mardi 22 avril 2014

Chronique de l’échec d’une stratégie

Le 5 mars dernier, le gouvernement de Pauline Marois, à rebours de leur propre promesse de tenir des élections à date fixe, dissolvait l’assemblée élue en 2012, ce fruit si décevant de l’éphémère printemps étudiant. Trente-trois jours plus tard, l’hécatombe électorale ! J’étais, ce soir-là, comme un grand nombre d’entre vous quelque peu effrayé de voir pointée cette ombre sordide qu’est ce nouvel hiver libéral sur notre coin de terre. Et comme beaucoup d’entre vous, les quelques signes positifs sur lesquels m’accrocher manquaient terriblement… Du moins, ce n’est pas les gains de la Coalition avenir Québec (CAQ) ou la victoire d’un troisième député de Québec solidaire (QS) qui rendront l’avenir moins terne. Pas dans notre système parlementaire britannique en tout cas. Enfin, les médiats sociaux (du moins les miens) se sont couchés assez tôt ce soir-là et la confusion et le désespoir furent les seuls compagnons de sommeil pour un grand nombre de souverainistes.

Dès le lendemain, après s’être aperçu que nul cauchemar n’avait été la cause de notre nouvelle réalité, le silence se transforma en îlots d’interprétations diverses sur le résultat des élections de la veille. Une seule chose les unissait tous : la confusion. Bien sûr, je ne parle pas de la frange fédéraliste de la population qui y a trouvé une sempiternelle occasion de crier à la mort du « séparatisme », mais bien de ceux qui croient encore au Québec. Pour autant, il n’est nul besoin d’être un « pur et dur » pour voir dans ce nouveau règne libéral quelque chose ressemblant étrangement à la case départ de 2003 et même les militants les plus obtus de QS ou de la CAQ savent très bien que leurs petites victoires restent bien ternes face au couronnement du monarque des « vraies affaires ». 
Mais encore, me direz-vous, est-ce qu’un nouveau gouvernement péquiste (même majoritaire) aurait été un évènement si extraordinaire qu’il aurait pu décorer de nouvelles pages à nos livres d’Histoire, comme ce fut le cas en 1976 et en 1994? Pas vraiment. Et c’est bien là tout le problème, car si le PQ n’a pas été en mesure de capitaliser sur l’espoir d’un peuple qui ne demandait (et qui ne demande toujours) que ça, c’est bien parce que la victoire de celui-ci ne dessinait aucuns des lendemains qui chante que la majorité (les 58% qui ont votés contre le PLQ) des Québécois demandent depuis plus de dix ans. 

Hélas ! Pour le mouvement souverainiste, un grand nombre de nos camarades, au lieu de prendre quelque temps afin de réfléchir à l’état de la situation, sont tombés dans le travers de la recherche du bouc émissaire[1]. C’est de la faute à Québec Solidaire! C’est de la faute à Option nationale (ON)! J’ai même parfois entendu du dire que c’était en partie celle du RRQ!? Ah qu’il est réconfortant de mettre la faute sur les autres, hein ! Le déni est un mécanisme de défense très rudimentaire que même les psys à deux sous connaissent bien. Mais à l’instar de la plèbe moyenâgeuse qui brulait des innocents et lançait des anathèmes à ceux qui leur révélaient les vérités qu’ils ne voulaient pas entendre, certains péquistes fanatisés par la défaite se mirent à semer leur courroux sur tout un chacun en oubliant au passage que c’est la stratégie qu’ils supportent qui a perdu. Et en amenant malheureusement tout le Québec avec elle…      

La défaite du PQ n’est pas un évènement conjoncturel propre à je ne sais quelle trahison, mais un mur sur lequel le PQ devait inévitablement se frapper. Tous les signes avant-coureurs y ont été observés et pourtant savamment ignorés. Du dépassement par l’ADQ (2007) à la victoire par défaut de 2012, en passant par le renversement du bloc[2] par le NPD, un seul constat : Le PQ est condamné à être une coalition souverainiste temporaire, autrement il perd. Dans son histoire, toujours il a perdu quand il a essayé de jouer au parti de gouvernement, alors de voir certains militants péquistes mettre l’échec de leur parti sur la faute de ceux qui en dénoncent l’égarement provincialiste (ON) ou qui prennent l’espace laissé vacant à gauche (QS) par un PQ jouant maladroitement la carte identitaire à la sauce ADQ-2007, cela relèvement clairement du déni de réalité. 

