQ a d’ailleurs fait une demande d’adhésion à l’internationale socialiste en
1982.
[6]
C’est un peu comme dire que parce que les nazis portaient des chaussures, tous
ceux qui ne sont pas nu-pied sont nécessairement suspects de
totalitarisme.
[7]
Surtout en provenance de cette frange identitaire proche des idées de Mathieu
Bock-Côté.
[8]
Le discours dispensant la responsabilité des effets de l’immigration aux
immigrés, mais l’imputant aux politiciens.
[9]
Notamment dans les sites comme Vigile.net
[10]
Bombardement massif et atomique sur les populations civiles de belligérants
vaincus entre autres.
[11]
Vu d’abord comme un type de régime collectiviste et ensuite comme un régime
raciste.
[12]
Considéré comme la phase ultime du capitalisme, complément débarrassé de son
masque libéral.
[13]
Évidemment, l’antifascisme des formations socialistes n’est pas issu d’un
réflexe de protection, mais il sert aussi à cela.
[14]
Viktor Dedaj écrivait fort justement en 2014 : Dans « extrême-droite », il y a droite et extrême. Alors prenez une
politique de droite, et appliquez-la à l’extrême. Vous obtenez quoi, sinon une
politique quasi-conforme à la politique actuelle du PS ? Si la même politique
avait été menée par un autre parti, dans un autre pays, nous l’aurions qualifié
d’extrême-droite.
[15]
Notamment les néoconservateurs et les sionistes d’extrême droite à la
Netanyahou.
[16]
La citation exacte est « Plus le mensonge est gros, plus il passe. Plus
souvent il est répété, plus le peuple le croit ... »
[17]
Je désigne ici les personnes victimes de calomnie et non pas ceux qui tiennent
des discours crypto xénophobes.
[18]
Je pense tout particulièrement ici à Jean Bricmont.