Comme pour toutes les campagnes électorales qui m’a été donné de suivre dans ma « carrière » d’électeur, il ne m’a pratiquement jamais été donné de voir une élection se tenir sur des sujets de fond, mais pratiquement toujours sur des vacuités démagogiques. Cette nouvelle campagne électorale (la plus longue de l’Histoire du Canada de surcroît!) ne faisant pas exception à la règle, nous avons eu le grand désarroi d’entendre les sempiternelles platitudes économiques jamais suivies des faits et du tout aussi classique rituel de bon bilan de la part du parti sortant. Les plus petits partis ayant la représentation parlementaire (Parti vert & Bloc Québécois), quoiqu’ils aient emmené sur plusieurs sujets un peu de pertinence à ces discours défraîchis, ont quand même peu à envier à ce mastodonte d’impertinence que forme ce trio de néolibéraux plus ou moins complexés.
Dernièrement, le clou du spectacle fut atteint par cette dernière polémique sur le niqab islamique initiée par une décision de justice pour d’une affaire datant de 2008, mais reprise en boucle sur les médias sociaux dans cet incessant débat touchant les « accommodements raisonnables ». Comme il fallait s’y attendre, le parti de Stephen Harper a profité de l’occasion pour faire de la surenchère sur ses « valeurs canadiennes », qu’il prétend aussi être celles des nationalistes québécois. Et comme vous le savez, le Bloc Québécois, qui ne désespère jamais à refaire les mêmes erreurs deux fois, s’est senti comme devoir de soutenir ces « valeurs canadiennes » comme étant celles de ses électeurs.
Croire que les mêmes causes n’engendreraient pas les mêmes effets est le lot des perdants et autant le fait d’essayer de doubler le NPD en 2011 par le centre gauche, tenter de dépasser Harper par l’identitaire est tout simplement faire campagne pour lui. L’usage politique de problématiques bidons ne servant qu’à alimenter l’islamophobie en tentant vainement de le manipuler est exactement la façon de gérer un feu à la manière des pompiers pyromanes. Tout ce que ça risque d’engendrer, c’est la radicalisation des tendances opposées tout en aidant Harper à se chercher des sympathies au Québec.
Et pourtant, depuis 2007, jamais ce genre de polémique n’a trouvé de justification pratique politiquement. Même si ce n’est pas vraiment la cause de l’échec du dernier mandat péquiste, la charte des valeurs n’a en rien aidé le gouvernement à régler les problèmes du Québec et a en outre poussé sans peut-être le savoir une bonne partie du mouvement souverainiste dans le cul-de-sac de la lutte contre cette ennemi à moitié fantasmé qu’est l’islamisme. Sans compter que ces querelles identitaires, en plus de ne pas avoir fait avancer d’un iota la cause de l’indépendance, ont définitivement cassé l’exceptionnelle unité bâtie dans la lutte de 2012, entre les diverses tendances de la gauche et le mouvement souverainiste, au travers de la lutte contre la hausse des frais de scolarités.
L’idée très «politicienne» d’essayer de capter un débat malsain afin de faire mousser sa campagne est le genre de manœuvre dont les politicards souverainistes devraient s’imposer l’interdit, car complètement incapables de l’utiliser aussi cyniquement que leurs adversaires (au fait, ceci est un compliment !). Pourtant, nous y voilà. Le manège est déjà en place et le cercle vicieux de la dialectique de l’exclusion est en marche depuis un temps et il sera bien ardu de l’empêcher d’aller vers son paroxysme. Mais qu’entends-je par « dialectique » me direz-vous ? C’est effectivement le genre de mot que certains pourraient user afin de se donner des airs savants, mais ici il doit être pris comme le concept principal. J’entends par « dialectique » la mécanique interne d’un processus qui nous emporte vers une direction qui n’est pas contrôlée par personne, mais dont tous en sont les acteurs. Le processus dont il est ici question est un peu le même que celui que connait la France depuis les années 80 et qui donne autant le FN que les frères Kouachi. Au Québec le processus est un peu différent[1] certes, mais l'est sur bien des points comparables.
Mais plus précisément, la dialectique, que l’on caractérise souvent par le concept de « thèse-antithèse-synthèse » et qui est issue de la contradiction entre arguments opposés afin de faire émerger une synthèse dépassant les contradictions, est aussi l’analyse interne des processus face aux éléments jugés définitifs et statiques. Donc, l’emploi de la dialectique en science sociale sera un regard sur les tendances lourdes qu’engendrent les oppositions politico-sociales dans la société. Ce regard des éléments contradictoires dans un cadre global fait face à une analyse des choses plus centrée sur elle-même et qui conduit beaucoup de militants à avoir des pratiques réactives, qui non seulement ne fonctionnent pas, mais qui bien souvent ont un effet contraire à leur objectif de départ. Sur ce bref petit rappel, continuons.
