La notion d' « accommodements raisonnables » n'est pas une notion moderne. Elle est enracinée dans les notions de « tolérance » de l'État britannique du XIXe siècle. En Angleterre, quand l'État britannique a forcé l'Irlande à la soumission et privé le people irlandais de son droit de parler sa langue et de pratiquer sa religion, la notion britannique de tolérance a donné au droit de conscience une définition étriquée, c'est-à-dire le droit de conscience d'être protestant mais pas le droit de conscience de préconiser des droits pour tous. Cela était considéré comme extrémiste et subversif que de réclamer les droits de tous. L'intolérance de l'église catholique envers les soi-disant hérétiques était invoquée pour dire que quiconque s'opposait à l'intolérance catholique était de facto partisan de la tolérance. L'opposition à l'« intolérance » de l'église catholique qui excluait de la communauté les personnes considérées comme des hérétiques, tous ceux et celles qui s'ouvraient à autre chose que ses dogmes religieux (la fameuse « excommunication »), était donc considérée comme une bonne chose.
Mais se battre pour ses droits était subversif et une mauvaise chose. Alors tirant les leçons de ce qui s'était produit en Irlande, les Britanniques ont été plus astucieux quand est venu le temps du Québec.
Au Québec la notion d'accommodements raisonnables trouve ses racines à l'époque où les colonialistes britanniques établissaient leur État dans le haut et le bas Canada, en particulier après la suppression des Patriotes qui fut suivie du rapport Durham et de la Confédération de 1867.
Le rapport Durham a introduit l'idée que la lutte au Québec n'était pas pour l'établissement d'une république comme cela se faisait à l'époque en Europe ainsi qu'en Amérique latine et dans les Antilles. Au contraire, Durham reprend la détestable tradition de l'empire britannique de semer la division sur n'importe quelle base pour s'assurer de n'avoir jamais à affronter un peuple uni dans sa cause d'émancipation. C'est ainsi que Lord Durham affirme dans son rapport que la rébellion au Québec était une question de « races ». Notez bien l'absence de toute référence à la réalité de la suppression brutale de la rébellion des Patriotes de 1837-38 contre le pouvoir de la couronne britannique. Lord Durham ne l'ayant pas « trouvée », elle n'existait tout simplement pas. Voici comment il écrit l'histoire qui convenait aux Britanniques à l'époque :
« Je m'attendais à trouver un conflit entre un gouvernement et un peuple ; je trouvai deux nations en guerre au sein d'un même État : je trouvai une lutte, non de principes, mais de races. Je m'en aperçus : il serait vain de vouloir améliorer les lois et les institutions avant que d'avoir réussi à exterminer la haine mortelle qui maintenant divise les habitants du Bas-Canada en deux groupes hostiles : Français et Anglais. »
Cela a eu plusieurs ramifications. Premièrement, depuis ce temps nous sommes censés être divisés entre Anglais et Français, « deux races » qui souffrent « une haine mortelle ». Voilà comment notre identité a été encadrée, non pas par le peuple, mais par les colonialistes britanniques. Au contraire, les Patriotes avaient voulu faire naître la nation canadienne de l'époque sur la base d'une participation du peuple, non restreinte par des considérations d'origine nationale, avec les mêmes droits pour tout le monde. Leur Déclaration d'indépendance disait :
« Que sous le gouvernement libre du Bas-Canada, tous les individus jouiront des mêmes droits ... »
Dans le langage de l'époque, où les autochtones étaient « les sauvages », la Déclaration d'indépendance de la République dit même que
« les sauvages ne seront plus soumis à aucune disqualification civile, mais jouiront des mêmes droits que tous les autres citoyens du Bas-Canada ».
Deuxièmement, pour apaiser le peuple en révolte, on sait que les Britanniques ont introduit les notions libérales de l'époque que sont la « tolérance » et les « accommodements raisonnables ». Tous ceux et celles qui acceptaient d'être assujettis seraient tolérés et l'empire leur ferait des accommodements raisonnables, tel l'usage de leur religion, de leur langue et de leurs coutumes, en autant que celles-ci ne soient pas subversives.
Selon leur fameuse devise divide et impera, après avoir déclaré que le peuple était « deux races » et que la mission de l'État britannique était d'éliminer la « haine mortelle » qu'elles souffraient l'une pour l'autre, les Britanniques inventèrent les arrangements basés sur les accommodements dits raisonnables. C'était pour assurer leur diktat, rien de plus. Ils n'ont jamais toléré rien qui remette en question leur régime ou qui y résiste, que ce soit les patriotes à l'époque ou les travailleurs aujourd'hui.
C'est comme le font les impérialistes américains dans le monde aujourd'hui. Tous ceux qui refusent de se soumettre à leur volonté sont la cible d'opérations de « changement de régime » et leur résistance est noyée dans le sang. Rien de raisonnable ou de modéré là-dedans. Rien de raisonnable non plus dans la pendaison ou l'exil forcé à vie pour les patriotes de 1837-1838 qui refusèrent de se plier. Seuls ceux qui se montrèrent « raisonnables » purent bénéficier des « accommodements raisonnables » et garder leurs seigneuries ou revenir de l'exile.
C'est la même chose en ce qui concerne la conduite de la dictature Harper au Canada. La science et les scientifiques ne font pas son affaire, il les coupe. Les groupes religieux font son affaire, il les subventionne. Les musulmans dits modérés font son affaire, il les tolère. Les soi-disant intégristes ne font pas son affaire, ils sont assujettis à des certificats de sécurité sans aucune preuve de crime, soumis à la torture, et cela est justifié en disant que c'est pour protéger les valeurs canadiennes. Et voilà, on pratique la tolérance pour ceux qui le méritent !
Alors c'est quoi cette division du peuple entre raisonnables et extrémistes ? Croire en la république, oeuvrer à sa réalisation et à la souveraineté du peuple, c'est extrémiste. Selon qui ? Qui décide ? Voilà bien la question de notre époque, tout comme au moment de la rébellion. Plus ça change, plus c'est pareil. Rien de moderne là-dedans.
Tiré du numéro 6 du Chantier Politique sur le site du PMLQ