Et laissez-moi vous dire que certains y vont fort! J’ai entendu récemment, chez un militant de ce type, prétendre (au risque du ridicule) que QS et le PLQ complotaient ensemble contre le PQ. J’ai aussi pu observer plusieurs sites douteux comme le fameux « Dossier QS » et sa campagne de collant dénonçant le complot islamo-communiste de QS. Certains en sont même à ressortir des boules à mites le passé[3] de Roger Rashi et Françoise David afin de nous prouver que leur militantisme d’il y a près de 40 ans prouvait bien leur soi-disant double langage d’aujourd’hui. Je vous avoue que malgré tous mes griefs contre QS, cette campagne de salissage n’a fait que me donner un peu plus de sympathies pour ce parti et je ne crois pas être le seul dans cette situation. Ce n’est pourtant pas un si grand secret que ça que ce genre de campagne de peur ne fonctionne que pour l’électorat réactionnaire et que, du coup, elle a probablement dû bien plus fait de torts au PQ qu’à QS.

Enfin, inutile de tergiverser sur ces stratégies grotesques et revenons à l’essentiel, soit la cause de la libération de notre peuple. Historiquement, ce n’est pas le premier coup dur et cette époque néolibérale et réactionnaire n’est encore pas grand-chose au regard de la centaine d’années de repli que vécurent nos aïeules après 1837. Dans cet ordre d’idée, ceux affectionnant tout particulièrement la politique identitaire du PQ et sa charte seront prompts à affirmer que contrairement à l’époque ultramontaine, l’époque actuelle est submergée par l’immigration et l’islamisme, ce qui serait un danger spécifique de notre époque. Bien, sans tenir compte du fait qu’il y a une énorme part de fantasme dans cette peur (surtout pour ce qui est des musulmans) et que le Québec a, depuis la conquête, toujours été submergé par l’immigration[4], il est important de rappeler que ce qui incite la majorité des immigrants à immigrer à un endroit, ce n’est pas l’amour de la nouvelle patrie, mais bien la richesse de celle-ci. Or, le Canada anglais a toujours eu pour vocation de piller le Québec pour leur profit, ce qui explique pourquoi les immigrants le quittent très rapidement pour suivre la richesse pompée vers l’Ouest. Et par bonheur, ce sont les immigrants les moins opportunistes qui souvent restent. Alors, au lieu de se conter des peurs sur les musulmans qui complotent contre le Québec, il serait toute à l’honneur de notre cause que de continuer à leur tendre la main. Pour ce qui est des communautés serviles au pouvoir canadien et hostiles de génération en génération aux volontés de notre peuple, seules la fierté et l’affirmation de tout un chacun pourront leur fermer le clapet. Du moins, cela aura probablement beaucoup plus d’impact qu’une charte formelle potentiellement pas plus respectée que celle sur la langue française.          

Mais, au-delà de l’identité de notre peuple, qui inévitablement change constamment peu importe qu’il y ait de l’immigration ou pas, il importe de comprendre que ce qui pose problème chez nous ce n’est pas tant l’origine de nos très lointains aïeuls, mais le fait que nous sommes assujetties à un système qui nous a volé notre droit à l’autodétermination et c’est bien dans ce combat que doit être forgé l’identité de notre peuple.

