« Le G8 n’est pas un gouvernement mondial, d’autant qu’il n’existe pas d’Etat mondial. Mais il ne faudrait pas pour autant en déduire qu’il n’est qu’un simulacre. Il regroupe les dirigeants des pays dominants en une sorte de syndicat des actionnaires majoritaires de l’économie mondiale. Avec ses réunions périodiques des chefs d’Etat et des ministres, ses "sherpas" (conseillers permanents qui en assurent le secrétariat), sa mobilisation très large d’experts de toute nature, ses relais dans toutes les institutions internationales, son accès permanent à l’ensemble des médias, ce club est devenu une institution mondiale permanente.
Au départ, il s’agissait de permettre aux principaux dirigeants de la planète de surmonter leurs contradictions. Rien n’est en effet plus éloigné de la réalité que la vision d’un monde unifié et sans conflits entre les grandes puissances. Comme dans un club anglais très sélect, le G7, qui devint le G8, avait pour fonction de définir desgentlemen’s agreements. Il fallait ainsi discuter de la récession des années 1970, des crises monétaires et pétrolières. Avec l’effondrement du système soviétique, la discussion porta sur la montée en puissance des Etats-Unis. Désormais, avec la crise de l’économie mondiale et de la pensée libérale et, surtout, la guerre américaine, les contradictions reprennent le dessus et pèsent sur l’avenir de l’institution. […]
De 1975 à 1980, le néolibéralisme remplace progressivement le modèle keynésien. Le tournant s’achève en 1979 lorsque la Réserve fédérale des Etats-Unis (FED) décide d’augmenter brutalement les taux d’intérêt. Dès 1980, au sommet de Venise, la lutte contre l’inflation devient la priorité, la référence à l’emploi devient platonique, la crise de la dette du tiers-monde est ouverte. La phase néolibérale de la mondialisation est commencée.
Le G7 d’alors joue un rôle actif dans l’imposition d’un credo et dans le pilotage de la phase néolibérale de la mondialisation. La doctrine qui guide les politiques repose sur le triptyque stabilisation-libéralisation-privatisations. Pour répondre aux critiques qui montent, le dogme est formalisé en 1990 par l’économiste John Williamson, sous l’appellation du "consensus de Washington".
Il repose sur sept principes :
- discipline fiscale (équilibre budgétaire et baisse des prélève- ments fiscaux)
- libéralisation financière (taux fixés par le seul marché des capitaux)
- libéralisation commerciale (suppression des protections douanières)
- ouverture totale des économies à l’investissement direct
- privatisation de l’ensemble des entreprises
- dérégulation (élimination de tous les obstacles à la concurrence)
- protection totale des droits de propriété intellectuelle des multinationales.
Pour imposer ces politiques, le G8 s’appuie sur les institutions financières internationales, Fonds monétaire international et Banque mondiale, dans lesquelles il dispose de la majorité du capital. Il construit avec constance le cadre institutionnel de la mondialisation néolibérale, dont l’élément déterminant est l’Organisation mondiale du commerce (OMC). […]
La contestation croissante du G8 offre une autre lecture de la phase néolibérale de la mondialisation. Elle permet de remettre les enjeux en perspective. Jusqu’en 1984, le G7 n’a fait l’objet d’aucune protestation. Pourtant, l’impact social des mesures de réajustement économique imposées aux pays endettés du tiers-monde conjuguées à la chute du prix des matières premières est devenu très vite insupportable. Dès 1980, des explosions populaires mettent en cause nommément le Fonds monétaire international (FMI) et, indirectement, le G7. […] La réunion du G8 à Gênes, en 2001, voit s’affirmer les caractéristiques du mouvement de contestation : une capacité de contre-expertise qui permet de remettre en cause l’évidence du credo néolibéral ; l’apparition, dans la jeunesse, d’une nouvelle génération militante ; la sympathie d’une opinion publique inquiète de l’impact négatif de la mondialisation libérale sur le plan social, environnemental et démocratique. […]
La prise de conscience des dégâts provoqués par la gestion économique, politique et militaire du monde marque la naissance d’une opinion publique mondiale. La contestation qui s’affirme porte sur la nature du G8 en tant qu’institution mondiale : un petit groupe de chefs d’Etat représentant les privilégiés de la planète ne peut pas, explique-t-elle, s’arroger le monopole de décider pour tous. Certes, les dirigeants du G8 ont été élus démocratiquement pour conduire leur pays, mais nul ne les a mandatés pour gouverner le monde : leur prétention à jouer ce rôle est donc illégitime. La disparition du G8 n’entraînerait d’ailleurs pas une dérégulation supplémentaire ; cette instance n’a pas empêché les guerres et les désordres, elle a au contraire affaibli le système des Nations unies, certes critiquable et imparfait, mais plus légitime. »
Gustave Massiah, président du Centre de Recherche et d’Information sur le Développement (CRID), "Le G8 : un club de riches très contesté", Le Monde Diplomatique, mai 2003