Dieu se rit des gens qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes, disait un jour Bossuet. Ce dicton fort de sens est devenu avec le temps plus qu’une thématique propre aux inconséquents et aux simples d’esprit, mais la thématique générale de notre temps. Ces gens si instruits et si surs d’eux que l’on appelle élites, en font une sorte de carrière et n’ont de cesse de se tromper sur tout. Depuis bientôt près de 50 ans qu’ils nous répètent que l’émancipation des peuples ne peut que s’incarner dans l’individualisme le plus total et la supranationalité, tout en se plaignant de la désagrégation morale et de la paupérisation qu’elles impliquent. Cette situation, loin d’être une erreur de jugement, est l’incarnation parfaite de ce genre d’idée fleurissant toujours dans la tête de mauvais lecteurs de Machiavel. Cette idée que l’on pourrait même appeler mystique, est celle maintenant bien connue du dépassement de l’État forcement injuste en contrepartie du droit inaliénable de se comporter comme des bêtes. Cette mystique, c’est celle du monde globalisé des banquiers, des cosmopolites et des commerçants du vice. Ce monde, notre cauchemar, est celui à notre porte, celui où tout est permis, mais où rien n’est possible… ce monde c’est le mondialisme!
Ce système est fort, très fort, car il se nourrit de notre lâcheté et de notre manque de foi en l’avenir. Mais parfois, il arrive que de la léthargie naît quelque chose de bien, comme un peu de lucidité sur le passé, le présent et l’avenir. Ultimement, peut-être même un peu d’espoir de voir un jour ce monde s’écrouler sous ses contradictions et voir enfin apparaître quelque chose de mieux… quelque chose comme un grand peuple pourrais-je même dire! Je l’évoque, car je le crois, le Québec connaît les méandres des grandes noirceurs et des espoirs étouffés. Ce qui fait que de par notre Histoire, nous avons un angle de vue permettant d’anticiper le futur des peuples encore trop ébloui par leur glorieux passé et dont les actions présentes inspirent le début de la décadence. Inutile de préciser que de tous les peuples qui semblent girent étouffé sous leurs grandeurs, et qui nous laisse le moins indifférent, est bien sûr le bon peuple français. Ce peuple, qui fut génétiquement le nôtre un temps et qui nourrit encore en nous un mélange d’admiration et de ressentiment, est maintenant en danger comme nous le fûmes la fameuse date qui créa le ressentiment précédemment évoqué (1763). Depuis cette triste époque, l’esprit de résilience est la force tranquille dont nous avons fait usage afin de survivre à ces années difficiles. Moins glorieux et certainement moins romantique que l’idéalisme révolutionnaire de nos cousins, cet esprit reste tout de même très adapté aux situations de survies que doivent surmonter les peuples à cette heure où les forces de jadis deviennent presque des faiblesses par la puissante osmose que provoque le capitalisme financier.
Tous ceux qui connaissent la France moindrement, savent qu’elle fut l’une de ces terres où le politique fusionna avec le philosophique et la morale. Sa grandeur culturelle, son ancienneté ainsi que sa diversité n’y sont pas pour rien et il n’est aucunement bête de croire que cette composition fût la recette d’un certain messianisme qu’elle incarna magnifiquement dans son Histoire récente. Mais enfin, il n’est douteux pour personne désormais que la France est passée de l’idéal de jadis à l’idéologie la plus extraordinairement totalitaire, ce qui la fait maintenant se nier. Un peu comme un homme ne voulant plus se voir comme tel, mais que comme une part éclairée de la globalité. Notons qu’une abstraction, aussi extrême, ne peut à terme qu’être révolutionnaire au sens même de son existence. L’idée derrière ce propos est qu’à force de s’élever dans la grandeur on peut finir par oublier sont essence et se prendre pour l’universel, ce qui ne peut à terme que causer des problèmes fort fâcheux au niveau du politique. De plus, il est aussi certain que dans le contexte de défaites et de déclin, l’envie de se prendre pour l’universel (ou plutôt, se perdre dirais-je même) se fait encore plus sentir comme réflexe de défense face à cette triste réalité. Le Québec, comme petite nation toujours sous tutelle, en connaît quelque chose en frais de défaite et connaît aussi très bien le réflexe messianique que provoque cet état. D'ailleurs, nous le connaissons d’autant bien que nous en vivons un particulièrement fort depuis 1995 (date de la dernière défaite de l’indépendance). Cet état n’est, par contre, en rien aussi incroyable que celui que connaissent les Français, car n’ayant jamais connu l’ivresse de la gloire mondiale, ce qui nous rend évidemment moins aveugles à certaines réalités concrètes de l’Histoire, comme celle de notre propre disparition. Enfin, tout ça pour dire que rien n’est moins vrai que de croire que le but de mon propos est de faire une quelconque morale à nos bien-aimés cousins. Mon but est simplement de faire valoir l’idée d’une complémentarité culturelle qu’il nous serait plus que temps d’exploiter afin d’en finir avec cet état messianique et hypocrite qui nous a déclaré la guerre.