Tout cela est bien beau, me diriez-vous, mais n’est-il pas primordial de tous s’unir afin d’affronter nos geôliers? Et comme les autres partis n’ont aucune chance de gagner les prochaines élections, nous devrions tous voter PQ en masse? Évidemment, l’argument remâché n’est pas sans logique dans l’absolu, mais encore une fois il faut cesser de réfléchir avec des « y-faudrait-dont-que » et tenir compte des réalités. S’il existe des partis concurrents, ce n’est pas à cause d’un quelconque complot, mais parce que le PQ n’agit plus depuis longtemps en coalition, mais en parti de gouvernement provincial attentiste à l’excès[5]. Alors vous pourrez crier au traitre comme il vous le plaira, mais la situation n’en changera pas pour autant. À moins que vous vouliez enlever le droit de vote aux militants souverainistes, votre travail (je dis cela aux militants spécifiquement péquistes) est de le remettre sur la voie qui lui donna le pouvoir autrefois, soit une cause claire avec des objectifs bien définis ainsi qu’une démocratie authentique en son sein. Autrement le PQ n’a pas d’avenir. Mais pour y parvenir, il vous faudra vous battre à mort contre cette caste d’apparatchik qui, en plus de détruire le parti, fait un grand tort au mouvement tout entier. Et il n’est pas certain que ça soit plus aisé que d’en bâtir carrément un autre, si vous voulez mon avis. Autrement, le PQ continuera sa dérive national-autonomiste néolibérale et finira inévitablement à se fondre avec la CAQ pour se disputer le pouvoir avec les libéraux dans le bon vieux bipartisme, fondement du système de Westminster.

Pour ce qui est de l’heure présente, prenons le temps (maintenant que nous en avons) pour repenser la stratégie et en revenir aux fondamentaux. Ce qui veut dire qu’il faut impérativement en finir avec la partisanerie! D’autres partis existent. Encore une fois, pas à cause d’un quelconque complot, mais parce qu’ils représentent des sensibilités politiques demandant représentation. Alors, soit on fait comme s’ils n’existaient pas (et on sait ce que ça donne), soit on en prend acte et on collabore, ce qui sous-entend des primaires ou quelque chose d’équivalent. Ensuite, on cesse de se prendre la tête avec des sujets de diversions comme la charte et la façon de faire de la bonne gouvernance provinciale. Il y a amplement d’éléments consensuels dans le principe de la maitrise de notre destin pour faire collaborer la gauche et la droite dans l’idée d’indépendance. D’ailleurs, le fait d’avoir plusieurs partis pourrait même être un avantage si nous pouvions mettre en place une démocratie proportionnelle, comme celle que le PQ proposait et qu’il a abandonnée pour des raisons bassement partisanes.    

Enfin, tout un chantier nous attend, mais si nous étions capables d’accepter sereinement que tout est à recommencer, depuis la fausse défaite de 95, nous pourrions nous éviter une seconde phase de dormance centenaire. Car cette fois-ci on risque bien, contrairement à celui des années soixante, de se réveiller sur un tas de ruines, ce que les libéraux ne manqueront pas de nous laisser comme héritage si nous les laissons faire.

Benedikt Arden


[1] La stratégie du bouc émissaire a, en fait, débuté bien avant la défaite, lorsque les sondages ont commencé à la prédire.
[2] Je confonds le Bloc Québécois avec le Parti du même nom pour des raisons évidentes.
[3] Évidemment le passé de Gille Duceppe, lui, n’a rien de comparable!?
[4] Les Anglais ont toujours utilisé l’immigration comme arme d’assimilation.
[5] Certaines mauvaises langues pourraient même affirmer que, comme les vieux partis communistes, ils exploitent l’espoir de révolution de leurs électorats afin de s’assurer leurs votes, mais sans y croire une seule seconde.

samedi 5 avril 2014

Le renouvellement des arrangements constitutionnels: le voleur qui crie «Au voleur!»

Le lundi matin 31 mars, lors de sa conférence de presse quotidienne, le chef du Parti libéral du Québec, Philippe Couillard, s'est inspiré d'un article publié le matin même dans le journal La Presse, détenu par le monopole Power Corporation. Il a commencé par dire que l'article intitulé « Le choc, la charge, la charte » prouve sans l'ombre d'un doute une « machination calculée » par le PQ pour « créer une crise sociale » au Québec qui conduirait à une « confrontation » avec le gouvernement fédéral, résultant dans une impasse juridique qui « fournira des munitions pour la cause souverainiste ».