Comme évoqué ci-dessus, un processus malsain est en place au Québec et les ingrédients de ce capharnaüm sont : un plus ou moins grand nombre d’immigrants aux mœurs « exotiques », de véhéments militants de la gauche antiraciste sans aucune propension à la dialectique, une population locale naïve et mal informée, quelques dizaines de militants d’extrême droite[2], des médias sensationnalistes et des politiciens peu scrupuleux. Comme vous le voyez, tous ces ingrédients sont présents et ne font qu’attendre bien sagement que ce processus se mette en marche par un catalyseur quelconque.
D’abord, après plusieurs années d’immigration, de politique multiculturaliste et de coupe budgétaire, des communautés ethnico-religieuses se forment dans des secteurs donnés des grands centres. Comme le nombre brut d’immigrants récents tend à augmenter depuis plusieurs années au Québec[3] et que, parallèlement à cela, le niveau attractif de l’économie de l’Ouest continu à faire migrer une grande partie de cette masse d’immigrants (notamment ceux qui ont le plus de valeur sur le marché de l’emploi) vers l’Ontario et de l’Alberta[4], on note une plus grande proportion d’immigrants de fraîche date dans ces communautés. Cette situation génère donc l’impression que la baisse d’assimilation, visuellement observable via les fameux « accommodements raisonnables », est due à la quantité globale d’immigrants arrivés et que le processus d’assimilation se trouve en panne.
Les tendances à l’assimilation étant occultées par la migration vers l’Ouest, le nombre d’immigrants non assimilés s’en trouvera donc fortement augmenté, malgré que le processus se perpétue dans l’ensemble du Canada. Ajoutons à cela le pourcentage assez élevé d’immigrants issus du Maghreb[5], pour des raisons de politique linguistique, et vous aurez un catalyseur tout trouvé : l’Islam. Les politiques internationales étant toutes tournées vers cette partie du monde[6] pour des considérations géostratégiques, la déstabilisation de ces pays a engendré des courants extrémistes de l’Islam que les politiciens et les médias promeuvent à satiété. Les premiers, afin de justifier leurs politiques agressives à l’international[7], via la peur des organisations qu’ils ont souvent eux-mêmes promues, et les seconds simplement pour vendre du papier à sensation. Enfin, ces deux paramètres amplifieront la peur suscitée par ces organisations et donnera un visage criminel à ce que le petit peuple considère parfois déjà comme une invasion de leurs modes de vie.
Par la suite, le 4e rôle sera donné à l’extrême droite et/ou aux courants politiques anti-islam (la plupart du temps très marginaux) qui profiteront de cet état d’esprit pour faire valoir publiquement un rejet catégorique et souvent très peu soucieux de la réalité. Évidemment, les représentants du 5e rôle (la gauche antiraciste) ne perdront pas un instant à organiser une contre-offensive, qui elle provoquera un événement médiatique plus ou moins important, mais tout de même plus visible que ce que la seule extrême droite serait capable de réaliser par elle-même. La gauche antiraciste, comme de coutume, combattra le « fascisme » à grand coup d’invectives, d’anathèmes et parfois même d’actes de violence afin d’inviter (plus ou moins volontairement) les forces de police ou du gouvernement à imposer une chape de plomb sur l’expression même de ces courants marginaux (voir projet de loi 59). Cette exaltation du non-respect des droits de la personne par la gauche « tolérante », en plus de donner des justifications morales aux politiques répressives que les gouvernements cherchent à mettre en place, fera connaitre à un large public les groupuscules combattus[8] et si les mesures répressives sont appliquées (ce qui est généralement le cas), ces derniers seront incontestablement suivis d’une hausse de la sympathie du public. Car, ne l’oublions pas, la morale populaire profonde tend toujours à défendre les victimes[9], jamais les bourreaux. Même si ces derniers se présentent comme les défenseurs de la liberté.
Si des mesures répressives sont appliquées ou tolérées[10] par le gouvernement, les militants des groupes anti-islam loin d’arrêter leurs actions, auront probablement tendance à se radicaliser et à faire front. Ce qui aura pour cause de grossir leur rang et pourra ainsi, à l’occasion de leurs prochaines actions, dégénérer en affrontements violents avec leurs opposants. À la fin des fins, ce seront évidemment les musulmans (en tant que communauté) qui en seront les principales victimes, car pendant que les militants politiques opposés se tapent dessus, c’est eux qui subiront de plein fouet les effets que ce conflit suscite comme peur dans le public. Et cette exclusion, comme pour celle effectuée aux militants d’extrême droite, renforcera leur repli communautaire et ainsi donnera en même temps plus de poids aux représentants de l’islamisme et des tendances communautaristes dans leur communauté. Ce qui, par leurs seules revendications, renforcera la peur qu’ont les gens. Ce qui ensuite donnera des munitions aux groupes d’extrême droite qui … et ainsi de suite.
Comme vous le voyez, ici il ne s’agit pas d’une situation statique (montée de l’islamisme, de l’extrême droite ou gauche, uniquement), mais bien d’un processus d’exclusion généralisé qui engendre la haine dans tous les cœurs. Cette situation ne peut donc être arrêtée que par la brisure de cet engrenage et ceci n’est pas une mince affaire, car la radicalisation et l’exclusion sont systématiques et se renforcent mutuellement. Plus le processus avance en temps, plus les conséquences s’aggravent.
