Le 5 mars dernier, le gouvernement de Pauline Marois, à rebours de leur propre
promesse de tenir des élections à date fixe, dissolvait l’assemblée élue en
2012, ce fruit si décevant de l’éphémère printemps étudiant. Trente-trois jours
plus tard, l’hécatombe électorale ! J’étais, ce soir-là, comme un grand nombre
d’entre vous quelque peu effrayé de voir pointée cette ombre sordide qu’est ce
nouvel hiver libéral sur notre coin de terre. Et comme beaucoup d’entre vous,
les quelques signes positifs sur lesquels m’accrocher manquaient terriblement… Du moins, ce n’est pas les gains de la Coalition avenir Québec (CAQ) ou la victoire
d’un troisième député de Québec solidaire (QS) qui rendront l’avenir moins
terne. Pas dans notre système parlementaire britannique en tout cas. Enfin, les
médiats sociaux (du moins les miens) se sont couchés assez tôt ce soir-là et la
confusion et le désespoir furent les seuls compagnons de sommeil pour un grand
nombre de souverainistes.
Dès le lendemain, après s’être aperçu que nul cauchemar n’avait été la
cause de notre nouvelle réalité, le silence se transforma en îlots
d’interprétations diverses sur le résultat des élections de la veille. Une
seule chose les unissait tous : la confusion. Bien sûr, je ne parle pas de
la frange fédéraliste de la population qui y a trouvé une sempiternelle occasion
de crier à la mort du « séparatisme », mais bien de ceux qui croient
encore au Québec. Pour autant, il n’est nul besoin d’être un « pur et
dur » pour voir dans ce nouveau règne libéral quelque chose ressemblant
étrangement à la case départ de 2003 et même les militants les plus obtus de QS ou
de la CAQ savent très bien que leurs petites victoires restent bien ternes face
au couronnement du monarque des « vraies affaires ».
Mais encore, me direz-vous, est-ce qu’un nouveau gouvernement péquiste
(même majoritaire) aurait été un évènement si extraordinaire qu’il aurait pu
décorer de nouvelles pages à nos livres d’Histoire, comme ce fut le cas en 1976
et en 1994? Pas vraiment. Et c’est bien là tout le problème, car si le PQ n’a
pas été en mesure de capitaliser sur l’espoir d’un peuple qui ne demandait (et
qui ne demande toujours) que ça, c’est bien parce que la victoire de celui-ci
ne dessinait aucuns des lendemains qui chante que la majorité (les 58% qui ont
votés contre le PLQ) des Québécois demandent depuis plus de dix ans.
Hélas ! Pour le mouvement souverainiste, un grand nombre de nos
camarades, au lieu de prendre quelque temps afin de réfléchir à l’état de la
situation, sont tombés dans le travers de la recherche du bouc émissaire[1]. C’est de la faute à Québec
Solidaire! C’est de la faute à Option nationale (ON)! J’ai même parfois entendu
du dire que c’était en partie celle du RRQ!? Ah qu’il est réconfortant de
mettre la faute sur les autres, hein ! Le déni est un mécanisme de défense très
rudimentaire que même les psys à deux sous connaissent bien. Mais à l’instar de
la plèbe moyenâgeuse qui brulait des innocents et lançait des anathèmes à ceux
qui leur révélaient les vérités qu’ils ne voulaient pas entendre, certains
péquistes fanatisés par la défaite se mirent à semer leur courroux sur tout un
chacun en oubliant au passage que c’est la stratégie qu’ils supportent qui a
perdu. Et en amenant malheureusement tout le Québec avec elle…
La défaite du PQ n’est pas un évènement conjoncturel propre à je ne sais
quelle trahison, mais un mur sur lequel le PQ devait inévitablement se frapper.