Interrogé par des journalistes pourquoi il y voyait un problème au fait que le PQ mettrait de l'avant une stratégie pour gagner les Québécois à l'idée de la souveraineté, il a écarté la question en disant qu'il n'y a pas de problème que des partis fassent valoir ouvertement leurs idées souverainistes, mais que la façon dont cela est fait en « créant une crise sociale » sur la question de la Charte des valeurs est « inacceptable » parce que c'est une « machination machiavélique » et qu'il n'a « jamais de sa vie politique rien vu d'aussi cynique que cela ».

Eh bien, il semble que le docteur Couillard a quelques trous de mémoire sur le passé récent et moins récent de la politique québécoise. Se rappelle-t-il de la façon dont, en 1995, lors du référendum tenu au Québec, les libéraux de Jean Chrétien se sont assurés que les résultats soient en faveur du Non ? La Commission Gomery a exposé une série de manigances que les libéraux de Jean Chrétien ont utilisées pendant et avant le référendum pour acheter des votes et influencer l'électorat, ce qui a culminé la veille du référendum par le fameux « love-in » organisé à Montréal sous le thème « Mon Canada inclut le Québec ». En quoi cela est-il différent d'une « machination calculée » ? Peut-il se porter garant que son parti n'est pas derrière l'hystérie créée récemment autour du mot « référendum », et largement promu par lui-même et ses candidats durant les deux premières semaines de cette élection ?

Où se situe-t-il sur la question de la « Loi sur la clarté » adoptée en 1999 par le parlement canadien sur ce qui constitue une « majorité acceptable » aux yeux du gouvernement fédéral advenant un autre référendum au Québec ? N'est-ce pas un prétexte pour organiser une « crise sociale » en ayant le gouvernement fédéral qui déclare illégitimes les résultats d'un autre référendum, créant ainsi les conditions pour invoquer la Loi sur les mesures de guerre ? Comment est-ce que Couillard peut garder le silence sur le fait que certaines forces dans le reste du Canada discutent ouvertement dans les médias de l'organisation d'un « référendum préventif pancanadien » pour arrêter toute nouvelle initiative par le gouvernement du Québec de tenir un autre référendum ? N'est-ce pas une « machination calculée ». Nous avons affaire ici au voleur qui crie: « Au voleur ! ».

Ce que le peuple doit se rappeler, c'est que le Parti libéral du Québec s'est opposé à l'idée d'un référendum qui place au coeur des discussions la volonté du peuple d'affirmer sa souveraineté. Discuter ensemble de l'avenir du Québec va à l'encontre tout ce que les libéraux représentent aujourd'hui, qui est le statu quo constitutionnel, soit le maintien des arrangements qui datent de l'époque des bâtisseurs d'empire coloniaux du XIXe siècle.

Aujourd'hui, ces sont ces mêmes dispositions constitutionnelles qui donnent la légitimité juridique au gouvernement Harper et aux gouvernements des provinces et du Québec d'utiliser le plein poids du pouvoir exécutif et/ou de leur majorité au Parlement pour mettre en place ou décréter de nouveaux arrangements au sein de l'État qui favorisent les intérêts privés des monopoles. Cela se fait aux dépens du bien public, en opposition à la volonté du peuple qui veut la garantie des droits individuels et collectifs dans le cadre d'une société moderne. Par exemple, il n'est pas surprenant que les libéraux de Charest et maintenant sous Couillard promeuvent encore plus la privatisation du système de soins de santé comme le soi-disant remède à la crise dans laquelle ils nous ont eux-mêmes plongés.

Le parti libéral a montré maintes et maintes fois qu'il est coincé dans ses anciennes façons de créer des crises pour maintenir un statu quo constitutionnel qui étouffe autant la nation québécoise que le reste du Canada. Au contraire, nous avons besoin d'occuper l'espace du changement nous-mêmes en mettant sur pied des commissions sur l'avenir du Québec.

Fernand Deschamps, candidat du PMLQ dans St-Laurent (élection 2014)