- Texte sur la crise étudiante devant paraître originellement dans un mensuel français en mars dernier, mais resté non publié jusqu'à maintenant -
Depuis le début de l’année, la colère
gronde chez les étudiants du Québec. La récente annonce de l’augmentation des
frais de scolarité a engendré des tensions jusqu’à maintenant inégalés entre le
gouvernement et les étudiants. Jour après jour, actions de nuisance,
manifestations, coup d’éclats et brutalités policière sont devenues quelque
chose de monnaie courante dans les médiats de la belle province. Sans compter
que tous ces évènements semblent aller en s’aggravant. Mais que s’est-il passé
au juste pour que la situation dégénère à ce point ? Revenons sur la
situation quelque peu.
Vers la mi-janvier, la plus grande partie
des établissements postsecondaires ont voté massivement le début d’une grève
générale illimitée afin de faire bloc contre des hausses très significatives
des droits de scolarité. Ces hausses colossales étaient depuis longtemps
prévues, mais n’ont reçu leur confirmation que depuis le dernier budget du
gouvernement québécois, soit il y a un peu plus d’un an. En prévision de cette
hausse prochaine, plusieurs initiatives pacifiques ont été mises en place afin
de faire savoir au gouvernement que les étudiants n’étaient pas du tout enclins
à se laisser faire et qu’ils seraient près à aller jusqu’au bout si de sérieuses
négociations n’étaient pas envisagées. Malheureusement, et contrairement à son
habitude, le gouvernement Charest resta ferme sur son projet et maintint le
cap. Alors, ce qui devait arriver arriva et donc, au début de la session
d’hiver 2012 (première étape de la hausse), la grève générale illimitée fut
votée dans diverses universités, puis prit de plus en plus d’ampleur jusqu’à
atteindre les sommets que nous connaissons d’aujourd’hui.
Cette grève générale n’est certes pas la
première dans le monde étudiant du Québec, mais ce qui lui donne une
spécificité toute nouvelle c’est que cette fois les deux belligérants semblent
plus déterminés que jamais. Cette détermination partagée en est d’autant plus
forte que la défaite signifierait (pour chacun des camps) la mort définitive de
toutes leurs ambitions. Alors, c’est dans une lutte à mort entre associations
étudiantes et gouvernement que risque bien de voir se dérouler ce début d’année
difficile pour tout le monde. Début d’année d’autant plus difficile que celui-ci
a été l’un des pires en ce qui a trait aux augmentations de toutes natures et
cela dans une atmosphère de crise économique mondiale et d’une inquiétude
certaine quant à la stabilité du monde. Cela dit, la lutte risque de ne pas
être de tout repos pour le gouvernement, car le modèle social québécois, même au-delà
des étudiants, reste fort soutenu dans la population et l’activisme de la
droite « libertarienne », malgré tous ses efforts, reste fort peu influente
hors de ses bastions de la région de Québec. C’est pourquoi l’espoir en la
victoire de ce rapport de force reste très marqué chez les étudiants malgré
l’énormité de la lutte qui leur reste à faire.
Avant de continuer mon exposé sur les
enjeux de cette lutte, et afin d’avoir un regard clair sur l’importance des
évènements, il serait important de remettre les évènements dans leur contexte
afin d’avoir une perspective historique plus large.
Un petit
retour dans le temps
Contrairement à nos voisins anglo-canadiens
et étatsuniens, notre mai 68, que nous appelons « Révolution tranquille », fût pour nous bien plus
qu’une révolte libertine d’adolescents ingrats, mais une révolution relativement
non violente et réelle à saveur patriotique qui occasionna des changements très
radicaux dans tout une série de domaine allant de la nationalisation de
secteurs énergétiques, et des matières premières, en passant par la laïcisation
des institutions et ceci jusqu’à l’universalisation des soins médicaux. Il est
à considérer qu’avant la Révolution tranquille, l’exploitation et la domination
de la population francophone par les anglophones et le clergé catholique étaient
totales, alors l’un des grands mérites de cette révolution fut d’abord la prise
du pouvoir politique et économique des Québécois chez eux. L’une des réformes
qui suivit cette prise de pouvoir fût la démocratisation de l’enseignement poste
secondaire, voulu et précédé par le « Rapport
Parent » (1961), qui fut une commission d’enquête fort fertile en son
temps. L’un des points essentiels de cette réforme, en plus de la création des
polyvalentes et d’une multitude d’autres novations, fut la mis en place d’un
nouvel échelon entre le secondaire et l’université appelée CEGEP (collège d'enseignement général et professionnel)
et ayant pour but un enseignement technique de niveau ordinairement
universitaire. L’ensemble de ces réformes d’éducation était donc aligné sur le
principe central de l’accessibilité par des coûts généraux très bas. Évidemment,
l’objectif de tout ceci, en plus de contribuer à la justice sociale, était de
forger un peuple beaucoup moins manipulable et ayant la force de comprendre les
enjeux politiques fondamentaux. Cette vision stratégique de l’éducation était centrale
pour ne pas retomber dans la situation de type tiers monde qui prévalait auparavant
et avait surtout comme objectif d’avoir un plus grand soutien populaire dans la
lutte de libération nationale, si forte en ces temps-là. Malgré l’essoufflement
de l’état d’esprit patriotique initial, l’idée d’une éducation démocratisée est
restée plutôt populaire dans l’esprit de la population et résista assez bien à
la montée de l’idéologie néolibérale dans tout l’occident et des privatisations
qui l’ont accompagné dans les années 80-90. Ce n’est que depuis le milieu des
années 2000, et encore plus dans le présent cadre de la mondialisation
indépassable et de la crise économique (2009-2010), que la ferme volonté d’un
changement de cap se fi le plus violement sentir.