Tous les signes avant-coureurs y ont été observés et pourtant savamment
ignorés. Du dépassement par l’ADQ (2007) à la victoire par défaut de 2012, en
passant par le renversement du bloc[2] par le NPD, un seul
constat : Le PQ est condamné à être une coalition souverainiste temporaire,
autrement il perd. Dans son histoire, toujours il a perdu quand il a essayé de
jouer au parti de gouvernement, alors de voir certains militants péquistes
mettre l’échec de leur parti sur la faute de ceux qui en dénoncent l’égarement
provincialiste (ON) ou qui prennent l’espace laissé vacant à gauche (QS) par un
PQ jouant maladroitement la carte identitaire à la sauce ADQ-2007, cela
relèvement clairement du déni de réalité.
Et laissez-moi vous dire que certains y vont fort! J’ai entendu
récemment, chez un militant de ce type, prétendre (au risque du ridicule) que
QS et le PLQ complotaient ensemble contre le PQ. J’ai aussi pu observer
plusieurs sites douteux comme le fameux « Dossier QS » et sa campagne de
collant dénonçant le complot islamo-communiste de QS. Certains en sont même à
ressortir des boules à mites le passé[3] de Roger Rashi et
Françoise David afin de nous prouver que leur militantisme d’il y a près de 40
ans prouvait bien leur soi-disant double langage d’aujourd’hui. Je vous avoue
que malgré tous mes griefs contre QS, cette campagne de salissage n’a fait que
me donner un peu plus de sympathies pour ce parti et je ne crois pas être le
seul dans cette situation. Ce n’est pourtant pas un si grand secret que ça que ce
genre de campagne de peur ne fonctionne que pour l’électorat réactionnaire et
que, du coup, elle a probablement dû bien plus fait de torts au PQ qu’à QS.
Enfin, inutile de tergiverser sur ces stratégies grotesques et revenons
à l’essentiel, soit la cause de la libération de notre peuple. Historiquement,
ce n’est pas le premier coup dur et cette époque néolibérale et réactionnaire
n’est encore pas grand-chose au regard de la centaine d’années de repli que
vécurent nos aïeules après 1837. Dans cet ordre d’idée, ceux affectionnant tout
particulièrement la politique identitaire du PQ et sa charte seront prompts à
affirmer que contrairement à l’époque ultramontaine, l’époque actuelle est
submergée par l’immigration et l’islamisme, ce qui serait un danger spécifique
de notre époque. Bien, sans tenir compte du fait qu’il y a une énorme part de
fantasme dans cette peur (surtout pour ce qui est des musulmans) et que le
Québec a, depuis la conquête, toujours été submergé par l’immigration[4], il est important de
rappeler que ce qui incite la majorité des immigrants à immigrer à un endroit,
ce n’est pas l’amour de la nouvelle patrie, mais bien la richesse de celle-ci.
Or, le Canada anglais a toujours eu pour vocation de piller le Québec pour leur
profit, ce qui explique pourquoi les immigrants le quittent très rapidement
pour suivre la richesse pompée vers l’Ouest. Et par bonheur, ce sont les
immigrants les moins opportunistes qui souvent restent. Alors, au lieu de se
conter des peurs sur les musulmans qui complotent contre le Québec, il serait toute
à l’honneur de notre cause que de continuer à leur tendre la main. Pour ce qui est des
communautés serviles au pouvoir canadien et hostiles de génération en
génération aux volontés de notre peuple, seules la fierté et l’affirmation de
tout un chacun pourront leur fermer le clapet. Du moins, cela aura probablement
beaucoup plus d’impact qu’une charte formelle potentiellement pas plus
respectée que celle sur la langue française.
Mais, au-delà de l’identité de notre peuple, qui inévitablement change
constamment peu importe qu’il y ait de l’immigration ou pas, il importe de
comprendre que ce qui pose problème chez nous ce n’est pas tant l’origine de
nos très lointains aïeuls, mais le fait que nous sommes assujetties à un
système qui nous a volé notre droit à l’autodétermination et c’est bien dans ce
combat que doit être forgé l’identité de notre peuple.