Il n’est bien sûr pas de mon ressort de donner des solutions miracles, car elles n’existent pas. Néanmoins, il m’est possible de donner quelques pistes à suivre qui, selon moi, pourraient limiter la casse qui vient. Du moins, ce devrait être un début de revendication à entreprendre. Premièrement, il faut impérieusement cesser de jouer avec la corde identitaire des gens pour des enjeux bassement politiques. L’identité en politique doit être un concept visant à unir, non pas diviser le peuple. Ensuite, tous les « accommodements raisonnables » doivent être réglés autant que possible à l’interne en usant des consensus qui existent déjà ou par des voies détournées. Ceci bien sûr en attendant de modifier (via l’indépendance!?) les présentes Chartes des droits de base libérale pour une Charte des droits & des responsabilités, qui reconnait à la fois, l’individu, le peuple et le bien commun[11]. De plus, tous les domaines où des problèmes vestimentaires sont à prévoir et où il n’y a pas d’uniformes devraient se doter d’un code vestimentaire mis en place par une commission non politique et voté par l’ensemble de leurs membres via leur syndicat ou une association représentative. Les limites de ce qui est raisonnable ou pas en termes d’accommodement y seraient aussi définies.
Ensuite, les « ghettos » ethnoculturels ne doivent plus être encouragés et doivent être limités au maximum. Ceci, à la fois par des discours identitaires inclusifs et par l’abolition de toutes politiques multiculturaliste, notamment celles qui exaltent l’identité ethnico-culturelle d’origine et qui crée des distinctions entre les citoyens. Subséquemment, il faut impérieusement que cessent les procédures d’exceptions faites aux groupes politiques d’extrême droite, qui n’ont jamais eu d’autre conséquence que de leur donner le bon rôle de victimes[12] et de donner des jurisprudences antisociales aux juges et à l’État. Le combat de l’antiracisme doit être idéologique et fait dans le respect des droits d’expression de tous, même s’il faut aussi éviter d’en faire un débat national, comme c’est en ce moment le cas pour l’histoire du niqab.
Évidemment, loin d’être exhaustives, ces idées ne sont que quelques exemples d’actions à entreprendre afin d’éviter l’explosion de conflits qui n’ont aucun effet positif sur le bien-être de la population. Avant tout, celles-ci doivent viser à faire baisser la pression par une gestion juste des droits et responsabilités des protagonistes, tout en mettant en place les conditions nécessaires à un accommodement global et réellement raisonnable.
Pour finir, je me dois de préciser que même si je critique sévèrement le Bloc pour l’usage politique qu’il a fait du débat sur le niqab et des effets que ce débat engendre dans la société[13], je suis tout de même conscient que le meilleur scénario pour le Québec d’après élection est une majorité de bloquistes (et ceci même si je ne suis pas du même parti) plutôt que ces médiocres néo-démocrates sortants. Néanmoins, je persiste à croire que le rôle du Bloc n’est pas de débattre de l’amélioration du Canada, même si cela l’aide à prendre des points dans les sondages, mais bien d’en démontrer les faiblesses. Car vouloir réformer le fédéralisme c’est vouloir le maintenir, ce que les autres partis font déjà très bien. Alors au lieu de jouer au jeu de ceux qui engendrent les conflits au Québec, il faut mettre en place les conditions qui feront que les peuples du Québec feront cause commune à cette noble cause qu’est l’indépendance.
Benedikt Arden,
Octobre 2015
-------------------------------------------------------------------------
[1] Nous n’avons pas de tradition d’extrême-droite politique très prononcée, ni d’anciennes colonies en premier lieu.
[2] Moins de dix pourrait amplement suffire.
[3] Le nombre brut d’immigrants au Québec est passé de 37 581 en 2002 à 51 746 en 2011.
[4] « Selon le démographe Jacques Henripin, le Québec voit partir 28 % de ses immigrants en cinq ans; en 10 ans, ce sont 40 % des immigrants qui quittent le Québec, c'est-à-dire 50 000 personnes; en 20 ans, le pourcentage grimpe à 50 % et, en 30 ans, le taux des départs devient aussi élevé que 60 % ». Jacques Leclerc, linguiste, sociolinguiste et un ancien professeur à la retraite.
[5] 21,2% des immigrants sont en provenance du Maghreb et ce chiffre n’inclut pas ceux en provenance de France (souvent aussi issus du Maghreb), ni des autres pays musulmans.
[6] Le monde islamique.
[7] Et aussi répressive à l’intérieur du pays.
[8] Notamment parce que les mouvements antiracistes sont incomparablement plus importants que ceux de leurs adversaires, ce qui attire l’attention de médias.
[9] On pourrait dire qu’en de pareils cas les militants d’extrême droite sont « subjectivement » des bourreaux, mais « objectivement » des victimes, car le seul droit qui se trouve bafoué est leur droit d'expression en fin de compte.
[10] Des actions violentes en provenance de leurs opposants, par exemple.
[11] Et non pas que des individus qui ont des droits.
[12] Sans oublié le tort que ces cas d’exceptions font aux principes d’universalité du droit.
[13] Même si, somme toute, ils ont bénéficié du débat.