L’idée que je crois indispensable à l’avenir que nous chérissons, est celle de la « francité ». Ce concept, comme vous l’avez probablement deviné, n’est pas la francophonie, même si elle n’y est pas hostile non plus, elle est seulement autre. La francophonie étant une création héritée de l’ancienne grandeur de la France, autrement dit le colonialisme, elle n’est pas nécessairement en phase avec des réalités identitaires propres à la francité. Tout le monde sait bien qu’un grand nombre de peuples parle le français tout en ne se sentant aucunement lié à la France, au sens de la filiation. On peut agiter autant que l’on voudra la rhétorique universaliste, il est clair que l’abstraction à elle seule ne peut venir à bout du sentiment légitime de domination que vivent des populations n’ayant que la langue et la fonction publique comme point en commun d’avec la ou l’ex métropole. Par contre, certains lieux de la francophonie ont la francité comme constituant et cela rend l’avenir plus prompt aux alliances qu’au ressentiment.
C’est essentiellement cette situation qui donne aux relations franco-québécoises toutes leurs singularités. Une francité qui crée non seulement un sentiment de solidarité, mais qui en plus nous offre des possibilités de synergies. Cette synergie, à laquelle je fais allusion, est surtout basée sur l’exploitation de nos différences et ressemblances, car n’ayant pas les mêmes défauts et qualités propres à nos Histoires, il nous est possible de s’appuyer sur celles-ci afin de mieux construire notre futur. Comme exprimé plus haut, l’avenir est sombre et nécessitera des efforts considérables si nous voulons que les générations futures puissent connaître des jours meilleurs. Alors, le combat de demain devra demander les deux qualités que nous avons, soit l’esprit de résilience et de grandeur. L’alliance entre les constituantes culturelles du Québec et de la France sont donc idéale à l’essor d’une francité que je crois fortement constructive puisque qu’ayant un juste dosage de différences et ressemblances pour se faire. Cette alliance, ne doit par contre pas être confondue avec un quelconque métissage, qui lui annulerait l’avantage qu’offre la relation fraternelle que je propose, mais une synergie interculturelle entre nations liées par le sang, mais séparées par l’Histoire. De cette convergence pourra naître une francité à la fois idéaliste et réaliste, fervente et patiente, radicale et pragmatique, romantique et résolument elle-même, mais surtout enracinée et ultimement révolutionnaire!
De cette façon, et des deux côtés de l’océan, nous pourrons créer par une réunion de la francité, une force au-delà de la nation qui ne la nie pas pour autant. Une internationale de la francité qui pourrait être le laboratoire d’une vraie internationale des nations, contrairement à ce qui fut fait auparavant. Les problèmes sont globaux il est vrai, mais les solutions ne peuvent qu’être nationale! Par contre, si ces nations veulent leur salut, et nous espérons qu’elles le souhaitent, l’union reste indispensable afin de créer un rapport de force digne de ce nom.
Le mondialisme créa, il est vrai, l’union des pouvoirs occultes de l’argent et du vice, mais cette logique machinale devra un jour faire face à sa logique antagoniste qu’est celle du vivant, autrement dit l’union des pouvoirs de la vertu et de la solidarité humaine. Mais pour ne pas baisser les bras devant ce vaste chantier, remémorons-nous que parfois certaines vérités sont éternelles, alors, si Dieu se rit des gens qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes, bien faisons que Dieu soit tordu de rire jusqu’à la fin !
Benedikt Arden