Tout cela est bien beau, me diriez-vous, mais n’est-il pas primordial de
tous s’unir afin d’affronter nos geôliers? Et comme les autres partis n’ont
aucune chance de gagner les prochaines élections, nous devrions tous voter PQ
en masse? Évidemment, l’argument remâché n’est pas sans logique dans l’absolu,
mais encore une fois il faut cesser de réfléchir avec des
« y-faudrait-dont-que » et tenir compte des réalités. S’il existe des
partis concurrents, ce n’est pas à cause d’un quelconque complot, mais parce
que le PQ n’agit plus depuis longtemps en coalition, mais en parti de
gouvernement provincial attentiste à l’excès[5]. Alors vous pourrez crier
au traitre comme il vous le plaira, mais la situation n’en changera pas pour
autant. À moins que vous vouliez enlever le droit de vote aux militants
souverainistes, votre travail (je dis cela aux militants spécifiquement
péquistes) est de le remettre sur la voie qui lui donna le pouvoir autrefois,
soit une cause claire avec des objectifs bien définis ainsi qu’une démocratie
authentique en son sein. Autrement le PQ n’a pas d’avenir. Mais pour y parvenir,
il vous faudra vous battre à mort contre cette caste d’apparatchik qui, en plus
de détruire le parti, fait un grand tort au mouvement tout entier. Et il n’est
pas certain que ça soit plus aisé que d’en bâtir carrément un autre, si vous
voulez mon avis. Autrement, le PQ continuera sa dérive national-autonomiste néolibérale
et finira inévitablement à se fondre avec la CAQ pour se disputer le pouvoir
avec les libéraux dans le bon vieux bipartisme, fondement du système de
Westminster.
Pour ce qui est de l’heure présente, prenons le temps (maintenant que
nous en avons) pour repenser la stratégie et en revenir aux fondamentaux. Ce
qui veut dire qu’il faut impérativement en finir avec la partisanerie! D’autres
partis existent. Encore une fois, pas à cause d’un quelconque complot, mais
parce qu’ils représentent des sensibilités politiques demandant représentation.
Alors, soit on fait comme s’ils n’existaient pas (et on sait ce que ça donne),
soit on en prend acte et on collabore, ce qui sous-entend des primaires ou
quelque chose d’équivalent. Ensuite, on cesse de se prendre la tête avec des
sujets de diversions comme la charte et la façon de faire de la bonne
gouvernance provinciale. Il y a amplement d’éléments consensuels dans le
principe de la maitrise de notre destin pour faire collaborer la gauche et la
droite dans l’idée d’indépendance. D’ailleurs, le fait d’avoir plusieurs partis
pourrait même être un avantage si nous pouvions mettre en place une démocratie
proportionnelle, comme celle que le PQ proposait et qu’il a abandonnée pour des
raisons bassement partisanes.
Enfin, tout un chantier nous attend, mais si nous étions capables
d’accepter sereinement que tout est à recommencer, depuis la fausse défaite de
95, nous pourrions nous éviter une seconde phase de dormance centenaire. Car
cette fois-ci on risque bien, contrairement à celui des années soixante, de se
réveiller sur un tas de ruines, ce que les libéraux ne manqueront pas de nous
laisser comme héritage si nous les laissons faire.
Benedikt Arden
[1]
La stratégie du bouc émissaire a, en fait, débuté bien avant la défaite,
lorsque les sondages ont commencé à la prédire.
[2]
Je confonds le Bloc Québécois avec le Parti du même nom pour des raisons
évidentes.
[3]
Évidemment le passé de Gille Duceppe, lui, n’a rien de comparable!?
[4]
Les Anglais ont toujours utilisé l’immigration comme arme d’assimilation.
[5]
Certaines mauvaises langues pourraient même affirmer que, comme les vieux
partis communistes, ils exploitent l’espoir de révolution de leurs électorats
afin de s’assurer leurs votes, mais sans y croire une seule seconde.