La hausse ?
Mais quelle est l’étendue réelle de cette hausse ?
Est-elle si dramatique que cela? Est-ce que les étudiants ne devraient pas se
serrer la ceinture comme tout le monde ? La réponse est, comme dans toute
chose, une question de dose. Alors, voici quelques chiffres simples afin d’avoir
une idée de l’ordre de grandeur de la dose qui prévaut depuis 2007 :
Évolution des
hausses officiellement prévues par rapport à 2007
Avant les hausses actuelles
|
Augmentation par rapport à 2007
|
2006-2007 : 1668 $
|
N/A
|
Avant les nouvelles hausses
|
|
2011-2012 : 2168 $
|
30%
|
Avec les nouvelles hausses
|
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2012-2013 : 2493$
|
49%
|
2013-2014 : 2818 $
|
69%
|
2014-2015 : 3143 $
|
88%
|
2015-2016 : 3468 $
|
108%
|
2016-2017 : 3793 $
|
127%
|
Ce que nous pouvons comprendre de ce résumé
du plan d’action du gouvernement libéral est d’abord une volonté de dégeler les
frais de scolarité (2005, année de la première mobilisation). Cette augmentation
fut de 30 % sur cinq ans (50$ par an) et avait pour objectif évident de
familiariser l’esprit à l’augmentation par petite dose (si nous la comparons
avec celle d’aujourd’hui). Ensuite (phase 2 du programme) ils enclenchent la
deuxième vitesse, c'est-à-dire une augmentation de 75% sur les cinq autres
années par-dessus la dernière. Et si nous ajoutons à cela les frais afférents
non calculés dans le budget de l’État, mais aussi en augmentation, voici une
idée de ce que cela donne :
Évolution des
hausses évaluées par la FEUQ incluant les frais afférents
Avant les hausses actuelles
|
Augmentation par rapport à 2007
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2006-2007 : 2206 $
|
N/A
|
Avant les nouvelles hausses
|
|
2011-2012 : 2890 $
|
31%
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Avec les nouvelles hausses
|
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2016-2017 : 4700 $
|
143%
|
En somme l’augmentation sera d’un peu moins
d’une fois et demie de prix initial pour un étudiant atteignant le niveau
doctoral en 2017, ce qui est une sacrée hausse si nous la comparons à n'importe
quelle autre dépense du genre essentiel (essence, électricité, impôt, etc.). Tout
ceci accompagné, ne l’oublions pas, de l’augmentation fulgurante du coût de la
vie que tous nous subissons.
Du côté des prêts & bourses, les
ajustements sont prévus, mais n’amélioreront en aucuns cas le sort des
étudiants étant donné qu’ils ne font que suivre la hausse. Il est prévu dans le
budget que les bourses augmenteront en moyenne de 940 $ par année, mais la
partie qui est en prêt (même si elle aussi augmentera en fonction de la hausse)
restera un prêt et celui-ci devra tout de même être remboursé, donc payé
seulement plus tard. Inutile de rappeler que ceux qui n’ont pas droit aux prêts
& bourses, notamment ceux en réorientation (n’oublions pas que l’on doit
choisir notre domaine d’étude vers 16 ans, ce qui laisse la porte ouverte aux
mauvais choix dus à la méconnaissance de ceux-ci) ainsi que les milles et un autres
cas, devront payer la note en intégralité. Dans cette perspective, il est fort
à croire que l’atteint des standards inégalitaires du reste du Canada (et
ultimement même ceux des États-Unis) pourront être atteints dans un avenir très
proche. Les patrons du gouvernement libéral pourront probablement s’en
féliciter, si celui-ci tient le coup jusqu’au bout bien sûr.
