C’est une question que l’on nous pose souvent... « Que deviennent les zapatistes ? On n’entend plus parler d’eux... »
On assiste pourtant ces derniers temps, dans l’Etat du Chiapas, à une forte recrudescence de la guerre sournoise contre le mouvement zapatiste. Celle-ci progresse implacablement, notamment dans les régions et villages où les bases de apoyo, les paysans mayas et zoques adhérents à l’EZLN ne sont pas majoritaires.
Les agressions sont perpétrées par des groupes paramilitaires. Rappelons que ces organisations paramilitaires sont constituées à l’instigation des autorités gouvernementales, au niveau de l’Etat du Chiapas et de l’Etat fédéral. Il s’agit pour le pouvoir de mettre en œuvre la fameuse stratégie de « guerre de basse intensité », si bien décrite par Marie-Monique Robin dans « Les Escadrons de la mort », et imaginée par les militaires français après les échecs cuisants subis en Indochine et en Algérie, au cours des guerres coloniales des années 1940, 50 et 60...(Nous apportons ces précisions parce qu’il nous semble important de ne pas oublier le rôle toujours actuel de l’État français au Mexique. L’armée mexicaine utilise du matériel militaire français (blindés, hélicoptères, mais aussi armements et systèmes de détection ultramodernes), la police « bénéficie » de conseillers du RAID et autres groupes, de nombreux accords lient des entreprises de « chez nous » (Safran, Thalès, EADS, EDF, Thomson) avec des entreprises ou l’État mexicain...)
Des individus sont recrutés dans les communautés indigènes et paysannes, souvent parce qu’ils se sont retrouvés ruinés et sans ressource après être tombés dans le piège des programmes gouvernementaux de « certification des terres ». Après avoir accepté la privatisation de leur parcelle, sous prétexte que celle-ci leur donnerait accès au crédit, à la consommation, au « développement »...ils ont hypothéqué celle-ci, en échange d’un prêt qu’il n’ont pu rembourser.
On les organise donc, et on leur donne armes et argent pour qu’ils fassent partie de bandes entraînées et contrôlées par des officiers de l’armée ou de la police. Ils sont alors invités à entreprendre des actions violentes, des provocations et destructions contre les familles zapatistes. Ces agressions sont particulièrement violentes, car d’une part l’on promet aux paramilitaires de leur donner les terres occupées par les zapatistes, s’ils parviennent à les faire partir, et d’autre part ces personnes sont alcoolisées, droguées et assurées de la protection militaire. Elles connaissent en même temps l’engagement et la détermination des zapatistes à ne pas employer la violence armée contre des civils, des paysans, d’autres indigènes... Un engagement toujours tenu par l’EZLN, mais que le pouvoir aimerait faire voler en éclats, afin de créer un fossé infranchissable entre communautés, familles et personnes, et aussi se donner une raison d’intervenir brutalement contre les bases d’appui de la résistance indigène.
Tout au long de l’été, de nombreux témoignages ont fait état de cette recrudescence. Des communautés comme celle de San Marcos Avilés, où les familles zapatistes, minoritaires, ont fait l’objet de très graves violences parce qu’elles ont mis en place une école autonome (afin que les enfants cessent d’être méprisés et humiliés, mis en concurrence et acculturés par le système éducatif raciste et aliénant de l’État), ou encore à San Patricio, ont été le théâtre de ces violences : destruction de maisons, de clôtures, de cultures, de locaux communautaires, vols, menaces, coups de feu, etc.
Une caravane de solidarité, formée de membres d’associations solidaires mexicaines et internationales, a récemment rendu visite à la nouvelle communauté Comandante Abel. On peut trouver des compte-rendus en français sur le site « La voie du jaguar », sur celui du CSPCL, etc., ou visionner la vidéo réalisée par les membres de la caravane.
Cette situation, très préoccupante, devrait inciter à mieux s’informer et à mener une réflexion sur la nécessité de participer à la dénonciation de cette sale guerre contre les communautés zapatistes du Chiapas.
Cette violence se développe dans le contexte plus large de la pseudo « guerre contre le narco », qui a fait des dizaines de milliers de victimes au Mexique ces dernières années. Une guerre qui vise à nettoyer les campagnes des populations considérées comme archaïques, comme étant « de trop » : communautés indigènes et paysannes, populations qui s’opposent à l’implantation massive de mines à ciel ouvert, aux méga-projets en tous genres : touristiques (y compris « éco-touristiques »), agricoles (pour l’agro-industrie et l’exportation), énergétiques... La carte de cette violence, disait voici deux ans la journaliste mexicaine Gloria Muñoz, recouvre presque exactement celle des ressources minières et énergétiques du pays, et celle des luttes indigènes et paysannes.
L’actuelle transition entre l’équipe du président de la République Fédérale Felipe Calderón (élu en 2006 pour le Parti d’Action Nationale -PAN- après une fraude monumentale) et celle d’Enrique Peña Nieto, le candidat du Parti Révolutionnaire Institutionnel, lui aussi porté au pouvoir, en juillet dernier, par une série de combines et d’achats massifs de voix, grâce aussi au contrôle des médias, etc., représente une menace supplémentaire de destructions et de terreur contre l’ensemble de la société mexicaine.
Le capitalisme industriel mondial a absolument besoin de mettre la main sur ce qui reste de ressources sur la planète. Pour lui, cesser de croître, c’est risquer de sombrer. Les nouvelles technologies, aussi inutiles que dévastatrices et mortifères, constituent pour une grande part sa planche de salut. Il va donc consacrer toute sa puissance, face à une humanité de plus en plus hébétée, pour accaparer le pétrole, le silicium, l’uranium, le lithium et l’ensemble des métaux rares liés à ces nouvelles productions.
Le Mexique, par les richesses qu’il recèle, mais aussi à cause de la vigueur des résistances (au Chiapas, dans l’Oaxaca -luttes actuelles contre les méga-projets de parcs éoliens sur les territoires des Ikoots-, le Guerrero -avec la constitution et le renforcement des polices communautaires de la Montaña et la Costa Chica, le Michoacan -communautés de Santa María Ostula et Cherán-, le Jalisco -résistance des Wixarica aux projets miniers menaçant directement leurs montagnes sacrées, l’État de Mexico -San Salvador Atenco, et dans bien d’autres endroits), représente une région clé, où beaucoup de choses vont se jouer dans les mois et les années à venir. Loin des élucubrations et des interprétations imbéciles des calendriers mayas, nous devons être conscients de ce qui se joue là-bas. Et nous mettre à l’écoute de ce que nous disent les indigènes, ceux du Chiapas et du reste du pays : « désertez le système qui nous détruit tous, récupérez les moyens de vivre dignement, reprenez vos destins en mains. Joignons nos résistances... »
En continuant, dans ces conditions extrêmes, de construire leur autonomie (écoles, cliniques, police et justice, coopératives économiques, travaux collectifs, gouvernement par en-bas, sur le mode de la gratuité, la rotation et de la révocabilité), les zapatistes font leur part du travail. Seuls, ils ne s’en sortiront pas. Nous non plus.
Jean-Pierre Petit-Gras