La
philosophie de la hausse
Comme sous entendus tout au long de mon
propos, cette augmentation des frais de scolarité n’est qu’une partie d’un plan
beaucoup plus large de société, comme le fut la démocratisation de celle-ci
dans les années soixante, et ce plan est à l’image des ambitions de ceux qui
ont réellement le pouvoir dans notre société. Je me dois de préciser que contrairement
à l’idée reçue, le gouvernement n’est absolument pas libre de faire ce qu’il
veut avec son pouvoir. Les garants de l’idéologie libertarienne à cette
affirmation pourront me faire remarquer qu’il est probablement tout à fait
déplorable que le gouvernement soit à ce point soumis aux pressions populaires,
car ne pouvant pas privatiser autant qu’il le croit nécessaire, ce qui serait
d’un point de vue républicain est tout à fait convenable. Malheureusement pour
nous, c’est plutôt l’inverse qui est vrai. Comme tous ceux qui s’intéressent aux
notions de souveraineté politique doivent le savoir, celles-ci sont directement
liées au rapport de force existentiel entre pouvoir réel et pouvoir légal. Ce
rapport de force est d’autant plus visible que parfois il oblige les
gouvernements à faire complètement l’inverse de ce qu’il serait normalement
nécessaire de faire dans le cadre d’une gouvernance normale. Le gouvernement
actuel du Québec (pouvoir légal) est donc soumis, comme la plupart des États du
monde, à la puissance économique (pouvoir réel), qui elle est contrôlée par
ceux qui la possèdent. Cette souveraineté des possesseurs de capitaux sur les
instances politiques est toujours la meilleure clef de compréhension des
actions, à première vue insensées, des gouvernements. Par exemple, pourquoi des
gouvernements prétendument libéraux renfloue-t-il des banques spéculatives en
faillite, outrepassant ainsi l’un de leurs dogmes de base qu’est la non-intervention
de l’État dans le marché (argument de base pour les privatisations et du laisser-aller
face à la désindustrialisation) ? Pourquoi ces mêmes gouvernements signent-ils
des traités de libre-échange avec des pays qui ont des superstructures économiques
incompatibles aux leurs, annihilant ainsi un autre de leur dogme qu’est la supposée
concurrence libre et non faussée ? Et en ce qui nous concerne directement,
pourquoi le gouvernement provincial du Québec fait-il des choix en matière
d’éducation qui sont à l’inverse de ceux que devraient poser les responsables
d’un territoire en pleine désindustrialisation comme le nôtre, car nécessitant
en principe des cerveaux ? Pourquoi donne-t-il pratiquement nos ressources
naturelles (pétrole, gaz de schiste, éolienne, métaux de toutes natures, etc.) à
des industrielles sans même en prendre quelques parts, quand il augmente à
outrance un peu tout ce qui existe de frais, taxes & impôt sous prétexte de
déficit national ? Bien cela est des plus simple, il obéit à ses patrons !
Partons, qui sont les mêmes que ceux des médias, qui donnent dans la situation
présente un droit de parole complètement disproportionnée à des étudiants
prétendument responsables (se plaignant de perdre leur session) ainsi qu’aux crétins
et aux casseurs de vitrines. Sans compter les économistes bidon et ces anarchistes
de droite, que sont les libertariens, que nous voyons constamment à la télé ?
C’est toujours la même réponse : les intérêts de ceux qui possèdent le
capital.
Alors, quelle est la philosophie derrière
ces hausses ? L’uniformisation mondiale aux standards chinois voulus plus
ou moins intentionnellement. Pourquoi ? Parce que c’est le plus rentable d’un
point de vue d’actionnaire (point de départ de la logique mondialiste), même si
celui-ci, d’un point de vue macroéconomique, est dévastateur sur lui-même à
long terme. Devant une telle vision du monde, le bien commun d’une nation ou
d’une province est pour le moins secondaire. Disons qu’elle ne concerne plus
que l’esthétique d’une politique, ayant beaucoup plus à voir avec de la gestion
(ou gouvernance) de population qu’il faut calmer et travailler à faire accepter
la logique du capital comme on lui ferait accepter une mauvaise prévision
météo. En plus de cela, rien n’est plus irritant qu’un peuple éduqué qui
comprend quand il est berné. C’est bien de là que part l’insurrection. Lorsque
l’on sait que le pouvoir ne fait pas ce qu’il doit faire pour aller vers le
bien commun, le peuple lui montre la voie de gré ou de force.
Les
milles et une raisons d’une éducation démocratisée
Quoi qu’il fasse inlassablement le rappeler,
l’éducation reste l’avenir indépassable d’une nation qui veut avoir un avenir.
Qu’il soit complètement gratuit ou à prix modique, notre système éducatif est
le point de départ de la constitution d’un peuple sainement patriotique et
raisonnable, acceptant de faire des efforts pour la nation lorsque que cela
devient nécessaire. Dans un monde, toujours à construire et que l’on souhaite
de vertus, il est nécessaire d’avoir un savoir général le plus haut possible. C’est
pourquoi il est du devoir des étudiants québécois de combattre, non pas
seulement pour eux, mais pour les générations futures afin qu’il puisse jouir
d’un système d’éducation de base obligatoire et postsecondaire non seulement
accessible, mais de qualité pour tous. Alors lorsqu’ils auront l’occasion
d’entendre les commentaires désobligeants de ces prétendus « lucides »
ou « responsables » les traitant d’égoïstes, car refusant une augmentation
prétendument d’équité, ils auront tout le loisir de leurs répondre qu’au
contraire, ils se sacrifient pour eux !
Benedikt Arden